Le crématorium est le dernier vestige, si l’on excepte le cimetière, du monopole communal en matière funéraire. Ainsi, lorsqu’une personne privée construit et gère un tel équipement, c’est toujours parce qu’une personne publique lui a confié cette mission. La conséquence en est l’application du droit public aux relations contractuelles.
Un jugement récent rendu par une cour administrative d’appel est l’illustration des possibilités offertes par le droit administratif en matière de résiliation du contrat et d’indemnisation du cocontractant privé.
Les faits : résiliation d’une Délégation de Service Public
Par une convention de Délégation de Service Public (DSP) signée le 00 janvier …, la société Z s’est vu confier l’équipement, la gestion, l’exploitation et la maintenance d’un crématorium que la commune d’E… envisageait de construire. À la suite de problèmes en liaison d’avec la révision du PLU, la commune d’E… a décidé de résilier la convention de cette DSP, au motif notamment qu’il existait déjà dans l’agglomération un équipement susceptible de répondre aux besoins en matière de crémation.
En conséquence, la société Z a demandé au tribunal administratif de E… de condamner la commune d’E… à lui verser, d’une part, les sommes de XXX € et X € au titre des indemnités de résiliation prévues par le contrat d’affermage, et, d’autre part, la somme de XX € en réparation des préjudices résultant pour elle de l’irrégularité de la décision résiliant le contrat d’affermage du crématorium. Cet arrêt, classique dans son principe, est l’occasion de rappeler qu’un tel contrat est un contrat administratif, et, comme tel, obéit à des règles particulières.
Les pouvoirs de l’Administration sur l’exécution des contrats administratifs
L’Administration, lorsqu’elle signe des contrats, se trouve devant deux possibilités. Soit elle signe des contrats comme si elle était une personne privée, soit, en raison de ses missions de service public, ces contrats se voient qualifiés de contrats administratifs, et ainsi permettent l’application de règles dérogatoires aux droits des contrats privés. Les contrats administratifs peuvent l’être par détermination de la loi (marchés publics, contrats d’occupation du domaine public, bail emphytéotique administratif, contrat de recrutement d’un agent public pour un service public administratif).
Néanmoins, dans les autres cas, ils sont souvent qualifiés de tels par l’application de critères jurisprudentiels. À savoir la présence d’une personne publique parmi les cocontractants, et puis :
- soit la présence de clauses exorbitantes au droit commun. Une telle clause se définit désormais comme celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs (TC 13 octobre 2014 SA AXA France IARD n° 3963) ;
- soit le contrat a été conclu à des fins d’assurer directement le service public.
Or, l’une des particularités les plus notables du contrat administratif est que l’Administration peut mettre fin unilatéralement au contrat (CE, 2 mai 1958 Distillerie de Magnac-Laval, Ajda, 1958.II.282). Dans cette décision, le juge affirme que le pouvoir de résiliation unilatéral de l’Administration est un pouvoir général applicable aux contrats administratifs. Il existe ainsi de plein droit et sans texte pour tous les contrats administratifs, sauf exception législative.
Une commune ne peut donc prévoir de renoncer à ce pouvoir. Dans le cas où elle se lierait par une telle clause, le juge pourrait annuler cette disposition. Le nouveau Code la commande publique issu de l’ordonnance 2018-1074 du 26 novembre 2018 et qui entrera en vigueur le 1er avril 2019 codifie cette jurisprudence en un art. L. 6, qui prévoit alors que :
[…]
5° L’autorité contractante peut résilier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent Code. Lorsque la résiliation intervient pour un motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat.
Lorsque l’Administration entend mettre fin unilatéralement à un contrat, elle doit elle-même prononcer la résiliation en vertu du privilège du préalable. Le cocontractant a droit à être indemnisé intégralement du préjudice subi.
Le juge contrôle la qualification de "motif d’intérêt général", et admet :
- la résiliation en raison de l’abandon du projet par l’Administration : CE, 22 janvier 1965, Société des Établissements Michel Aubrun (Rec. CE, p. 50) ;
- la résiliation en raison d’une modification de la législation ou de la réglementation : CE, 30 juin 1937, commune d’Avrieux (Rec. CE p. 648) ;
- la résiliation en raison d’une modification de l’organisation du service public : CE, 11 juillet 1913, Compagnie des chemins de fer du Sud de la France (Rec. CE p. 854)
- la résiliation en raison d’une modification de la politique publique : TA de Grenoble, 9 avril 1980, Société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez (D.1981, p. 581) ;
- la résiliation pour motif financier : CE, 23 juin 1986, Thomas (RFDA, 1987, p. 194) ;
- la résiliation pour motif d’illégalité d’un acte préparatoire ou détachable du contrat : CE, 7 octobre 1994, Lopez (Rec. CE p. 430) ;
- la résiliation au motif qu’un changement du capital social du gestionnaire du service public ne permet plus à la collectivité locale contractante de conserver sa confiance dans son cocontractant : CE, 31 juillet 1996, Société des téléphériques du massif du Mont-Blanc (Rec. CE p. 334).
Le juge doit donc d’abord identifier cet intérêt général qui permet à la personne publique de prononcer cette résiliation ce qu’il fait en affirmant que : "Il résulte de l’instruction que la résiliation de la convention de DSP, décidée par la délibération du conseil municipal du 00 juillet … et non par la lettre du maire du 00 juillet … qui se borne à informer l’intéressée du contenu de cette délibération, est effectivement fondée sur un motif d’intérêt général, constitué par l’impossibilité de construire le nouveau crématorium où il était initialement prévu, en raison de l’annulation en avril … du PLU d’E… centre, la proximité du nouveau terrain d’implantation à Y… par rapport au crématorium existant de Z…, et les "vives oppositions" de la part des habitants dont les maisons sont situées en périphérie du projet.
Dès lors que la réalité du motif d’intérêt général de la résiliation est ainsi établie, les irrégularités formelles par ailleurs invoquées à l’encontre de la décision de résiliation ne sont pas de nature à ôter à celle-ci son fondement. Il en résulte que, les parties étant liées par les stipulations de la convention de DSP, seuls peuvent être pris en compte les préjudices dont l’indemnisation est prévue par les stipulations précitées de l’art. V-5 de la convention en cas de résiliation pour motif d’intérêt général".
L’indemnisation du cocontractant privé
L’existence de ce droit à la résiliation pour motif d’intérêt général est contrebalancée par celui du contractant de l’Administration à son indemnisation. Encore faut-il alors démontrer l’existence des préjudices allégués. En principe, il faudra démontrer au juge la réalité des troubles occasionnés, et en la matière, le juge est des plus exigeants.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
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