Si la personnalité juridique disparaît en principe avec la mort, le droit reconnaît toutefois le pouvoir de la volonté au-delà de la mort, comme la liberté de chacun de régler les conditions de ses funérailles. Classiquement, ce sont les écrits du défunt qui prévalent (testament authentique, manuscrit, etc.). En leur absence, il n’est pas rare que les proches s’affrontent sur cette question (inhumation ou incinération, lieu d’inhumation, etc.).
Me Stéphan Denoyes. |
La jurisprudence a régulièrement l’occasion de se prononcer sur ces questions, recherchant dans un premier temps quelles avaient été les intentions du défunt, et, à défaut, de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider du mode d’obsèques.
En 1997, un arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 5 déc. 1997) rappelait que le sort réservé à la dépouille d’une personne décédée doit suivre la volonté exprimée par celle-ci de son vivant. Dans cette espèce, la juridiction donne la préférence à celles qui se rapportent à une volonté directement exprimée par le défunt, plutôt qu’à ceux qui se disent persuadés de l’intention de celui-ci. En d’autres termes, ce qui doit prévaloir, c’est la volonté du défunt, exprimée de son vivant, ou le cas échéant par le témoignage des proches, et non le sentiment que peuvent en avoir certains proches, encore moins la volonté de ces derniers. Cette position a été plusieurs fois confirmée (CA Paris, 1re ch., sect. B, 27 mars 1998, n° 98/06659 : CA Agen, 1re ch., 20 janv. 1999, n° 97000505).
Ainsi, à défaut de manifestation expresse ou tacite de la part du défunt, le pouvoir d’organiser les funérailles passe au membre de la famille le mieux placé pour connaître ses désirs et s’en faire l’interprète :
- le conjoint survivant ou le concubin, sauf mésentente (Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-14296 ; Cass. 1re civ., 2 févr. 2010, n° 10-11.295) ou caractère récent du mariage (CA Poitiers, 18 déc. 2013) ou le dernier voyage (CA d’Angers, 26 avril 2016, n° 16/01195) ;
- les père et mère (Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-18.951) ;
- les enfants (CA Paris, pôle 1, ch. 2, 17 sept. 2015, n° 15/18548 ;C A Nancy, 23 juill. 1998, n° 2171/98) ;
- le frère ou la sœur désigné comme curateur (CA Dijon, 3e ch., 29 sept. 2016, n° 15/01304) ;
- voire un ami de longue date (Cass. 1re civ., 27 mai 2009, n° 09-66.589).
Un arrêt de la cour d’appel de Paris (Pôle 1 - chambre 2, 20 décembre 2017, n° 17/22662) a également considéré que : "Si la désignation de Mme D C par H X comme tiers digne de confiance sur le fondement de l’art. 1111-6 du Code de la santé publique(1) ne lui confère pas le mandat d’organiser les obsèques de celle-ci, cette désignation démontre néanmoins l’existence d’un lien fort de confiance et d’affection entre elles".
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 24 août se situe dans ce mouvement (CA PARIS, Pôle 1 - chambre 1, 24 août 2018, n° 18/19223). Il rappelle que, lorsque le défunt majeur ou le mineur émancipé en état de tester n’a pas exprimé d’intentions au sujet, il appartient à ses proches de régler ses funérailles et sa sépulture par interprétation de sa volonté présumée, et qu’en cas de contestation, il revient au juge du fond de déterminer la personne la mieux qualifiée pour transmettre les intentions du défunt et décider des modalités de ses funérailles.
Elle constate en l’espèce que, le défunt n’ayant laissé aucune directive écrite, il convient de se référer au propos tenus et comportements de ce dernier manifestés à l’égard de ses proches, en l’occurrence de ses enfants, par préférence aux propos tenus à l’égard de tiers dont la proximité réelle avec le défunt n’est au surplus pas établie.
La Cour rejette ainsi les témoignages "rédigés en termes laconiques et identiques, étant relevé que MM. M ne donnent aucune précision sur la nature des relations qu’ils entretenaient avec A B, et les circonstances dans lesquelles ce dernier leur aurait tenu les propos rapportés ne permettent pas de retenir qu’ils sont de nature à transmettre la volonté du défunt quant au lieu de ses funérailles".
La cour d’appel procède ensuite à une analyse in concreto pour infirmer l’ordonnance entreprise et retenir un attachement profond du défunt à son pays d’origine : voyage récent, échange avec les enfants, courriers de la famille restée dans le pays d’origine.
Cet arrêt confirme toute l’importance pour le professionnel du funéraire de bien s’assurer des dernières volontés du défunt. En effet, dans un autre arrêt rendu cette année (cour d’appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 28 février 2018, n° 18/04101), la cour de Paris a condamné la société X aux entiers dépens dans la mesure où celle-ci s’était écartée de la lettre d’un avenant au contrat d’obsèques.
Rappelons enfin que le non-respect de la volonté du défunt est pénalement sanctionné (art. 433-21-1 du Code pénal). Ainsi, à titre d’exemple, dans un arrêt du 14 mars 2013, la cour d’appel de Paris a condamné un fils ayant fait procéder à la crémation du corps de son père, alors que ce dernier souhaitait faire don de son corps à la science.
Nota : (1) Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment. […] |
Stéphan Denoyes
Avocat associé
"Donnez du sens à vos droits"
Résonance n°143 - Septembre 2018
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