Le décret de prairial an XII, à de nombreux égards fondateur du droit funéraire moderne, ne concernait pas les personnes de confession juive, qui ont été autorisées à continuer de régler par elles-mêmes leurs funérailles, et donc à fonder leurs propres lieux d’inhumation.
Ces cimetières privés perdurent ; néanmoins, il est interdit tant d’en créer de nouveaux que de les agrandir (CE 18 août 1944, Sieur Lagarrigue, Rec. CE p. 237 ; Cour d’appel d’Aix 1er février 1971, Sieur Rouquette : AJDA 1972 p. 111). Il est évident que tant le principe de laïcité posé par la loi du 9 décembre 1905 qui interdit d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant aux cultes et des terrains de sépulture dans les cimetières, que la loi du 14 novembre 1881, posant l’interdiction de créer ou d’agrandir des cimetières confessionnels, s’opposent à la généralisation de tels équipements privés.
Il existe un notable tempérament à l’interdiction du cimetière confessionnel qui concerne les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de Moselle. Si on y applique toujours le régime du concordat de 1801, il convient surtout de relever qu’y est toujours en vigueur l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII sous sa forme actuelle codifié à l’art. L. 2542-12 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).
Art. L. 2542-12 du CGCT
"Dans les communes où on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte ;"
De même, art. L. 2542-13 du CGCT
"Les autorités locales sont spécialement chargées de maintenir l’exécution des lois et règlements qui prohibent les exhumations non autorisées, et d’empêcher qu’il ne se commette dans les lieux de sépulture aucun désordre, ou qu’on s’y permette aucun acte contraire au respect dû à la mémoire des morts."
C’est sur ce fondement qu’un cimetière musulman fut inauguré à Strasbourg en 2012. Néanmoins, il faut insister sur le fait que ce sont bien des cimetières publics, quoique confessionnels. Voici d’ailleurs la position du gouvernement sur ce sujet :
Circulaire du 19 février 2008 (NOR/INT/A/08/00038/C)
- "3.1 - Les cimetières privés confessionnels
Par dérogation au droit commun (inhumation dans les cimetières communaux), il existe encore quelques cimetières confessionnels privés, survivance du passé.
Ainsi, les consistoires israélites ont conservé la propriété des cimetières dont ils disposaient avant l’entrée en vigueur du décret du 23 prairial an XII, le décret du 10 février 1806 déclarant certaines dispositions du décret précité non applicables aux personnes de confession israélite et les autorisant à conserver leurs cimetières privés gérés par des associations cultuelles.
Il existe également, pour les mêmes raisons, quelques cimetières protestants privés. Leur légalité a été confirmée par le Conseil d’État (CE, 13 mai 1964, Eberstarck). En revanche, il n’est plus possible de créer de nouveaux cimetières privés ou d’agrandir ceux qui existent (CA Aix, 1er février 1971, Sr Rouquette/Association cultuelle israélite de Marseille).
Les autorisations d’inhumer dans un cimetière confessionnel sont délivrées par le préfet, conformément aux dispositions de l’art. R. 2213-32 concernant les inhumations dans une propriété privée. Elles ne sont délivrées que dans la mesure des emplacements disponibles. Le maire exerce son pouvoir de police, dans ces cimetières privés, à l’égard des sépultures dont il assure la surveillance, mais le règlement interne du cimetière relève de la compétence du culte concerné, notamment pour la délivrance d’un emplacement, l’agencement des sépultures, le droit d’accès.
- La police des cimetières en Alsace-Moselle
La loi du 14 novembre 1881, qui a posé l’interdiction d’établir une séparation dans les cimetières communaux à raison de la différence des cultes, ainsi que de créer ou d’agrandir des cimetières confessionnels, n’est pas applicable aux départements d’Alsace-Moselle. Les dispositions de l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII (codifiées à l’art. L. 2542-12 du CGCT), précisant que "dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier", ont été maintenues dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle.
Selon la jurisprudence administrative, ces dispositions, visant à prévenir les troubles à l’ordre public dans les cimetières, ne présentent pas un caractère obligatoire. Il appartient au maire, chargé de la police municipale, de décider, en fonction de la situation locale, de l’organisation du cimetière communal, de l’instauration de cimetières confessionnels séparés ou de divisions confessionnelles au sein du cimetière.
Dans les faits, de nombreux maires ont choisi, en accord avec les autorités religieuses, d’interconfessionnaliser les cimetières. Les divisions confessionnelles qui existent, conformément à l’art. L. 2542-12 du CGCT, ne s’appliquent qu’aux seuls cultes reconnus. Mais, en Alsace-Moselle, les maires peuvent également user des pouvoirs qu’ils détiennent en matière de police des funérailles et des cimetières, et en particulier du pouvoir de fixer l’endroit affecté à chaque tombe, après avoir pris connaissance de l’intention précédemment exprimée par le défunt, ou manifestée par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Ils peuvent ainsi mettre en place, si le besoin s’en fait sentir et si la situation locale le permet, des espaces confessionnels pour les cultes non reconnus, sous réserve que la neutralité du cimetière soit préservée dans les parties publiques et que cet espace ne soit pas isolé du cimetière communal."
Enfin, il peut aussi subsister des cimetières privés de congrégation
Si le Conseil d’État a considéré, dans un avis du 12 mai 1846, qu’il était interdit aux congrégations de créer des cimetières (reproduit dans G. Chaillot, "Le Droit funéraire français", édition Pro Roc, 1997, tome 2, p. 351, n° 11), précédemment, dans un avis de 1832, il avait opté pour la solution contraire. Il subsiste donc quelques cimetières privés congrégatifs.
Il peut également advenir que ce qui ressemble à un cimetière n’en soit pas un. Il est en effet toujours possible, sous certaines conditions, d’obtenir des autorisations d’inhumation en terrain privé. L’accumulation de ces sépultures individuelles, à l’instar de ce que l’on rencontre parfois en Corse par exemple où ils sont même qualifiés de "cimetières familiaux", peut faire légitimement croire à l’existence d’un cimetière privé alors qu’il n’en est rien.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours
à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires territoriaux au sein
des délégations du CNFPT.
Résonance n°137 - Février 2018
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :