Cour administrative d’appel de Marseille, 13 juillet 2017, n°15MA02239
L’association "Les amis de Mas Marchand, Mouloud Feraoun et de leurs compagnons" a contesté devant le Tribunal administratif une convention conclue entre la Commune de Marignane et l’association "Amicale pour la Défense des Intérêts Moraux et matériels des Anciens Détenus et exilés politiques de l’Algérie française " (ADIMAD) portant occupation du domaine public d’une durée de 15 ans en vue de l’implantation d’une stèle commémorative sur un emplacement du cimetière communal.
Suite au rejet de sa requête, l’association requérante a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Marseille.
La Cour rejette également la requête de l’association ADIMAD au motif que la convention conclue autorisant l’implantation d’une stèle commémorative sur un emplacement du cimetière communal n’est pas incompatible avec la destination normale du cimetière, ne méconnaît pas le principe de neutralité et n’est pas dépourvue de tout intérêt communal.
La stèle ne fait aucune référence explicite à des faits criminels et peut être regardée comme un monument commémoratif à la mémoire des victimes civiles et militaires de la "guerre d’Algérie", dont il n’est pas contesté que beaucoup de leurs proches ou de membres de leurs familles résident sur le territoire de la commune de Marignane.
Il n’est pas davantage contesté que la stèle est érigée sur un emplacement à l’écart des sépultures et des lieux de passage habituels des usagers du cimetière.
[…]
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la stèle en cause comporte en son centre un bronze représentant un homme s’effondrant sous le feu ; que, sur la partie gauche, sont inscrites les mentions 1830/1962, 20 août 1955, 24 janvier 1960, 26 mars 1962 et 5 juillet 1962, qui correspondent, pour la première, à la présence française en Algérie, et pour les autres, aux dates d’évènements particulièrement tragiques de cette période communément appelés, respectivement, les massacres du Constantinois, la semaine des barricades, la fusillade de la rue d’Isly et les massacres d’Oran ; qu’enfin apparaissent les mentions "À la mémoire de nos compatriotes et des combattants civils et militaires qui ont perdu la vie pour que l’Algérie demeure française", sur la partie droite du monument, et "Aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française", sur le pied de la stèle ;
3. Considérant que la stèle ne fait aucune référence explicite à des faits criminels ; qu’elle peut être regardée comme un monument commémoratif à la mémoire des victimes civiles et militaires de la "guerre d’Algérie", dont il n’est pas contesté que beaucoup de leurs proches ou de membres de leurs familles résident sur le territoire de la commune de Marignane ; qu’il n’est pas davantage contesté que la stèle est érigée sur un emplacement à l’écart des sépultures et des lieux de passage habituels des usagers du cimetière ; que, dans ces conditions, la convention en litige autorisant l’implantation de ce monument sur le domaine public n’est pas incompatible avec la destination normale d’un cimetière, ne méconnaît pas le principe de neutralité et n’est pas dépourvue de tout intérêt communal ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que M. E...et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande ; que, par suite, les conclusions à fin d’injonction doivent être rejetées ; 5. Considérant que les dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Marignane, qui n’a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. E...et autres et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune sur le même fondement.
Décide :
1er : La requête de M. E... et autres est rejetée.
Article 2
Les conclusions de la commune de Marignane présentées sur le fondement des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Article 3
Le présent arrêt sera notifié à M. K...E..., à Mme D...F..., à Mme H...M..., à Mme C...G..., à M. L...J..., à l’association "Les amis de Mas Marchand, Mouloud Feraoun et de leurs compagnons" et à la commune de Marignane.
2. Conseil d’État, avis, 28 juillet 2017, n°408920
Le Conseil d’État a été saisi pour avis du Tribunal administratif de Poitiers sur des questions relatives au principe de laïcité et au culte des morts.
Plus spécifiquement le Tribunal administratif de Poitiers était saisi d’une demande d’annulation d’une décision d’un maire rejetant la demande de retrait de la croix ornant le portail du cimetière communal.
Le Conseil d’État considère que les signes et emblèmes religieux figurant sur les bâtiments publics avant l’entrée en vigueur de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État peuvent y demeurer, être entretenus ou remplacés, outre l’application des dispositions au profit de la protection des monuments historiques prévues par le Code du patrimoine.
Par ailleurs, la Haute Assemblée refuse de donner un avis sur la deuxième question posée relative à la charge de la preuve de la présence de la croix postérieure à la loi de 1905 devant le juge de l’excès de pouvoir (recours en annulation) en ce qu’elle ne constitue pas une "question de droit nouvelle" conformément aux conditions posées par les dispositions de l’art. L. 113-1 du Code de justice administrative permettant la transmission du dossier au Conseil d’État pour avis par le tribunal administratif.
[…]
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 1500305 du 9 mars 2017, enregistré le 15 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le tribunal administratif de Poitiers, avant de statuer sur la demande de M. A... tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Prinçay a rejeté sa demande tendant à ce que la croix ornant le portail du cimetière communal soit déposée, a décidé, par application des dispositions de l’art. L. 113-1 du Code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’État, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière doit-elle, par principe, être regardée comme un signe ou emblème religieux dont l’installation est interdite depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 ou, au contraire, est-elle susceptible de revêtir une pluralité de significations de sorte qu’il appartient au juge de rechercher, dans chaque espèce, si cette croix constitue simplement un élément visant à signaler de manière traditionnelle la présence d’un cimetière ou si elle revêt le caractère d’un signe ou emblème religieux ;
2°) Lorsqu’un requérant demande au juge d’annuler la décision par laquelle une personne publique a refusé de procéder à la dépose d’un signe ou emblème religieux installé sur un monument public ou en quelque lieu public que ce soit, lui revient-il d’établir que ce signe ou emblème a été apposé postérieurement à l’entrée en vigueur de loi du 9 décembre 1905 ou appartient-il, à l’inverse, à la personne publique d’établir que ce signe ou emblème a été élevé antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le Code du patrimoine ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État ;
- le Code de justice administrative, notamment son art. L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,
- les conclusions de M. Édouard Crépey, rapporteur public ;
Rend l’avis suivant :
Sur la première question :
1. Le cadre juridique dans lequel cette question s’inscrit se trouve défini par les dispositions suivantes. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’art. 1er de la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant ni n’en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l’art. 1er de cette loi : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public" et, aux termes de son art. 2 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Pour la mise en oeuvre de ces principes, l’art. 28 de cette même loi précise que : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions".
2. Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes, s’opposent à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse. Toutefois, alors même qu’un cimetière est une dépendance du domaine public de la commune, la loi réserve notamment la possibilité d’apposer de tels signes ou emblèmes sur les terrains de sépulture, les monuments funéraires et les édifices servant au culte. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement. Indépendamment de ces règles, s’appliquent également les protections prévues par le Code du patrimoine au titre de la protection des monuments historiques.
Sur la seconde question :
3. Il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question, relative à la charge de la preuve devant le juge de l’excès de pouvoir, qui ne constitue pas une question de droit nouvelle au sens des dispositions de l’art. L. 113-1 du Code de justice administrative.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Poitiers, à M.A..., à la commune de Prinçay et au ministre d’État, ministre de l’Intérieur.
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