Un enfant mineur peut-il faire, de son propre chef, l’acquisition d’une concession funéraire ?
Georges Martinez, président de l’A.NA.PE.C. |
Le 25 mai dernier, le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) est entré en application. Ce règlement a fixé la majorité numérique, c’est-à-dire l’âge à partir duquel un mineur peut consentir seul à un traitement de données personnelles qui le concernent à 16 ans (art. 8), mais chaque État membre a toute latitude pour fixer un âge inférieur, sans toutefois pouvoir descendre au-dessous
de 13 ans. En France, ce sera soit 15 ans (vote à l’Assemblée nationale en première lecture), soit 16 ans (Sénat).
Après de longs débats, le gouvernement a proposé l’âge de 15 ans comme âge minimal du consentement à une relation sexuelle, et un projet de loi sera prochainement mis au vote des assemblées. Dans le domaine funéraire, la majorité reste fixée à 18 ans, et il peut arriver que cela devienne très problématique.
L’Association Nationale des Personnels de Cimetières (A.NA.PE.C.) a été récemment sollicitée pour avis sur l’affaire d’une jeune femme mineure, abandonnée par ses parents, qui, ayant perdu son enfant, souhaitait acquérir une concession pour pouvoir l’inhumer. Dans l’état actuel des lois, sauf à dépendre d'un administrateur légal ad hoc, d’un tuteur légal ou avoir été émancipée, la jeune femme n’est pas en mesure d’acquérir une concession.
L’A.NA.PE.C. propose aux lecteurs de Résonance les textes et extraits qui justifient la réponse qui a été faite à son adhérent.
La loi :
- selon les articles 1123 et 1124 du Code civil, jusqu’à sa majorité (ou jusqu’à 16 ans, si son émancipation a été prononcée par un juge), le mineur est juridiquement incapable, ce qui signifie qu’il ne peut signer de contrat. C’est pourquoi ses père et mère ont l’administration et la jouissance de ses biens (art. 382 du Code civil).
La jurisprudence :
- la loi étant quelque peu floue et éparse, il revient à la jurisprudence de trancher au cas par cas les litiges qui lui sont soumis, notamment pour annuler éventuellement un acte passé seul par un mineur, ou encore pour apprécier la gestion de ses biens faite par ses parents pendant sa minorité.
Depuis le 1er janvier 2016, le parent exerçant seul l’autorité parentale n’a plus à solliciter le juge pour accomplir la plupart des actes de disposition. Un nouveau dispositif permet à des proches d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté de le représenter ou de conclure des actes en son nom.
Rappelons en premier lieu les principes de l’administration légale
1. Conformément à la loi de simplification du droit du 16 février 2015 (BRDA 4/15 inf. 24), l’ordonnance du 15 octobre 2015 modifie le régime d’administration des biens des mineurs et renforce la protection juridique des majeurs par la création d’une nouvelle mesure de protection.
La gestion des biens des mineurs "simplifiée"
2. L’ordonnance supprime les régimes d’administration légale sous contrôle judiciaire et d’administration légale pure et simple au profit d’un régime unique d’administration légale. Elle recentre le contrôle du juge sur les situations considérées comme étant les plus à risque.
Cette suppression entraîne une restructuration complète des textes applicables. L’ensemble (ou presque) est transféré dans le chapitre consacré à l’autorité parentale relative aux biens de l’enfant aux articles 382 à 387-6 du Code civil. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016. Elles s’appliquent aux administrations légales en cours.
L’administration légale
3. L’administration légale permet aux parents d’administrer les biens de leurs enfants mineurs et de bénéficier des revenus de ces biens. C’est un attribut de l’autorité parentale.
Avant le 1er janvier 2016, l’administration était dite "pure et simple" lorsque les deux parents exerçaient en commun l’autorité parentale. Elle était en revanche soumise au contrôle du juge en cas de décès de l’un des parents ou si l’un d’eux se trouvait privé de l’autorité parentale ; elle l’était également en cas d’exercice unilatéral de l’autorité parentale.
Dorénavant, il n’existe plus qu’un seul régime : celui de l’administration légale. Si l’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents, chacun d’entre eux est administrateur légal. Dans les autres cas, l’administration légale appartient à celui des parents qui exerce l’autorité parentale (C. civ. art. 382 nouveau).
Actes d’administration
4. En présence des deux parents, l’administration est en principe exercée en commun. Toutefois, afin de sécuriser les opérations effectuées par les parents, chacun d’eux est réputé à l’égard des tiers avoir reçu de l’autre parent le pouvoir de faire seul les actes d’administration portant sur les biens de ses enfants (C. civ. art. 382-1 nouveau). Sont concernés les actes visés par le décret 2008-1484 du 22 décembre 2008 (C. civ. art. 496 par renvoi de C. civ. art. 382-1 nouveau). Bien que plus aucun texte ne le précise expressément, le parent exerçant seul l’administration légale peut accomplir seul les actes d’administration.
Actes de disposition
5. Sauf exceptions (voir nos 9 et 10), les administrateurs légaux agissant en commun et, ce qui est nouveau, l’administrateur exerçant seul l’autorité parentale peuvent accomplir les actes de disposition sans solliciter l’autorisation du juge des tutelles.
Nomination d’un administrateur ad hoc
6. Lorsque les intérêts de l’administrateur légal sont en opposition avec ceux du mineur, le juge désigne un administrateur ad hoc chargé de représenter le mineur. L’ordonnance simplifie les règles applicables.
Dorénavant, la nomination d’un administrateur ad hoc n’est plus automatique lorsque les intérêts du mineur sont en opposition avec ceux d’un seul de ses administrateurs légaux. Le juge des tutelles peut en effet autoriser l’autre administrateur à représenter son enfant pour un ou plusieurs actes déterminés (C. civ. art. 383 nouveau, al. 2).
Sans changement, la demande de nomination d’un administrateur ad hoc doit en principe émaner de l’administrateur légal. À défaut, le juge est saisi par le ministère public ou par le mineur. Il peut également se saisir d’office (C. civ. art. 383 nouveau).
Lorsque l’opposition d’intérêts apparaît au cours d’une procédure, le juge saisi de l’instance peut désigner un administrateur ad hoc si le juge des tutelles n’y a pas procédé (C. civ. art. 388-2 modifié).
Biens exclus des administrations légales
7. La possibilité de donner ou léguer des biens à un mineur sous la condition expresse qu’ils ne soient pas soumis à l’administration légale et qu’ils soient administrés par un tiers est maintenue. Ce tiers a pour mission d’administrer les biens de l’enfant dans les conditions prévues par la donation ou le testament. Il peut donc recevoir des pouvoirs plus larges que ceux des administrateurs légaux. Il peut par exemple être autorisé à vendre un immeuble ou à apporter en société le fonds de commerce légué sans avoir à solliciter le juge des tutelles. À défaut de précision, le tiers a les pouvoirs d’un administrateur légal.
Nouveauté, le juge des tutelles peut nommer un administrateur ad hoc si l’administrateur désigné refuse la mission confiée par le testateur ou le donateur, ou s’il ne remplit pas les conditions pour exercer les charges tutélaires (C. civ. art. 383 nouveau, al. 3 et sur renvoi C. civ. art. 395 et 396).
Responsabilité des administrateurs légaux
8. Comme auparavant, les administrateurs doivent apporter à la gestion des biens de leur enfant mineur des soins prudents, diligents et avisés, dans le seul intérêt de l’enfant. Une faute quelconque engage leur responsabilité. Si l’administration légale est exercée en commun, les deux parents sont solidairement responsables (C. civ. art. 385 et 386 nouveaux).
L’intervention du juge des tutelles
Actes soumis à l’autorisation du juge des tutelles
9. Certains actes de disposition particulièrement graves nécessitent toujours l’autorisation du juge des tutelles. Ainsi, comme avant le 1er janvier 2016, les administrateurs légaux doivent solliciter le juge pour vendre de gré à gré ou apporter en société un immeuble ou un fonds de commerce appartenant au mineur, pour contracter un emprunt en son nom ou pour renoncer à l’un de ses droits (C. civ. art. 387-1 nouveau). Le contrôle du juge est réservé aux situations les plus à risque.
Le nouvel art. 387-1 du Code civil ajoute à la liste des actes devant être autorisés :
- la conclusion d’une transaction au nom du mineur (que la Cour de cassation avait déjà soumise à l’autorisation du juge des tutelles par son arrêt du 20-1-2010 n° 08-19.627 : BPAT 2/10 inf. 91, à propos de la conclusion d’une transaction entre un mineur victime d’un accident de la circulation et un assureur) ;
- le compromis au nom de l’enfant ;
- l’acception pure et simple d’une succession revenant au mineur ;
- l’achat ou la location d’un bien du mineur par l’administrateur légal. Pour la conclusion de ces actes, ce dernier est réputé être en opposition d’intérêts avec le mineur, ce qui contraint à la nomination d’un administrateur ad hoc (voir n° 6). Rappelons que ces actes étaient avant le 1er janvier 2016 interdits à l’administrateur légal, sauf à titre exceptionnel ;
- la constitution gratuite d’une sûreté au nom du mineur pour garantir la dette d’un tiers ;
- la réalisation d’actes portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers, s’ils engagent le patrimoine du mineur pour le présent ou l’avenir. L’autorisation du juge doit préciser les conditions de l’acte et, s’il y a lieu, le prix ou la mise à prix pour lequel l’acte est passé. À noter que disparaît de la liste des actes soumis obligatoirement à autorisation la conclusion d’un partage amiable et de son état liquidatif.
Nouveauté encore
10. Lorsque le juge des tutelles est appelé à se prononcer sur l’un des actes listés au n° 9, il peut, s’il l’estime indispensable à la sauvegarde des intérêts du mineur, décider que d’autres actes de disposition doivent être soumis à son autorisation préalable. Pour arrêter sa décision, le juge doit prendre en considération la composition ou la valeur du patrimoine, l’âge du mineur et sa situation familiale.
Les parents ou l’un d’eux, le ministère public ou tout tiers ayant connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci peuvent demander au juge des tutelles de soumettre certains actes de disposition à son autorisation (C. civ. art. 387-3 nouveau). Cette disposition reprend le devoir de signalement de l’art. 499 du Code civil qui pèse sur les tiers (notamment les notaires ou les banquiers) constatant des actes ou omissions du tuteur susceptibles d’être préjudiciables à une personne protégée.
11. Enfin, le juge des tutelles est fondé, comme auparavant, à intervenir en cas de désaccord entre les parents lorsqu’ils sont tous les deux administrateurs légaux. Dans ce cas, il appartient au juge des tutelles d’autoriser ou non l’acte (C. civ. art. 387 nouveau).
Ouverture d’une tutelle
En cas d’administration légale, le juge des tutelles peut, à tout moment, soit d’office, soit à la requête de parents ou alliés ou du ministère public, décider d’ouvrir la tutelle. Avant de se prononcer, il doit, sauf urgence, entendre ou appeler l’administrateur légal. Seule une cause grave peut justifier l’ouverture d’une telle mesure de protection. Rappelons qu’avant le 1er janvier 2016 il suffisait au juge de justifier de motifs sérieux pour ouvrir une tutelle en cas d’administration légale sous contrôle judiciaire.
Sauf en cas d’urgence, l’administrateur légal ne peut faire aucun acte de disposition à partir de la demande et jusqu’au jugement définitif (C. civ. art. 391 modifié).
L’analyse de ces textes conforte donc la réponse de l’A.NA.PE.C. sur l’impossibilité pour cette jeune femme mineure de pouvoir acquérir un titre foncier tel qu’une concession funéraire.
La majorité légale est fixée en France à 18 ans depuis 1974, ou 16 ans s’il est émancipé. Il n’est pas possible, en principe, de contracter avec des mineurs (art. 1124 c. civ.). Avant 18 ans, sauf émancipation, un jeune ne peut pas s’engager par un contrat sans l’autorisation de ses responsables légaux, généralement ses parents. Mais il peut accomplir "les actes courants autorisés par la loi ou l’usage, pourvu qu’ils soient conclus à des conditions normales" et ne le lèsent pas (articles 1148 et 1149 du Code civil). La jurisprudence considère comme un acte courant celui qui ne fait courir aucun risque au mineur, notamment les petits achats de la vie quotidienne.
Contracter une vente à un mineur présente des difficultés particulières. Cette vente ne peut se réaliser qu’avec l’accord des parents ou à défaut d’un administrateur légal, voire d’un tuteur légal désigné par le juge des tutelles qui en tout état de cause devra donner son accord à l’acquisition du bien. Attention ! Si un mineur non émancipé passe un contrat sans la signature de ses parents, il peut être annulé, car l’enfant n’a pas de "capacité juridique".
Voilà les informations que l’ANAPEC souhaitait apporter sur cette question soulevée par un de ses adhérents.
Il est important de souligner que tout adhérent à l’A.NA.PE.C. bénéficie d’un conseil juridique et administratif de proximité appuyé sur le réseau des adhérents de l’A.NA.PE.C.. En cas d’urgence sur une question nécessitant l’appui de textes réglementaires ou législatifs, l’A.NA.PE.C. met à disposition de ses adhérents une boîte mail dont la saisine engage l’A.NA.PE.C. à une réponse argumentée sous 48 h.
Georges Martinez
Président de l’A.NA.PE.C.
Résonance n°140 - Mai 2018
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