Parmi les mécanismes traditionnels de la responsabilité administrative, la responsabilité pour dommages occasionnels de travaux publics tient une place aussi importante que singulière.
Philippe Dupuis. |
En effet, traditionnellement, la mise en œuvre de la responsabilité de l’Administration est une responsabilité pour faute, il appartient à celui qui veut mettre en œuvre cette responsabilité de prouver la faute de l’Administration, qui, parfois, doit être simple, et parfois, de plus en plus rarement, lourde. Cette faute est toujours à démontrer par celui qui l’invoque.
Au contraire, dans la responsabilité pour dommages de travaux publics, la faute de l’Administration est présumée. Il s’opère ainsi un renversement de la charge de la preuve, plutôt favorable au demandeur qu’au défendeur, puisqu’au lieu que ce soit le demandeur qui prouve la faute administrative, c’est l’Administration qui doit prouver qu’elle n’a pas commis de faute. Cette responsabilité peut même connaître des hypothèses où aucune faute n’est exigée et où le juge admet la responsabilité, sans faute du défendeur.
L’existence d’un ouvrage public ou d’un travail public
L’expression désigne aussi bien les dommages causés par l’exécution de travaux publics que les dommages qui sont dus à l’existence même de l’ouvrage construit.
Pour qu’il y ait travail public, il faut soit :
- un travail immobilier exécuté pour le compte d’une personne publique dans un but d’intérêt général. C’est la jurisprudence commune de Montségur de 1921 du Conseil d’État ;
- un travail immobilier exécuté pour le compte d’une personne privée (TC Effimieff 28 mars 1955) dans le cadre d’une mission de service public.
Normalement, la plupart du temps, il résultera d’un travail public un ouvrage public. La responsabilité pour dommage de travaux publics trouvera donc à s’appliquer soit au travail public strictement entendu, soit à l’ouvrage public. Le cimetière constitue indubitablement un tel ouvrage.
Les dommages subis par les usagers d’un ouvrage public
L’usager d’un ouvrage public est celui qui, d’une manière ou d’une autre, tire profit de l’utilisation de l’ouvrage. Les hypothèses peuvent être aussi nombreuses qu’inattendues. Cette notion s’applique aux personnes utilisant l’ouvrage public, mais a été aussi étendue à ceux qui se retrouvent victimes de dommages causés non pas par l’ouvrage lui-même, mais par un bien qui en est l’accessoire.
Il en ira ainsi pour une personne dont la concession funéraire est endommagée par la chute d’un arbre planté dans la partie publique d’un cimetière (TA Amiens, req. n° 0200679, Mme Denise Bled-Disma c/ ville d’Amiens) ; d’un écolier blessé par une latte d’un banc implanté dans la cour d’une école (CAA de Nancy, 3 décembre 1998, département du Bas-Rhin, M. Arnaud De Tommasi), voire du propriétaire de moutons, empoisonnés, en broutant l’herbe d’un talus d’une route (CE, 29 novembre 1961, département des Bouches-du-Rhône c/ Blanc Rec. p. 672) ou bien encore d’une personne accoudée à une balustrade d’un théâtre public (C.E., 24 avril 1963, ministre d’État chargé des Affaires culturelles c/ Dame Abelsom, Rec. CE p. 240).
Il convient de remarquer qu’il peut advenir que le dommage trouve sa source dans un bien qui n’est pas incorporé physiquement à l’ouvrage public. Dans ce cas, l’usager de l’ouvrage est alors tiers par rapport à ce bien (exemple d’un batelier blessé en déployant une antenne de télévision de sa péniche et qui subit un dommage en touchant une ligne haute tension EDF : il est usager du canal, mais tiers par rapport à la ligne EDF, source du dommage).
Ces usagers de l’ouvrage public pourront engager la responsabilité du propriétaire de l’ouvrage. Il appartiendra alors à l’Administration de prouver qu’elle n’a pas commis de faute.
Le juge ne retiendra comme justification de l’Administration que deux hypothèses :
- soit la force majeure. C’est-à-dire la survenance d’un fait qui était irrésistible, imprévisible et extérieur à l’Administration. Il convient de remarquer que l’application de cette théorie du droit administratif est des plus rares ;
- soit le défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. Qu’entend-on par cette périphrase ?
Il faut que le propriétaire prouve que son ouvrage est normalement entretenu. Le défaut d’entretien normal est celui qui fait courir à l’usager ou au bénéficiaire un risque excédant ceux auxquels il doit normalement s’attendre lorsqu’il utilise l’ouvrage conformément à la destination normale de celui-ci.
Illustrons cette notion :
- est un défaut d’entretien le dommage causé à un usager d’une promenade et résultant de la chute sur son crâne d’une noix de coco car les cocotiers n’ont pas fait l’objet de l’entretien adéquat (CAA Paris, 22 mars 1994, Navutu) ;
- par contre, aucun défaut d’entretien normal dans le cas de chute de branches d’un pin qui n’avait pas besoin d’être élagué (CE 30 juin 1976 Carrier).
Ainsi, si le juge est conscient que l’Administration ne peut surveiller le moindre de ses ouvrages, seront sanctionnés les cas où des travaux nécessaires, identifiés depuis un certain temps, n’ont pas été réalisés. Par exemple, on se doute qu’il est impossible de poster un fonctionnaire sous chaque arbre au moment de la chute des feuilles, mais une chaussée doit être nettoyée régulièrement. Si la commune prouve que ses services le font régulièrement, sa responsabilité ne sera pas engagée. Par contre, si un amoncellement de feuilles mortes provoque une chute, et qu’il est impossible de démontrer que cet ouvrage est régulièrement nettoyé, la responsabilité de la commune sera retenue.
Il est à relever que la mise en place d’une signalisation ne saurait à elle seule empêcher la mise en cause de l’Administration. Par exemple, la signalisation de la présence de boue sur la chaussée ne peut pallier le retard mis à leur évacuation (CE 1er avril 1981, département du Calvados).
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°142 - Juillet 2018
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