Il s’agit d’un banal problème d’accessibilité à une concession funéraire où le requérant demande au maire la fin d’un empiètement dans une allée par un monticule de terre qui, on le devine, constitue une portion du tertre d’une tombe récemment installée (CAA de Bordeaux 7 février 2019, n° 17BX01266). Voici donc l’occasion de quelques rappels sur l’exigence de cet espace et des pouvoirs du maire sur celui-ci.
Les obligations pesant sur le maire en matière de police dans le cimetière
L’art. L. 2212-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) confie au maire la police administrative générale, c’est-à-dire la police de la sécurité, la salubrité, la tranquillité publiques ainsi que de l’ordre public. L’art. L. 2213-8 du CGCT quant à lui confie la police des cimetières. Le maire, à travers le règlement du cimetière, fera donc respecter ces différentes prescriptions.
Notons que, par l’arrêt Cauchoix, le juge administratif a procédé à une extension des pouvoirs de police du cimetière du maire au détriment de la compétence du conseil municipal en matière de gestion de cette parcelle du domaine public (CE, 20 février 1946, Cauchoix, Rec. CE, p. 53). Par exemple, il a déjà été jugé par le passé que la surveillance devait porter sur les travaux exécutés par les concessionnaires pour éviter que ces travaux ne conduisent à des empiétements sur d’autres concessions (CAA Nancy 2 juillet 1991, Consorts Tahir, Mme Émilienne Debarge-Verqueren, req. nos 89NC01389 et 89NCO1394).
Ici, le requérant invoquait l’occupation des allées du cimetière qui l’empêchait alors de se rendre par son cheminement habituel jusqu’à sa concession. Il invoque alors les dispositions du CGCT relatives aux espaces devant exister entre les sépultures. Le maire ne répond pas au courrier du requérant, faisant ainsi naître une décision implicite de rejet au bout d’un délai de deux mois de silence.
La définition et l’utilité de l’espace "intertombes"
L’art. R. 2223-4 du CGCT précise en effet que les fosses doivent être distantes les unes des autres de 30 à 40 centimètres sur les côtés, et de 30 à 50 centimètres à la tête et aux pieds, tandis que l’art. L. 2223-13 du CGCT dispose, en son dernier alinéa, que : "Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnés ci-dessus est fourni par la commune."
Ainsi, les textes législatifs et réglementaires posent tout à la fois l’existence de ces emplacements et leur taille. Ces espaces appartiennent à la commune. Leur utilité est évidente : il s’agit de permettre aux usagers du cimetière d’y pouvoir déambuler pour accéder à leurs monuments et tombeaux. Ces espaces, tout autant d’ailleurs que ceux dévolus aux concessions funéraires, appartiennent au domaine public communal, depuis que le Conseil d’État, dans son célèbre arrêt "Marécar" de 1935 (Rec. CE, p. 734), a qualifié comme tels les cimetières en raison de leur affectation à l’usage direct du public. Il est de surcroît un ouvrage public (CE 12 décembre 1986 : Rec. CE, p. 429 ; AJDA 1987, p. 283).
Ainsi, cela signifie que tout dépôt temporaire par une personne privée ou toute construction dans cette partie est illégal et peut engager la responsabilité de la commune en cas de trouble occasionné. Il est courant que le règlement de cimetière impose que ces espaces soient de plus traités par les concessionnaires. Il est assez commun que les communes instituent à leur profit de telles servitudes sur ces terrains, en y obligeant, au gré des circonstances locales, soit les concessionnaires à y poser une semelle, soit en les obligeant à recouvrir cet espace d’un quelconque matériau, en en excluant toutefois en général tout ce qui pourrait favoriser les chutes.
Il peut aussi arriver que le règlement de cimetière y interdise d’y déposer quoi que ce soit. On trouvera par exemple une illustration de cette problématique dans l’arrêt de la CAA de Marseille commune de Cabestany (n° 07MA01011, cahiers juridiques des collectivités territoriales, juin-juillet 2009, p. 26, note Dupuis) : "[…] qu’il résulte de ces dispositions qu’un passage d’une largeur minimum réglementaire doit être ménagé entre les tombes ou les concessions ; que ces espaces intertombes ou interconcessions font partie du domaine public communal et sont insusceptibles de droits privatifs ; qu’il appartient au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police des cimetières, d’empêcher tout empiètement sur ces espaces."
Une solution attendue, mais une motivation surprenante
Nous croyons alors comprendre que l’espace laissé libre obéit à ces dispositions, et qu’il s’agit uniquement d’un accès rendu moins pratique pour le requérant. Néanmoins, les développements du juge attirent l’attention : laissons de côté, même si elle mériterait que l’on s’y attarde, l’affirmation du juge selon laquelle : "Aucune disposition n’exige que l’ensemble des passages permettant d’accéder aux tombes d’un cimetière aient une largeur permettant l’accès de personnes à mobilité réduite."
Deux affirmations peuvent alors susciter l’intérêt.
- La première est celle selon laquelle : "Les prescriptions, invoquées par le requérant, de l’art. R. 2223-4 du CGCT concernent l’espace entre les fosses, et ne portent pas sur la largeur d’un passage de circulation entre les tombes. Or, il n’est ni établi ni même allégué que les règles de distance entre les fosses du cimetière de T… auraient été méconnues."
Nous avouons ne pas discerner fondamentalement la différence opérée par le juge entre la distance devant exister entre les fosses et celles devant exister entre les tombes. Il nous semble qu’intrinsèquement il s’agit de la même chose. Certes, la notion de fosse semble renvoyer plutôt au terrain commun, mais, le plus souvent, le juge amalgame les deux notions. Par exemple, pour ce qui concerne le passage intertombal, on relèvera qu’il en va ainsi (CE 17 janvier 2001, commune de Massels, n° 334156 ; JCP A 2011, n° 2142, note Dupuis).
- La seconde lorsqu’il énonce qu’ : "Enfin, en enjoignant aux titulaires de la concession funéraire de la famille A… de faire réaliser une pierre tombale, travaux qui ont été exécutés en novembre 2015, le maire de T… a pris les mesures appropriées pour faire cesser l’empiètement dénoncé par M. D… "
Ainsi, un empiétement existait bel et bien dans l’allée, empiétement qui n’existait plus au moment du jugement. On remarquera alors que le maire obligea à la pose d’une pierre tombale la famille A…. Or, si faire cesser un empiétement non autorisé dans une portion du domaine public constituait bien une obligation pour le maire puisque le fait que cet occupant ait pu bénéficier d’une tolérance, de courte ou de longue durée, de la part du gestionnaire du domaine est sans influence sur l’occupation sans titre (CE 24 mai 1995, M. Choukroun, SARL Galerie des tissus, SARL Galerie les bons tissus c/ maire de Paris, Rec. CE p. 781), il n’appartenait pas à celui-ci d’imposer la pose d’une pierre tombale, car, si l’art. L. 2223-12 du CGCT reconnaît au titulaire d’une concession funéraire le droit de construire des monuments et caveaux, il ne saurait être question de lui imposer une quelconque construction.
CAA de Bordeaux – N° 17BX01266 Le président, Le greffier, |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°149 - Avril 2019
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