La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de se prononcer sur la non-conformité au regard du droit de l’Union européenne d’une réglementation nationale ayant pour effet d’interdire aux dépositaires d’une urne cinéraire d’en confier la garde, contre paiement, à une entreprise privée.
Maître Stéphan Denoyés. |
En effet, la réglementation italienne prévoit que :
En vertu de l’art. 92, paragraphe 4, du décret du président de la République n° 285, du 10 septembre 1990 : "Nul ne peut concéder des parcelles pour des sépultures privées à des personnes physiques ou morales qui entendent en tirer profit ou se livrer à la spéculation".
Tandis que celle de la commune de Padoue indique que :
"La garde de l’urne cinéraire ne peut en aucun cas être exercée dans un but lucratif et, par conséquent, ne sont pas autorisées les activités économiques dont l’objet, même non exclusif, est la garde d’urnes cinéraires à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée. Cette interdiction vaut même en cas de volonté expresse manifestée par le défunt de son vivant".
De son côté, la requérante, la société MEMORIA, exploite des lieux dits "lieux de mémoire" destinés à offrir aux familles de défunts incinérés un service de garde de leurs urnes cinéraires au moyen de contrats de cession d’emplacements pour le dépôt de celles-ci dans des columbariums.
Estimant que la réglementation italienne était contraire au droit de l’Union, la société MEMORIA a saisi les juridictions italiennes compétentes, lesquelles ont décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle.
La Cour de justice devait se prononcer sur l’interdiction par la législation italienne de l’ouverture à des acteurs privés des activités de garde des restes mortels, interdisant aux ressortissants de l’Union de fournir un service de garde d’urnes cinéraires dans l’État membre concerné. Pour les requérants, cette réglementation fait obstacle à ce que ces ressortissants s’y établissent afin d’exercer cette activité. Dès lors elle serait susceptible de gêner l’exercice par lesdits ressortissants de la liberté d’établissement garantie par le traité.
Suivant en partie les conclusions de l’avocat général de la Cour, un arrêt de la CJUE vient de décider que la réglementation italienne interdisant aux entreprises privées d’exercer cette activité privée de garde d’urnes funéraires est contraire au droit de l’Union.
"L’art. 49 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit, même en dépit de la volonté expresse du défunt, au dépositaire d’une urne cinéraire d’en confier la garde à un tiers, qui lui impose de la conserver dans son habitation, sauf à la confier à un cimetière municipal, et, en outre, qui proscrit toute activité exercée à titre lucratif ayant pour objet, même non exclusif, la garde d’urnes cinéraires, à quelque titre que ce soit et quelle qu’en soit la durée".
En d’autres termes : une réglementation nationale qui interdit aux ressortissants de l’Union de fournir un service de garde d’urnes funéraires dans un État membre instaure une restriction à la liberté d’établissement, au sens de l’art. 49 du TFUE.
Pour parvenir à cette solution, la CJUE s’est livrée à une analyse de la proportionnalité de la mesure italienne aux objectifs poursuivis. La Cour régulatrice a estimé que l’interdiction simple de recourir à des prestataires privés, même justifiée par des considérations de santé publique ou d’intérêt général (comme le respect dû à la mémoire des défunts) n’était pas proportionnée au but recherché.
La Cour estime également que :
"Les cendres funéraires, à la différence des dépouilles mortelles, sont inertes d’un point de vue biologique, puisque rendues stériles par la chaleur, de sorte que leur conservation ne saurait représenter une contrainte imposée par des considérations de santé publique". En conséquence de quoi, le motif lié à la protection de la santé publique n’est pas satisfait.
Enfin, pour l’anecdote, l’avocat général soutenait que :
"L’interdiction en cause pourrait cependant être justifiée par des raisons d’ordre public national, liées à la protection d’intérêts ou de valeurs culturelles ou morales essentielles largement partagés dans l’État membre concerné, si cette interdiction est indispensable pour respecter ces intérêts et ces valeurs et qu’il est impossible de concevoir d’autres mesures moins rigoureuses ayant la même finalité, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier".
L’État italien, dans le même sens, soutenait que les "valeurs morales et religieuses dominantes dans l’État membre" s’opposaient "à ce que les activités de garde de restes mortels puissent avoir une visée lucrative". Or, la Cour relève que "l’activité de conservation de cendres mortuaires fait l’objet, dans cet État membre, d’une tarification qui est fixée par le ministère de l’Intérieur, après consultation du ministère de la Santé et de certaines associations". Dès lors, rien n’empêchait de déterminer ce même encadrement tarifaire les acteurs privés de garde des restes mortels.
Ce point n’a pas été retenu par la Cour.
Stéphan Denoyés
Avocat associé
"Donnez du sens à vos droits"
Résonance numéro spécial - Décembre 2018
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