Le régime juridique des cendres.
Analysant les décisions du tribunal de grande instance de Lille du 23 septembre 1997 (v. Petites affiches 27 janvier 1999, p. 17, note X. Labbée et B. Mory) et de la cour d’appel de Douai du 7 juillet 1998 (JCP G 1998, II, 10173, note X. Labbée), le ministre de l’Intérieur leur emboîta le pas en estimant que l’urne cinéraire fait "l’objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée" et qu’elle semble devoir se rattacher à la catégorie des "souvenirs de famille" que la jurisprudence fait échapper aux règles habituelles de partage (Rép. min. n° 30945, JOAN Q 27 mars 2000, p. 2023).
La loi du 19 novembre 2008 vint par la suite préciser sinon leur nature juridique, du moins leur protection juridique. Ainsi, l’art. 16-1-1 du Code civil fut créé pour disposer désormais que : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence."
L’art. 16-2 du Code civil fut alors complété afin de permettre au juge civil de faire prescrire toute mesure pour faire cesser ou empêcher une atteinte illicite aux cendres. Tout acte ou comportement qui porterait atteinte à ces exigences pourrait ainsi être réparé par le juge judiciaire. Enfin, l’art. 225-17 du Code pénal fut retouché pour consacrer la protection des urnes funéraires par le droit pénal à l’égal des corps. Il est donc possible de poursuivre devant le juge pénal. Ainsi, la cause est entendue : les cendres bénéficient de la même protection que les corps, mais il n’en demeure pas moins qu’elles en sont juridiquement différentes…
L’absence de traçabilité des cendres sur le territoire national
Corrélativement, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire était venue créer une nouvelle sous-section du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dénommée "Destination des cendres". On y relevait un art. L. 2223-18-1 qui dispose désormais que : "Après la crémation, les cendres sont pulvérisées et recueillies dans une urne cinéraire munie extérieurement d’une plaque portant l’identité du défunt et le nom du crématorium.
Dans l’attente d’une décision relative à la destination des cendres, l’urne cinéraire est conservée au crématorium pendant une période qui ne peut excéder un an. À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, l’urne peut être conservée, dans les mêmes conditions, dans un lieu de culte, avec l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte.
Au terme de ce délai et en l’absence de décision de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont dispersées dans l’espace aménagé à cet effet du cimetière de la commune du lieu du décès ou dans l’espace le plus proche aménagé à cet effet visé à l’art. L. 2223-18-2", ainsi qu’un art. L. 2223-18-2 qui énonce que : "À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité :
- soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 ;
- soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’art. L. 2223-40 ;
- soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques."
L’analyse de ce nouvel article invitait alors à penser que, pour se voir remettre l’urne, la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles devait faire la preuve de la destination qu’elle entendait donner à celle-ci, conforme aux destinations prévues. Pratiquement, il n’était pas illogique de concevoir que l’exploitant du crématorium devait se faire remettre, par la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, un document émanant de la mairie où du cimetière destiné à accueillir l’urne, où elle se trouve, ou celle du lieu de dispersion en pleine nature. En cas d’irrespect de cette formalité, le crématorium conservait alors l’urne pendant une durée maximum d’une année.
Il convenait enfin de remarquer qu’à la demande de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, l’urne pouvait (elle le peut toujours) être conservée dans un édifice cultuel, ce qui est étonnant lorsque l’on sait que le CGCT (art. L. 2223-10) interdit l’inhumation dans ces édifices. Au terme du délai d’un an, en l’absence de choix effectué par la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont dispersées soit dans l’espace de dispersion du cimetière communal du lieu de décès (ce qui obligera les exploitants du crématorium à solliciter l’autorisation de cette commune), soit l’espace aménagé le plus proche.
Bien loin d’opter pour une traçabilité qu’à notre sens une lecture stricte des textes invitait, le gouvernement, après avoir encadré la destination de l’urne, décidait de n’en contrôler la destination qu’a minima : "La loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire a conféré un véritable statut et précisé les choix offerts aux familles pour les cendres issues de la crémation. Afin d’éviter le développement de cimetières privés, le législateur a exclu la possibilité de dépôt de l’urne funéraire au domicile, souvent source de graves conflits familiaux.
En application de l’art. L. 2223-18-1 du CGCT, en l’absence de choix définitif sur la destination des urnes, l’urne est conservée au crématorium – ou éventuellement dans un lieu de culte – pour une durée maximale d’une année. Au terme de ce délai, les cendres sont dispersées dans l’espace aménagé du cimetière de la commune où est implanté le crématorium, sous la responsabilité du maire. La loi précitée n’a pas confié de pouvoir de police aux gestionnaires de crématorium ou aux opérateurs funéraires : leur obligation se limite donc à l’information des familles sur les destinations possibles, lors de la remise de l’urne à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Cette dernière doit se conformer aux volontés émises par le défunt, dans le respect du cadre fixé par la loi. Le contrôle de la destination finale des cendres s’effectue au travers des formalités administratives prévues par la réglementation : autorisation délivrée par le maire, en cas d’inhumation dans une sépulture, de dépôt dans un columbarium, de scellement sur un monument funéraire et de dispersion dans le site cinéraire communal, ou déclaration effectuée auprès du maire de la commune de naissance du défunt, en cas de dispersion en pleine nature." (Rép. min. 44538 JO AN Q 10/11 2009)
De surcroît, si la réforme ne modifiait pas les destinations des cendres dans le cimetière, et conservait la possibilité de dispersion en pleine nature à l’exception des voies publiques, rien ne précisait plus désormais que les cendres puissent être conservées dans un lieu privé. Ainsi, le mouvement de durcissement amorcé par le décret du 12 mars 2007 était mené à son terme : il est désormais impossible de conserver les urnes cinéraires dans un lieu privé comme ultime lieu de repos. Le sort de celles qui sont encore conservées dans des lieux privés sera tranché au fur et à mesure. En effet, l’art. R. 2213-39-1 du CGCT oblige, depuis le 12 mars 2007, à ce que tout changement de destination d’urne ne puisse se faire qu’au profit d’une destination dans un cimetière. La combinaison de ces deux textes devrait conduire (si les familles n’omettent pas de respecter ces dispositions) à ce qu’à terme il n’y ait plus d’urnes gardées au domicile.
Il faut encore remarquer, qu’en cas de dispersion des cendres en pleine nature, en sus de l’obligation de déclaration à la mairie du lieu de dispersion prévue par l’art. R. 2213-39 devra s’accompagner de plus en vertu de l’art. L. 2223-18-3 CGCT d’une déclaration par la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles d’une déclaration à la mairie du lieu de naissance du défunt. La commune devra alors mentionner sur un registre créé à cet effet : l’identité du défunt, la date et le lieu de dispersion.
Un transport encadré uniquement à l’international
Le transport de cendres (en tout cas sur le territoire national) n’est pas un transport de corps. La doctrine administrative a déjà pris position sur ce sujet. En effet, la circulaire du 14 décembre 2009 (NOR : IOCB0915243C) énonce que : "L’alignement du statut juridique des cendres sur celui d’un corps inhumé rend nécessaire l’adaptation de certaines dispositions réglementaires, dont la rédaction était spécifique aux cercueils. Ainsi, le transport d’un corps avant et après mise en bière ne peut être réalisé que dans un véhicule aménagé à cet effet, dans le respect des normes réglementaires. S’agissant d’une urne funéraire, dès lors qu’elle est remise à la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et en l’absence de risques sanitaires particuliers, il n’y a pas lieu d’imposer l’utilisation d’un véhicule funéraire pour le transport."
On ne peut que souscrire à cette analyse, où l’on voit bien que si la protection est à l’égal d’un corps, il n’en reste pas moins que les cendres n’en sont pas. Saisi d’ailleurs de la singulière question de savoir si l’on pouvait expédier une urne par la voie postale, le gouvernement fit cette réponse byzantine qui, néanmoins, démontre à l’envi que la facilité de manipulation d’une urne funéraire renouvelle la notion de dignité s’attachant aux restes mortels : "Sous réserve de l’appréciation souveraine du juge qui en application de l’art. 16-2 du Code civil peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort, l’envoi d’une urne par la poste, comme s’il s’agissait d’une simple lettre ou d’un colis, paraît contrevenir aux dispositions précitées".
En revanche, il est possible d’envisager que l’urne transite par le service aérien (ou ferroviaire) des services postaux ou de messagerie. Dans ce cas, il convient que l’urne soit déposée à l’aéroport (ou à la gare) de départ par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ou mandatée en cette qualité, ce qui inclut un opérateur funéraire". (Rép. min. n° 10728, JO S du 2 octobre 2014)
Seul le transport international l’est, puisque l’autorisation de transport de cendres en dehors du territoire métropolitain ou d’un département d’outre-mer est délivrée par le préfet du département du lieu de crémation du défunt ou du lieu de résidence du demandeur (art. R. 2213-24 du CGCT dans sa version issue du décret du 28 janvier 2011).
Le texte élargit la compétence pour solliciter le préfet à tout demandeur, ce qui vise bien sûr la personne qui a organisé les funérailles, mais aussi tout membre de la famille. On relèvera que les accords relatifs au transport international, tant celui de Berlin que celui de Strasbourg, n’évoquent pas le transport de cendres, qui semble alors obéir aux règles usuelles. Il est alors possible de se poser la question de l’intérêt de maintenir cette législation résiduelle au profit de préfectures qui ne disposent plus que de peu de compétences en matière funéraire, et dont le véritable écueil réside plutôt dans la connaissance de la législation du pays de destination de ces cendres…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours
à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires territoriaux au sein
des délégations du CNFPT.
Résonance n°137 - Février 2018
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