Les faits sont les suivants : lors de l’inhumation de feu Hélène F... le 14 mai 2014, mère du requérant, le surveillant du cimetière Saint-Lazare de M… s’est opposé au déplacement du cercueil de feu Gustave F..., son père, inhumé en 1966, qui occupait le centre du caveau familial conçu pour quatre places, au motif que, eu égard à son ancienneté et au risque important de dispersion des ossements, cette opération nécessitait le dépôt d’une demande d’exhumation auprès du maire de Montpellier ; que le cercueil de sa mère a dû ainsi être superposé à celui de son père.
Philippe Dupuis. |
On relèvera alors dans l’arrêt le considérant suivant :
"Considérant, tout d’abord, qu’à supposer même que le déplacement d’un cercueil présentait des risques de dispersions des ossements et que la réunion du reste des corps inhumés s’imposent au regard des dispositions susvisées de l’art. R. 2213-42 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), cette opération n’a pas le caractère d’une exhumation au sens de l’art. R. 2213-40 du même Code, et ne nécessitait donc pas la demande formulée par le plus proche parent du mort".
Plus que de l’affaire elle-même c’est de ce point que nous discuterons principalement. Il nous semble en effet que le déplacement du cercueil et la réunion des restes des corps inhumés dans cette concession s’apparentent à l’opération dite de réduction de corps, qui en est le plus souvent le préalable. Ainsi, cette jurisprudence viendrait maintenir la position du juge administratif selon laquelle il ne s’agit pas d’une exhumation, mais d’une opération juridiquement différente. On sait qu’il en va tout autrement pour le juge judiciaire, et l’on trouve d’ailleurs des occurrences de cette position chez certaines cours administratives d’appel (CAA).
La pratique française des concessions funéraires, qu’elles soient collectives ou familiales, conduit à ce que, bien souvent, des personnes aient un droit à inhumation dans une sépulture, mais que celle-ci ne puisse plus les accueillir matériellement. La pratique administrative s’est alors développée de réunir les restes mortels d’un défunt ou même de plusieurs (on parlera alors de réunion de corps), consumés par leur séjour en terre, et à les déposer dans une boîte à ossements ("reliquaire"), qui, tout en demeurant dans le caveau, permet néanmoins l’introduction de nouveaux cercueils. Si le CGCT continue de ne pas prévoir cette opération, l’Administration la valide néanmoins tout en ne la démarquant pas explicitement de l’exhumation : (Rép. min. n° 5187, JO Sénat Q 14 avril 1994, p. 873).
Pour le juge judiciaire, la réduction de corps est une exhumation
En effet, la Cour de cassation, par un arrêt du 16 juin 2011 (Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-13.580), se prononça sur la nature juridique de l’opération de réduction de corps en l’assimilant à une exhumation. En opposition, le principe de l’opération de réduction de corps a été tout d’abord validé par le juge administratif (CE, 11 déc. 1987, n° 72998, Cne Contes c/ Cristini : Rec. CE 1987, p. 413 ; D. 1988, somm. p. 378, obs. F. Moderne et P. Bon).
Dans le même arrêt, le Conseil d’État, de surcroît, distingue explicitement la réduction de corps d’une exhumation. Longtemps, la position des juges judiciaires ne fut pas différente de celle de la juridiction administrative. Ainsi, la cour d’appel de Caen (CA Caen 1re chambre, Section civile et commerciale, 19 mai 2005, RG n° 03/03750) estimait que, lorsque le corps réduit retournait dans la sépulture dont il était issu, il n’y avait pas exhumation, ou bien encore plus récemment la CA de Dijon (CA Dijon, Chambre civile, n° 274A, RG n° 08/01394, 17 novembre 2009).
Il apparaissait donc que, lorsque des restes mortels pouvaient être réunis (puisque la matière organique ne rend plus solidaires les os les uns des autres), à la condition que ces restes ne quittent pas la sépulture, il n’y avait pas exhumation. La Cour de cassation en décida autrement. Il existerait donc une divergence de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction, obligeant à s’aligner sur la position la plus stricte.
Conséquences pratiques : qui doit demander la réunion/réduction ?
L’exhumation d’un défunt ne peut être demandée que par une personne bien précise. En effet, l’art. R. 2213-40 du CGCT énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande".
Or, cette expression ne connaît qu’une proposition de définition dans l’Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept.1999) paragraphe 426-7, qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs."
Si le Conseil d’État accepte de libérer la commune de toute velléité de contrôle de cette qualité à partir du moment où le sollicitant remplit une attestation sur l’honneur qu’il est bien le plus proche parent ou qu’il n’existe aucune opposition d’une personne venant au même degré de parenté que lui (CE 9 mai 2005, n° 262977, Rabau : JCP G, n° 40, 5 octobre 2005, II, 10131, note D. Dutrieux).
Il apparaît néanmoins que le juge du fond (CAA Bordeaux 5 juin 2008 req. n° 07BX00828) a estimé que la définition des primautés de degré de parenté, n’existant que dans l’instruction générale relative à l’état civil, ne le lie aucunement. Si cette position est logique, elle entraîne la conséquence pratique suivante : tout litige familial provoquera nécessairement un refus de délivrance de l’autorisation par le maire, et, corollairement, saisine du TGI pour résolution du conflit. Or le juge, en général, refusera l’exhumation dans la plupart des cas, pour ne pas que le repos des morts soit troublé par les divisions des vivants. L’exhumation ne sera accordée que dans deux cas (CA Toulouse, 7 février 2000 : JCP G 2000, IV, n° 2374) :
- soit la sépulture est provisoire ;
- soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant aux modalités de son inhumation.
C’est ce régime si particulier qui s’applique pour le juge judiciaire aux réductions de corps. L’avantage de ne pas qualifier cette opération d’exhumation était de permettre que le demandeur de l’opération ne soit pas le plus proche parent du défunt. Il était possible d’envisager que toute personne disposant du droit à inhumation dans une sépulture, où à tout le moins que toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, pouvait demander à ce qu’une réduction soit opérée pour justement faire valoir ce droit.
Pratiquement, il convient de ne pas oublier que, lors d’un décès, les familles ne disposent que de six jours pour organiser les funérailles (CGCT, art. R. 2213-33), or, si une réduction et une réunion sont nécessaires, il conviendra de demander au plus proche parent (qui n’est pas toujours aisé à contacter, et qui, surtout, n’est pas toujours le plus proche parent du défunt) son autorisation. On se dirige ainsi, tout droit, à ce que la seule solution rapide, et juridiquement sûre, soit de demander la délivrance d’un nouvel emplacement à la commune.
Cette solution est donc, à rebours de toute la logique actuelle du droit funéraire, potentiellement consommatrice d’espace public, et surtout peu soucieuse des deniers des endeuillés devant faire l’achat d’un emplacement, et la plupart du temps d’un caveau et d’un monument funéraire. Enfin, les communes en disposant devront modifier leur règlement de cimetière, car il n’apparaît plus possible à un maire de s’opposer à cette opération, qui comme l’exhumation ressort maintenant d’une compétence liée (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE p. 391). En effet, l’exhumation, en l’absence de tout conflit familial, est, pour reprendre l’expression de Marie-Thérése Viel ("Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1999, p. 262) ; un droit opposable à l’Administration.
Le reste de l’arrêt tire la conséquence logique de non-assimilation de l’opération de réduction de corps aux exhumations, lorsqu’il conclut :
"13. Considérant, ensuite, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le cercueil aurait été dans un état détérioré, le corps de M. E... F... n’ayant d’ailleurs été placé ni dans un autre cercueil, ni dans une boîte à ossements ; que l’agent municipal qui a refusé le déplacement du cercueil, en se retranchant derrière le risque de dispersion des ossements des cercueils anciens qui ont tendance à se désagréger, par l’effet du temps, de l’humidité et d’autres facteurs, a pourtant autorisé la superposition de cercueils, laquelle présentait des risques similaires ; que, par ailleurs, dans ses écritures de première instance et d’appel, la commune de M… ne conteste pas non plus sérieusement que le cercueil de M. E... F... était renforcé depuis l’origine par un caisson métallique et installé dans un caveau hermétique, dont il s’induisait un bon état de conservation ;
14. Considérant, enfin, qu’il ressort de l’ensemble des éléments du dossier que le déplacement du cercueil de feu Gustave F... ne contrevenait ni à l’ordre public, ni aux règles régissant le domaine public ; que, dès lors, l’intéressé pouvait agencer à sa guise l’intérieur privatif du caveau, et insérer le nouveau cercueil soit par juxtaposition, soit par superposition ; que, dans ces conditions, l’opposition du surveillant du cimetière à la réalisation de l’opération de déplacement au motif de l’absence d’autorisation d’exhumation délivrée par le maire, et donc à la juxtaposition des cercueils, ne se fondait sur aucun motif légal, et est donc constitutive d’une faute ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la Ville de M…
Au final, on ne peut que regretter cette divergence de position, et souhaiter ardemment qu’elle soit résolue. Nous estimons, à l’égal de la CAA de Marseille et avant elle du Conseil d’État, que rien ne justifie d’appliquer le régime juridique de l’exhumation à ces opérations, où somme toute les restes mortels retourneront dans la même sépulture que celle où ils reposaient.
CAA de Marseille, 23 avril 2018 n° 16MA03106 Procédure devant la cour : Elle soutient que : Elle soutient que : Sur la régularité du jugement attaqué : 4. Considérant, en deuxième lieu, que, dans ses demandes de première instance dont la teneur est confortée par ses dernières écritures du 18 mai 2015, M. F... présentait, outre des conclusions tendant, d’une part, à ce qu’il soit ordonné une expertise et, d’autre part, à la condamnation de la commune de M… à réparer le préjudice moral subi, une demande non pas de réparation de préjudice matériel, qu’il avait expressément abandonnée, mais de remise en ordre de la sépulture familiale, laquelle devait être regardée comme une demande d’injonction de remise en ordre du caveau ; que les premiers juges n’ont pas statué sur ces dernières conclusions et ont ainsi, dans cette mesure, entaché leur jugement d’une omission à statuer ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être partiellement annulé en tant qu’il n’a pas statué sur ces conclusions. Sur les conclusions tendant à la remise en ordre du caveau : 7. Considérant qu’aux termes de l’art. L. 911-1 du Code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution." Sur la réparation du préjudice moral : 14. Considérant, enfin, qu’il ressort de l’ensemble des éléments du dossier que le déplacement du cercueil de feu Gustave F... ne contrevenait ni à l’ordre public, ni aux règles régissant le domaine public ; que, dès lors, l’intéressé pouvait agencer à sa guise l’intérieur privatif du caveau, et insérer le nouveau cercueil soit par juxtaposition, soit par superposition ; que, dans ces conditions, l’opposition du surveillant du cimetière à la réalisation de l’opération de déplacement au motif de l’absence d’autorisation d’exhumation délivrée par le maire, et donc à la juxtaposition des cercueils, ne se fondait sur aucun motif légal, et est donc constitutive d’une faute ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la Ville de M…. S’agissant des conclusions en réparation du préjudice moral : 15. Considérant que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, l’appelant est fondé à soutenir qu’en lui allouant la somme de 1 000 € les premiers juges ont procédé à une évaluation insuffisante du préjudice moral subi du fait du comportement fautif de l’Administration ; qu’il convient d’allouer à ce titre à M. F... une somme de 2 000 €. Sur les conclusions d’appel en garantie : Sur les dépens : Décide : - M. Marcovici, président, |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance N°141 - Juin 2018
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