Cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux 17 décembre 2018 n° 16BX02379. Voici une intéressante jurisprudence récente. Si l’on s’attachera exclusivement à la problématique de la nécessité qu’une concession funéraire dispose d’un titre la fondant, on remarquera au passage le rejet d’un refus de communication de documents administratifs pour non-exercice du recours administratif obligatoire auprès de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA).
Les faits : une concession revendiquée par une famille
Les consorts F. ont demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d’annuler la décision par laquelle le maire de la commune de Petit-Bourg a attribué leur concession funéraire à l’indivision I. et d’enjoindre audit maire de leur transmettre l’ensemble des documents et informations sollicités par courrier du mois de février 2013 pour leur permettre de rétablir leurs droits. En effet, une concession funéraire a été attribuée aux consorts I. sur un emplacement que la famille F. pense être le sien depuis 1938, et qui est utilisé comme tel depuis lors pour de nombreuses inhumations.
Le juge énonce alors que : "Cependant, les consorts F. ne produisent aucun acte de concession. Contrairement à ce qu’ils affirment, la preuve d’une concession ne peut résulter de la seule existence d’inhumations, alors qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), une commune ne peut interdire dans un cimetière toute autre inhumation que celles régies par les concessions.
En outre, en l’absence de tout acte de concession au profit des consorts F., ils doivent être regardés comme ayant, avant 1961, inhumé les membres de leur famille en terrain commun, sans que l’inhumation desdits membres puisse être regardée comme étant un droit à caractère perpétuel ou même temporaire au sens des dispositions de l’art. L. 2223-14 du CGCT. Par suite, la commune n’était pas tenue de mettre en œuvre une procédure d’abandon pour effectuer une reprise du caveau, mais pouvait se borner, avant d’attribuer une concession au même emplacement par l’arrêté précité de 1961, à respecter un délai de cinq ans après la dernière inhumation, laquelle a eu lieu en 1951."
Pas de titre : pas de concession
La solution n’est pas neuve, puisque, déjà par le passé, on peut relever l’existence de deux arrêts posant ce principe (CAA Nancy, 28 septembre 2006, Consorts V., n° 05NC00285 ; CAA Nantes, n° 07NT01321, 4 mars 2008). En effet, dès lors que n’existe aucun titre, le juge en déduit logi-quement que les inhumations avaient donc été faites en terrain commun ; peu importe d’ailleurs (jurisprudences précitées) que les requérants invoquent l’existence d’un monument funéraire, qui leur semble être la preuve de l’existence d’une concession funéraire.
En effet, le juge écarte ce moyen en se fondant sur l’art. L. 2223-12 du CGCT, qui dispose que : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture." Si, pour les requérants, la présence d’un monument révèle donc l’existence d’une concession, la jurisprudence a néanmoins retenu que l’application de cet article valait tant pour les concessions funéraires que pour les inhumations en terrain commun (CE 23 juin 1947, Téoulé et Baux, Rec. CE, p. 714).
On pourrait, à la limite, peut-être douter que les objets pouvant être placés sur la fosse au sens de l’art. L. 2223-12 puissent comprendre un monument funéraire : cette question est sans objet puisque, de toute façon, la jurisprudence reconnaît un droit absolu à construire un monument, fût-ce en terrain commun. Il a, enfin, été jugé que le maire ne pouvait imposer l’existence d’un tumulus gazonné pour individualiser chaque tombe (CE 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne, Rec. CE, p. 153), pas plus qu’il ne pouvait déterminer les types de monuments funéraires (même arrêt), interdire la clôture des emplacements (CE 1er juillet 1925, Bernon, Rec. CE, p. 627) ou y effectuer des plantations (CE 23 décembre 1921, Auvray-Rocher, Rec. CE, p. 1092).
Une autre question, qui pourrait être plus disputée, tient au fait que la sépulture recèlerait plusieurs corps, or l’inhumation en terrain commun ne permet pas a priori des inhumations multiples, puisque l’art. R. 2223-3 du CGCT dispose que "chaque inhumation a lieu dans une fosse séparée […]". Néanmoins, si la réglementation proscrit une telle chose, il est malgré tout possible qu’elle ait eu lieu en fait.
Une réponse ministérielle (n° 36690, JOAN Q 9 décembre 1991) invite alors les communes à proposer aux familles une régularisation de leur situation en transformant cette fosse en terrain commun en concession funéraire. C’est, derechef, ce que le juge retient quand il énonce que :
"Dans ces conditions, quand bien même l’arrêté de 1961 révélerait une absence de plan de gestion du cimetière et d’identification précise des parcelles concédées, du moins à cette date, et quand bien même des membres de la famille I. – E. auraient été inhumés dans la concession litigieuse postérieurement à l’arrêté de 1961 sans opposition de son bénéficiaire, l’indivision I. – D. composée des ayants droit de M. G. I. doit être regardée, en raison de l’intervention de l’arrêté précité, comme étant pourvue d’un acte de concession et donc titulaire de la concession en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que les consorts F. seraient titulaires de cette concession doit être écarté."
Il semble ainsi, en pratique, qu’une commune doive considérer comme du terrain commun, tout emplacement pour lequel la famille est incapable de produire un titre écrit. On réservera le cas où l’Administration sait qu’il y a eu titre, mais que celui-ci a disparu (calamité naturelle, fait de guerre). Il sera alors possible au maire de dresser un acte de notoriété. Ce principe simplifiera considérablement le travail de la commune lorsqu’il s’agira de reprendre des emplacements abandonnés. En effet, et c’est là également un point important de l’arrêt : puisqu’il y a ici terrain commun, la procédure de reprise des concessions funéraires est inapplicable. Or, le formalisme de la reprise d’un terrain commun est infiniment moins ardu à mettre en œuvre que celui des concessions funéraires.
Ainsi, la reprise de ces sépultures (décidée par délibération du conseil municipal qui charge le maire de son exécution) s’opérera par un arrêté du maire affiché aux portes de la mairie et du cimetière. Cet arrêté précisera la date de la reprise effective et le délai laissé aux familles pour récupérer les objets déposés sur la sépulture (CE, 29 avril 1957, Despres : Rec. CE 1957, Tables, p. 874). Dans ce délai, la famille peut également décider le transfert du corps dans une autre sépulture, ou sa crémation.
Il convient de relever que le CGCT n’évoque pas ces formalités de reprises. Néanmoins, la jurisprudence en fait un préalable obligatoire (Cass. crim. 3 oct. 1862, Chapuy : Bull. crim. 1862, II, p. 908), et le ministre de l’Intérieur le rappelle opportunément (Rép. min. n° 36690 : JOAN Q 9 déc. 1990, p. 5094).
Au final, l’intérêt de cette jurisprudence, en sus de rappeler utilement l’exigence d’un titre, est que, par le passé, la CAA de Bordeaux fut moins affirmative sur cette question. En effet, cette cour (CAA Bordeaux, 15 juillet 2016, commune de Montbrun, n° 14BX03322) avait pris soin dans une affaire analogue de préciser qu’il lui appartient de "former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties" et qu’il ne "saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance". C’est donc en son intime conviction qu’elle se prononce.
Or, en l’espèce, si le requérant ne pouvait produire de titre, la CAA insistait sur le fait que la commune ne le pouvait pas plus. Il apparaissait alors que le juge opérait un véritable renversement de la charge de la preuve : certes, le requérant ne peut produire la preuve de l’existence, à son bénéfice, d’une concession funéraire, mais la commune gestionnaire du cimetière est elle aussi dans la totale incapacité de démontrer le contraire. Autrement exprimé, et c’est surtout ce point qui semble conduire le raisonnement du juge, elle pèche dans l’administration de ce service public obligatoire qu’est pourtant le cimetière, et donc il convient de la sanctionner.
Surtout, le juge tient pour juridiquement acquis que les concessions funéraires existaient dans ce cimetière. Si une délibération avait bien été prise, l’argument selon lequel elle n’avait pas fait l’objet d’un commencement d’exécution ne pouvait alors tenir. Il nous semble que cette solution s’inscrivait plutôt dans une volonté de sanctionner une commune qui, par le passé, ne gérait pas son cimetière.
Il importe enfin de mentionner, dans le droit fil de cet arrêt, que le juge assimile également une concession funéraire qui n’a pas été payée à un terrain commun (CAA Marseille, 25 mars 2011, n° 09MA00288). À compter du moment où le non-paiement du titre de concession permettait à la commune de requalifier la sépulture de terrain commun, rien ne l’obligeait à aucune autre forme de publicité, et la requérante ne pouvait revendiquer l’application de la reprise en état d’abandon, en l’absence de toute preuve du paiement de sa sépulture…
CAA de Bordeaux – N° 16BX02379 6e chambre – formation à 3 Aux termes de l’art. L. 2223-14 de ce Code : "Les communes peuvent, sans toutefois être tenues d’instituer l’ensemble des catégories ci-après énumérées, accorder dans leurs cimetières : 1° Des concessions temporaires pour quinze ans au plus ; 2° Des concessions trentenaires ; 3° Des concessions cinquantenaires ; 4° Des concessions perpétuelles." Aux termes de l’art. L. 2223-17 du même Code : "Lorsque, après une période de trente ans, une concession a cessé d’être entretenue, le maire peut constater cet état d’abandon par procès-verbal porté à la connaissance du public et des familles. Si, trois ans après cette publicité régulièrement effectuée, la concession est toujours en état d’abandon, le maire a la faculté de saisir le conseil municipal, qui est appelé à décider si la reprise de la concession est prononcée ou non. [...]." Selon l’art. R. 2223-12 dudit Code : "Conformément à l’art. L. 2223-17, une concession perpétuelle ne peut être réputée en état d’abandon avant l’expiration d’un délai de trente ans à compter de l’acte de concession. La procédure prévue par les articles L. 2223-4, R. 2223-13 à R. 2223-21 ne peut être engagée que dix ans après la dernière inhumation faite dans le terrain concédé." Les articles R. 2223-13 à R. 2223-15 du Code précité déterminent le régime du procès-verbal de constat et des mesures de publicité dudit procès. Enfin, aux termes de l’art. R. 2223-5 du même Code : "L’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années." Le président, Pierre Larroumec |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°147 - Février 2019
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