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Nous avions dans le numéro précédent de "Résonance" présenté les différentes hypothèses de mise en œuvre de la responsabilité communale dans le cimetière. L’actualité jurisprudentielle récente nous permet d’en proposer une nouvelle occurrence, où, successivement les deux ordres de juridictions ont été appelés à se prononcer.

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

Cour de cassation - 2e chambre civile - 24 mai 2018
Rejet - Numéro de pourvoi : 16-25.052

Les faits : une chute dans une fosse fraîchement creusée

Les faits étaient les suivants : alors qu’elle se rendait sur la sépulture de son beau-frère inhumé quelques jours plus tôt dans le cimetière de Cornebarreu à Toulouse, Mme K. a fait une chute dans la fosse voisine, creusée la veille par un marbrier et seulement recouverte d’une tôle ; que, saisie d’une demande d’indemnisation formée contre la commune de Toulouse, une juridiction administrative a opéré un partage de responsabilité, après avoir constaté que la victime avait commis des fautes d’imprudence ; que Mme K. a alors assigné la société Marbrerie L. en responsabilité et indemnisation de ses préjudices, en présence de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de la Haute-Garonne.

Or, le juge retient que : "Mme K. avait commis une faute en pénétrant dans le cimetière en dehors des heures d’ouverture au public et en prenant le risque de traverser, à une heure où le jour n’était pas encore levé, le terrain d’une concession voisine à celle de son beau-frère, alors qu’il n’était pas établi qu’elle n’aurait pas eu la possibilité d’y accéder normalement par les allées destinées à la circulation des usagers, puis souverainement estimé que cette faute justifiait d’exonérer partiellement la société Marbrerie L. de sa responsabilité à concurrence des trois quarts".

Une responsabilité communale atténuée par la faute de la victime

Il faut comprendre qu’après avoir obtenu la mise en cause de la responsabilité de la commune pour un quart des dommages subis, elle obtient la condamnation du marbrier pour un quart également. Par-delà l’intérêt intrinsèque de ce contentieux porté devant les deux ordres de juridictions, il est loisible de relever que, dans l’hypothèse de la commune, Mme K. était usager du cimetière, et ce peu importe qu’elle en soit d’ailleurs un usager régulier ou non. Néanmoins, ce n’est pas sur le fondement de l’entretien normal de l’ouvrage que la responsabilité communale a été poursuivie, puisqu’il n’est fait aucunement mention d’un manque d’entretien du cimetière, mais bien sur l’insuffisante vérification que le marbrier respectait bien les préconisations du règlement municipal des cimetières de la ville de Toulouse. Il s’agit ainsi d’un manquement à une obligation de police : la commune est donc sanctionnée pour disposer d’un règlement de cimetière fixant des préconisations qu’elle ne vérifie pas en pratique.

Néanmoins, elle est exonérée de sa responsabilité en partie grâce à l’existence de ce règlement, qui doit nécessairement fixer des horaires d’ouverture et de fermeture du cimetière sans pour autant d’ailleurs que les éventuelles voies d’accès à ce cimetière soient closes, car, autrement, comment comprendre l’irruption dès potron-minet de Mme K. C’est bien alors parce que la requérante se trouve très tôt dans le cimetière en dehors des heures d’ouverture que la responsabilité communale est atténuée, ceci plaide nécessairement d’ailleurs pour qu’un règlement de cimetière fixe de tels horaires, et permet de démontrer qu’une fermeture juridique suffit au juge, sans que pour autant le cimetière dispose de grilles fermées.

En effet, le simple fait de se retrouver à l’intérieur en dehors des horaires d’ouverture est ici un facteur de diminution de la responsabilité communale. Enfin, on y ajoutera le fait qu’elle préfère emprunter les espaces intertombes plutôt que les allées pourtant prévues à cet effet, alors qu’indubitablement ces espaces ne sont pas dévolus à la circulation générale des usagers du cimetière, mais uniquement à la circulation autour des sépultures.

Une responsabilité du marbrier atténuée également par la faute de la victime

Mme K. vient ensuite rechercher la responsabilité du marbrier pour n’avoir couvert que d’une simple tôle la fosse voisine, ce qui entraîna sa chute lorsqu’elle marcha dessus, alors, derechef, que le règlement des cimetières de Toulouse exigeait que : "Les travaux étaient exécutés de manière à ne pas compromettre la sécurité et la salubrité publique et que les fouilles laissées en attente devaient être entourées d’une barrière ou être couvertes par des planchers solides afin d’éviter les accidents". C’est donc tout naturellement sur le terrain de l’art. 1382 du Code civil et donc de la faute que le juge judiciaire retient la responsabilité du marbrier, mais, à l’égal du juge administratif, exonére ce marbrier des trois quarts de celle-ci, eu égard au comportement de la victime.

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Chute cimetière hors ouverture, faute partielle victime

CIV. 2 CF - Cour de cassation
Audience publique du 24 mai 2018 - Rejet

Mme Flise, président
Arrêt n° 727 F D - Pourvoi n° M 16-25.052

République française au nom du peuple français

La cour de cassation, deuxième chambre civile, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par Mme K., domiciliée B, contre l’arrêt rendu le 25 janvier 2016 par la cour d’appel de Toulouse (1re chambre, section 1), dans le litige l’opposant :

1 / à la société Marbrerie L., société à responsabilité limitée, dont le siège est à T,
2 / à la CPAM de la Haute-Garonne, dont le siège est à T, défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

La cour, en l’audience publique du 11 avril 2018, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme K., de la SCP Odent et Poulet, avocat de la société Marbrerie L., l’avis de M. Grignon-Dumoulin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 25 janvier 2016), que le 11 janvier 2008, alors qu’elle se rendait sur la sépulture de son beau-frère inhumé quelques jours plus tôt dans le cimetière de Cornebarreu à Toulouse, Mme K. a fait une chute dans la fosse voisine, creusée la veille par la société Marbrerie L. et seulement recouverte d’une tôle ; que, saisie d’une demande d’indemnisation formée contre la commune de Toulouse, une juridiction administrative a opéré un partage de responsabilité, après avoir constaté que la victime avait commis des fautes d’imprudence ; que Mme K. a alors assigné la société Marbrerie L. en responsabilité et indemnisation de ses préjudices, en présence de la CPAM de la Haute-Garonne ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme K. fait grief à l’arrêt de limiter son indemnisation à un quart des dommages, alors, selon le moyen :

1 / que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux décisions rendues sur le même objet, entre les mêmes parties, lorsque la demande est fondée sur la même cause ; que, en l’absence de représentation mutuelle entre eux, l’un des coresponsables d’un dommage ne peut se prévaloir du partage de responsabilité obtenu par un autre coresponsable ; que, pour exonérer le marbrier de sa responsabilité à hauteur des trois quarts, l’arrêt s’est fondé sur la décision du tribunal administratif ayant uniquement statué sur l’action de la victime à l’encontre de la commune et ayant limité la part de responsabilité de cette dernière à un quart des conséquences dommageables de l’accident ; que la cour d’appel s’est appuyée sur la circonstance que cette décision était "définitive" et que les fautes commises par la commune et par la victime avaient été caractérisées par le tribunal administratif ; qu’en fondant la solution retenue sur une décision rendue par une autre juridiction lors d’une instance qui n’opposait pas les mêmes parties, la cour d’appel a méconnu l’étendue de l’autorité de la chose jugée en violation de l’art. 1351 du Code civil ;

2 / que la motivation par voie de référence équivaut à un défaut de motifs ; qu’une juridiction ne peut renvoyer à une décision rendue dans une autre instance et en reprendre les motifs qu’à la condition de préciser en quoi consiste l’analogie des situations justifiant l’application à l’espèce de la solution tranchée dans le cadre d’une autre instance ; qu’en se bornant à énoncer que les fautes commises par la victime et par la commune avaient été caractérisées par le tribunal administratif et qu’il y avait lieu de reprendre sa décision y compris dans sa motivation, de sorte qu’il convenait de considérer que les fautes de la victime exonéraient partiellement le marbrier de son obligation de réparer à hauteur des trois quarts, motivant ainsi sa décision par voie de référence à une décision rendue dans une autre instance n’opposant pas les mêmes parties, sans expliquer en quoi la faute commise par la commune et celle perpétrée par le marbrier auraient été analogues, la cour d’appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l’art. 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d’abord, que la cour d’appel ne s’est pas fondée sur l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du tribunal administratif pour limiter la responsabilité de la société Marbrerie L. ;

Et attendu, ensuite, que c’est sans encourir le grief visé par la seconde branche du moyen, que la cour d’appel, qui ne s’est pas bornée à une simple référence à une décision antérieure, a repris à son compte, en les rappelant expressément, les motifs du jugement du tribunal administratif retenant que Mme K. avait commis une faute en pénétrant dans le cimetière en dehors des heures d’ouverture au public et en prenant le risque de traverser, à une heure où le jour n’était pas encore levé, le terrain d’une concession voisine à celle de son beau-frère, alors qu’il n’était pas établi qu’elle n’aurait pas eu la possibilité d’y accéder normalement par les allées destinées à la circulation des usagers, puis souverainement estimé que cette faute justifiait d’exonérer partiellement la société Marbrerie L. de sa responsabilité à concurrence des trois quarts ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le second moyen, tel que reproduit en annexe :

Attendu que le rejet du premier moyen rend sans portée le second qui invoque une cassation par voie de conséquence ;

Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
Condamne Mme K. aux dépens ;
Vu l’art. 700 du Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit.

Moyens annexés au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocats aux Conseils, pour Mme K.

Premier moyen de cassation

Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir limité l’indemnisation du préjudice subi par la victime d’un accident (Mme K., l’exposante), imputable à un tiers (la société Marbrerie L.), à un quart des dommages ;

Aux motifs que, le tribunal administratif avait estimé que la commune avait insuffisamment contrôlé la conformité au règlement municipal des travaux exécutés sur la concession privée à l’origine du dommage ; qu’il en avait déduit que cette faute était de nature à engager la responsabilité de la commune, mais qu’il convenait de tenir compte de celle de la victime qui avait pénétré dans le cimetière en dehors des heures d’ouverture au public et qui avait pris le risque de traverser, à une heure où le jour n’était pas encore levé, le terrain d’une concession voisine de celle de son beau-frère quand il n’était pas établi qu’elle n’aurait pas eu la possibilité d’y accéder normalement par les allées destinées à la circulation des étrangers ; que le tribunal administratif avait en conséquence limité la part de responsabilité de la commune à un quart des conséquences dommageables de l’accident ; que cette décision en date du 20 juillet 2012 était définitive, aucune partie n’en ayant relevé appel ; que la société Marbrerie L. ne contestait pas avoir commis une faute, mais estimait que celles commises par la victime et relevées par le tribunal administratif devaient l’exonérer de sa responsabilité à hauteur des trois quarts ; qu’il était établi que la couverture en tôle qui avait cédé sous le poids de Mme K. ne constituait pas un dispositif de protection suffisant au regard des dispositions de l’art. 33 du règlement municipal des cimetières de la ville de Toulouse, qui prévoyait que les travaux étaient exécutés de manière à ne pas compromettre la sécurité et la salubrité publique et que les fouilles laissées en attente devaient être entourées d’une barrière ou être couvertes par des planchers solides afin d’éviter les accidents ; que, dès lors, la faute de la société Marbrerie L. était établie sur le fondement de l’art. 1382 du Code civil ; que, cependant, eu égard aux fautes commises par la victime et par la commune caractérisées par le tribunal administratif dans sa décision et qu’il y avait lieu de reprendre, y compris au niveau de sa motivation sur ce point, il convenait de considérer que celles-ci exonéraient partiellement la société Marbrerie L. de son obligation de réparer à hauteur des trois quarts ;

Alors que, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux décisions rendues sur le même objet, entre les mêmes parties, lorsque la demande est fondée sur la même cause ; que, en l’absence de représentation mutuelle entre eux, l’un des coresponsables d’un dommage ne peut se prévaloir du partage de responsabilité obtenu par un autre coresponsable ; que, pour exonérer le marbrier de sa responsabilité à hauteur des trois quarts, l’arrêt infirmatif attaqué s’est fondé sur la décision du tribunal administratif ayant uniquement statué sur l’action de la victime à l’encontre de la commune et ayant limité la part de responsabilité de cette dernière à un quart des conséquences dommageables de l’accident ; que la cour d’appel s’est appuyée sur la circonstance que cette décision était "définitive" et que les fautes commises par la commune et par la victime avaient été caractérisées par le tribunal administratif ; qu’en fondant la solution retenue sur une décision rendue par une autre juridiction lors d’une instance qui n’opposait pas les mêmes parties, la cour d’appel a méconnu l’étendue de l’autorité de la chose jugée en violation de l’art. 1351 du Code civil ;

Alors que, subsidiairement, la motivation par voie de référence équivaut à un défaut de motifs ; qu’une juridiction ne peut renvoyer à une décision rendue dans une autre instance et en reprendre les motifs qu’à la condition de préciser en quoi consiste l’analogie des situations justifiant l’application à l’espèce de la solution tranchée dans le cadre d’une autre instance ; qu’en se bornant à énoncer que les fautes commises par la victime et par la commune avaient été caractérisées par le tribunal administratif et qu’il y avait lieu de reprendre sa décision y compris dans sa motivation, de sorte qu’il convenait de considérer que les fautes de la victime exonéraient partiellement le marbrier de son obligation de réparer à hauteur des trois quarts, motivant ainsi sa décision par voie de référence à une décision rendue dans une autre instance n’opposant pas les mêmes parties, sans expliquer en quoi la faute commise par la commune et celle perpétrée par le marbrier auraient été analogues, la cour d’appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l’art. 455 du Code de procédure civile.

Second moyen de cassation

Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir limité à 5 463,70 € le montant de l’indemnité due à une victime (Mme K., l’exposante) par le tiers responsable (la société Marbrerie L.) ;

Aux motifs que, au total, le préjudice corporel subi par Mme K. s’élevait à 25 015,83 € ; que, compte tenu de la faute de la victime, la condamnation mise à la charge de la société L. s’élevait à un quart de ces sommes ; que la société Marbrerie L. devait verser à la victime la somme de 5 463,70 € ;

Alors que, en application de l’art. 624 du Code de procédure civile, la censure à intervenir sur le premier moyen relatif à la répartition des responsabilités entre la victime et le marbrier emportera l’annulation par voie de conséquence de l’arrêt infirmatif attaqué en ce qu’il a limité à la somme de 5 463,70 € l’indemnité due par le tiers responsable à la victime.

Composition de la juridiction : Mme Flise, M. Grignon-Dumoulin, Mme Parchemal, Mme Touati, SCP Thouvenin, Coudray et Grevy, SCP Odent et Poulet.

Décision attaquée : cour d’appel Toulouse ch. 01 sect. 01 2016-01-25

Résonance n°143 - Septembre 2018

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