L’importance de garantir à toute personne qui décèdeen France le droit de mourir dans le respectde ses convictions, quel que soit le culte dans lequelil est né et que sa famille voudrait lui imposer.
Cass. 1re civ., 19 sept. 2018, 18-20.693 Les faits : le décès d’un Marocain installé en France
Monsieur X est un Marocain apparemment athée qui vient à décéder en France. Sa concubine et ses enfants décident d’organiser des funérailles dans une église catholique, qui seront suivies d’une crémation. La famille marocaine et musulmane s’oppose alors à ce projet. Le litige n’est pas rare, et, la plupart du temps, le contentieux se focalise sur la volonté du défunt. On se souviendra par exemple d’une affaire analogue où, pour déterminer les modalités d’organisation des funérailles, le juge judiciaire dut trancher le problème de l’appartenance à une confession religieuse. Le juge put ainsi désigner le conjoint survivant, bien que les époux soient en instance de divorce, pour organiser les funérailles, dès lors que ce dernier apparaît comme le plus à même de faire respecter les volontés du défunt.
La Cour de cassation a ainsi estimé (Cour cassation, civ. 1, 1er juin 2005, pourvoi n° 05-15 476), dans une affaire où la veuve revendiquait une inhumation au carré musulman, alors que les trois enfants légitimes, issus d’un premier mariage, faisaient valoir l’absence de toute volonté de leur père de conférer un caractère religieux à son enterrement, "qu’il convenait de rechercher par tous moyens quelles avaient été les intentions du défunt et, à défaut, de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles… le juge a ainsi pu constater, d’abord, que monsieur X..., s’il n’était pas un pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu’il avait manifesté le vœu d’être inhumé, et que rien ne permettait d’affirmer qu’il eût entendu rompre tous liens avec cette tradition…". La veuve, quoique séparée et en instance de divorce, fut ainsi désignée pour organiser les funérailles.
Faut-il lui appliquer la loi marocaine ou la loi française ?
Néanmoins, ici, ce n’est pas cet argument qui fut soulevé, mais celui de l’applicabilité du droit français à un Marocain. Il était soutenu que le défunt, resté marocain tout au long de sa vie, devait être soumis à la loi marocaine, or, le Maroc étant un État de religion musulmane, la crémation y est interdite. La justification repose alors sur une convention franco-marocaine de 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire dont l’article 1er dispose que l’état et la capacité des personnes physiques sont régis par la loi de celui des deux États dont ces personnes ont la nationalité.
Néanmoins, le juge décide alors d’affirmer : "que la liberté d’organiser ses funérailles ne relève pas de l’état des personnes mais des libertés individuelles et que la loi du 15 novembre 1887, qui en garantit l’exercice, est une loi de police applicable aux funérailles de toute personne qui décède sur le territoire français".
La doctrine approuve cette solution et cette primauté de la loi française sur la loi de l’étranger (Pr Charles Bahurel, Recueil Dalloz 2018, p. 2280), pour lequel : "La décision de la Cour de cassation est donc excellente, puisqu’elle épouse parfaitement l’ambition de la loi du 15 novembre 1887. La Cour de cassation fait de ce texte une loi de laïcité, pour garantir à toute personne qui décède en France le droit de mourir dans le respect de ses convictions, quel que soit le culte dans lequel il est né et que sa famille voudrait lui imposer. Au regard des enjeux, la qualification de loi de police semble donc appropriée […]."
Indubitablement, l’étranger visé ici est celui pour lequel des Français réclameraient l’application de ces dispositions, ainsi que le faisait remarquer le professeur Bahurel, il ne s’agit pas de régler les modalités des funérailles d’étrangers ne se retrouvant sur le territoire national que fugacement.
Extrait de l’arrêt Extrait de l’arrêt Sur le moyen unique, pris en sa première branche : |
Philippe Dupuis
Résonance n°146 - Janvier 2019
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