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Dans notre édition de novembre, nous avions commenté et approuvé une décision de la cour administrative d’appel de Nantes (23 novembre 2017, n° 17NT01923 AJDA 2018, p. 178). Force est de constater que le Conseil d’État vient de l’infirmer ; sans revenir outre mesure sur notre précédent commentaire, nous tenterons de tirer les conséquences pratiques de cette solution pour les communes qui souhaiteraient vendre leur cimetière fermé.

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

Conseil d’État 9 novembre 2018, n° 416683

En effet, la Haute Juridiction vient d’estimer que : "Considérant, par suite, qu’en jugeant que la faculté dérogatoire de procéder à des inhumations dans les emplacements encore disponibles des caveaux de famille du cimetière du Vil n’avait pu subsister que pendant une période de cinq ans à compter de la délibération du 18 décembre 2009 du conseil municipal de Roscoff, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’annulation de son arrêt."

Rappelons qu’il s’agissait de trancher la lecture de l’art. L. 2223-6 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui dispose que : "En cas de translation de cimetières, les cimetières existants sont fermés dès que les nouveaux emplacements sont disposés à recevoir les inhumations. Ils restent dans l’état où ils se trouvent, sans que l’on en puisse faire usage pendant cinq ans.

Toutefois, les inhumations peuvent continuer à être faites dans les caveaux de famille édifiés dans les cimetières désaffectés, à concurrence du nombre de places disponibles au moment de la fermeture de ces cimetières, à condition que ceux-ci satisfassent aux prescriptions légales d’hygiène et de salubrité et que l’affectation du sol à un autre usage ne soit pas reconnue d’utilité publique." Tandis que l’art. L. 2223-8 du CGCT énonce que : "Les cimetières ne peuvent être aliénés qu’après dix années à compter de la dernière inhumation."

Ainsi, le Conseil d’État, au nom soit d’une lecture séparée des deux alinéas de l’art. L. 2223-6 du CGCT, soit de l’intention du législateur (voir article AJDA précité), vient entériner le fait que les familles disposant d’une concession funéraire (mais pas celles bénéficiant d’un terrain commun) puissent continuer à inhumer leur défunts tant qu’elles disposeront d’une concession en cours de validité. Ainsi, la commune doit se montrer des plus prévoyante si l’espace dévolu au cimetière constitue l’assiette foncière d’un projet immobilier.
En effet, ce n’est que lorsqu’elle décidera d’affecter cet espace à une "utilité publique" (mais est-ce qu’un projet immobilier constitue une telle utilité ?) qu’elle pourra refuser d’y inhumer les défunts disposant d’une concession funéraire. Or, force est de constater que cette expression "utilité publique", si l’on se doute qu’elle ne renvoie pas à une déclaration d’utilité publique (le cimetière relevant du domaine public depuis l’arrêt du Conseil d’État Marecar de 1935, il est exclu du champ d’application de l’expropriation : CE 3 décembre 1993 Ville de Paris/Parents, Lebon, p. 340), n’est pas définie plus avant ni par le Code ni par la jurisprudence. La commune devra alors être des plus prévoyante, puisque le refus d’inhumation permettra non pas d’accomplir le projet "d’utilité publique", mais seulement de commencer de refuser les inhumations dans le cimetière fermé. Ce refus constituera alors le point de départ du délai de dix ans dont l’écoulement permettra l’aliénation en vertu des dispositions de l’art. L. 2223-8 du CGCT.

Une aliénation potentiellement rendue plus difficile

Ainsi, potentiellement, chaque emplacement concédé pourra continuer de recevoir des inhumations. Or, entre les opérations de réductions de corps (qu’il est impossible de refuser depuis leur assimilation à une exhumation par la Cour de cassation (voir, sur ce point, "Encadrement de l’opération de réduction de corps : un arrêt à contrecourant de la modernisation du droit funéraire, Cour de cassation, 16 juin 2011, n° 10-13580, note Ph. Dupuis, RLCT, septembre 2011, p. 38), les scellements d’urnes et les inhumations d’urnes, les inhumations pourront se perpétuer sans que la notion de places disponibles soit vraiment dirimante pour les familles, qui disposeront toujours d’un emplacement concédé en cours de validité ou perpétuel.

Enfin, au bout de ce délai, les familles devraient pouvoir exiger de la commune le déplacement des dépouilles de leurs défunts dans le nouveau cimetière. Cette translation des corps devrait rester à la charge de la commune (R. 2223-10 du CGCT). En revanche, le transfert des monuments du nouveau caveau restera à leur charge, puisque le juge administratif procède à une lecture stricte des dispositions de cet article (CE 11 décembre 1963 Dame Despax).

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.

Résonance numéro spécial - Décembre 2018

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