Le transport international de corps est indubitablement problématique, même à l’intérieur de l’Union européenne, puisqu’il n’existe pas de règles communes aux États membres.
Philippe Dupuis. |
Il existe, ainsi que le rappelle la réponse ministérielle (voir rép. min. n° 29642, JOAN Q, 20 novembre 1995, p. 4913), deux accords internationaux qui régissent ces transports.
Le premier est l’accord de Berlin du 10 février 1937 auquel la France est partie. À côté de l’accord de Berlin, le Conseil de l’Europe élabora l’accord de Strasbourg le 26 octobre 1973 (reproduit in G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires, 2e édition, Le Moniteur, p. 232). La France a ratifié 27 ans plus tard cet accord, entré en vigueur le 10 février 2000 (décret n° 2000-1033 du 17 octobre 2000 portant publication de l’accord sur le transfert des personnes décédées, reproduit in Collectivités-Intercommunalité, 2000, comm. n° 290).
La ratification de cet accord par la France a été la bienvenue, car l’ancienneté de l’accord de Berlin ne permettait plus de prendre en compte la réalité sanitaire d’aujourd’hui. De surcroît, le juge a consacré une approche plus souple lorsqu’il s’agit d’opérer un transport dans le cadre de régions frontalières.
En effet, dans une affaire pour laquelle s’appliquait l’arrangement de Berlin du 10 février 1937 (l’accord de Strasbourg du 26 octobre 1973 prévoit également de possibles dérogations lorsqu’il s’agit de transfert entre régions frontalières), le juge administratif a considéré que le transport en vue d’une crémation de corps provenant d’Allemagne pouvait s’opérer après passage de la frontière sans cercueil hermétique (CAA Nancy, 26 juin 2008, n° 07NC00112, Sté Pompes Funèbres Alain Hoffarth – D. Dutrieux, L’encadrement juridique du rapatriement d’un défunt de l’étranger : Tourisme et Droit 2009, n° 106, p. 27).
Or, à compter du moment où un cercueil hermétique s’impose à raison du transport, la crémation, si elle est demandée, suppose dans la plupart des cas un changement de cercueil problématique juridiquement. En effet, existe un obstacle textuel : "Après accomplissement des formalités prescrites aux articles 78, 79 et 80 du Code civil et à l’art. R. 2213-17 du présent Code, il est procédé à la fermeture définitive du cercueil" (art. R. 2213-20 du CGCT). Ce cercueil ne peut normalement être ouvert qu’au bout d’un délai de cinq années.
En effet, l’art. R. 2223-5 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que "l’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années". Cette disposition est traditionnellement lue comme nécessitant une période minimum de cinq années d’inhumation pour un défunt.
Ensuite, juridiquement (à défaut de l’être toujours en pratique), une exhumation est possible, or, de nouveau, le Code dispose que : "Lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé cinq ans depuis le décès". (R. 2213-42 CGCT).
Or, si la crémation est un mode de sépulture choisi par le défunt de son vivant, ou déterminé par la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles lorsque sa volonté n’a pas été manifesté explicitement, l’art. R. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire attribue compétence au tribunal d’instance pour connaître des contestations sur les conditions des funérailles.
En l’état actuel du droit, rien ne semble alors pouvoir surmonter l’inextricable contradiction entre l’impossibilité ou la difficulté technique de la crémation d’un cercueil hermétique d’avec les dispositions légales ou réglementaires interdisant la réouverture d’un cercueil. Le gouvernement semble néanmoins en ouvrir la possibilité : "Enfin, en l’état actuel du droit, ni le maire ni le préfet ne peuvent autoriser la réouverture du cercueil ; il appartient donc à la famille souhaitant faire procéder à la crémation d’une personne décédée à l’étranger de solliciter auprès du procureur de la République une telle autorisation permettant le transfert du corps de la personne décédée dans un cercueil en bois, conforme aux prescriptions fixées par l’art. R. 2213-25 du CGCT et utilisable en cas de crémation." (Rép. min. à quest. écrite n° 51785 : JOAN Q, 1er févr. 2005 p. 1120).
La dernière réponse ministérielle est intéressante ici à un double titre, tout d’abord parce qu’elle confirme qu’une réflexion est en cours pour prendre en compte ce délicat problème, et également parce qu’elle précise fort heureusement que : "En l’état actuel du droit, le cercueil ne peut être rouvert sans autorisation, sauf à constituer une violation de sépulture (art. 225-17 du Code pénal). Le procureur de la République peut être sollicité seulement dans le cadre d’une procédure judiciaire, en cas de doute sur l’identité de la personne se trouvant dans le cercueil ou de circonstances suspectes entourant le décès". Indubitablement, c’est le juge d’instance compétent en matière de choix du défunt, dans l’organisation des funérailles, qui devrait logiquement prévaloir.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
Résonance n° 144 - Octobre 2018
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