Une commune qui oublie de notifier les arrêtés de reprise des concessions funéraires permet à des requérants d’agir à leur encontre sans condition de délai…
Philippe Dupuis. |
CAA de DOUAI 16 novembre 2017, N° 17DA00147
Les faits : la reprise de concessions funéraires
M. et Mme A... ont été inhumés respectivement en 1924 et 1922 dans deux concessions perpétuelles, portant les numéros B 44 et B 45, situées dans le cimetière de la commune d’Aviron (Eure). En février 2004, la commune d’Aviron a fait constater par un procès-verbal l’état d’abandon de ces deux concessions perpétuelles, puis, par un arrêté du 20 décembre 2007, pris après trois ans la publication de ce procès-verbal, le maire de la commune a, sur le fondement de l’art. L. 2223-17 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), déclaré leur reprise par la commune. L’arrière-petite-fille des concessionnaires demande d’annulation de l’arrêté de reprise de ces concessions, car celui-ci ne leur a pas été notifié. Or, si le second arrêté date de 2007, le jugement du tribunal administratif (TA) de Rouen intervient le 24 novembre 2016, soit 9 ans après les faits.
Il apparaît alors que, dès le début de la procédure (soit la prise du premier arrêté en date de 2004), l’arrière-petite-fille avait demandé et obtenu une autorisation d’exhumation des corps présents dans ces concessions. Ainsi, la commune connaissait parfaitement leur existence, leur identité, et surtout leur adresse. La commune ne peut donc justifier de la raison pour laquelle elle a omis cette notification. Elle va alors tenter d’utiliser une récente jurisprudence pour échapper à la mise en cause de sa responsabilité, mais, nous le verrons, sans succès.
La reprise des concessions : un formalisme exigeant
Le CGCT est des plus précis quant au pointilleux formalisme de la reprise des concessions abandonnées :
Art. L. 2223-17 du CGCT
"Lorsque, après une période de trente ans, une concession a cessé d’être entretenue, le maire peut constater cet état d’abandon par procès-verbal porté à la connaissance du public et des familles. Si, trois ans après cette publicité régulièrement effectuée, la concession est toujours en état d’abandon, le maire a la faculté de saisir le conseil municipal, qui est appelé à décider si la reprise de la concession est prononcée ou non. Dans l’affirmative, le maire peut prendre un arrêté prononçant la reprise par la commune des terrains affectés à cette concession".
Art. L. 2223-18 du CGCT
"Un décret en Conseil d’État fixe :
1° Les conditions dans lesquelles sont dressés les procès-verbaux constatant l’état d’abandon ;
2° Les modalités de la publicité qui doit être faite pour porter les procès-verbaux à la connaissance des familles et du public ;
3° Les mesures à prendre par les communes pour conserver les noms des personnes inhumées dans la concession et la réinhumation ou la crémation des ossements qui peuvent s’y trouver encore".
Art. R. 2223-13 du CGCT
"L’état d’abandon est constaté par un procès-verbal dressé par le maire ou son délégué après transport sur les lieux, en présence d’un fonctionnaire de police délégué par le chef de circonscription ou, à défaut de ce dernier, d’un garde champêtre ou d’un policier municipal.
Les descendants ou successeurs des concessionnaires, lorsque le maire a connaissance qu’il en existe encore, sont avisés un mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, du jour et de l’heure auxquels a lieu la constatation. Ils sont invités à assister à la visite de la concession ou à se faire représenter.
Il est éventuellement procédé de même à l’égard des personnes chargées de l’entretien de la concession. Dans le cas où la résidence des descendants ou successeurs des concessionnaires n’est pas connue, l’avis mentionné ci-dessus est affiché à la mairie ainsi qu’à la porte du cimetière".
Art. R. 2223-15 du CGCT
"Lorsqu’il a connaissance de l’existence de descendants ou successeurs des concessionnaires, le maire leur notifie dans les huit jours copie du procès-
verbal et les met en demeure de rétablir la concession en bon état d’entretien.
La notification et la mise en demeure sont faites par une seule lettre recommandée avec demande d’avis de réception".
Art. R. 2223-18 du CGCT
"Après l’expiration du délai de trois ans prévu à l’art. L. 2223-17, lorsque la concession est toujours en état d’abandon, un nouveau procès-
verbal, dressé par le maire ou son délégué, dans les formes prévues par les articles R. 2223-13 et R. 2223-14, est notifié aux intéressés avec indication de la mesure qui doit être prise.
Un mois après cette notification et conformément à l’art. L. 2223-17, le maire a la faculté de saisir le conseil municipal qui est appelé à décider si la reprise de la concession est prononcée ou non. Dans l’affirmative, le maire peut prendre l’arrêté prévu au troisième alinéa de l’art. L. 2223-17".
Art. R. 2223-19 du CGCT
"L’arrêté du maire qui prononce la reprise des terrains affectés à une concession est exécutoire de plein droit dès qu’il a été procédé à sa publication et à sa notification".
Ainsi, il faut constater l’état d’abandon, ce qui se fait grâce à un procès-verbal dressé en présence du maire ou de son délégué (sauf à Paris, où c’est le conservateur du cimetière). Les descendants et successeurs du titulaire seront prévenus par lettre recommandée avec accusé de réception de cette démarche. Cette lettre doit les inviter à être présents ce jour ou à s’y faire représenter. La lettre doit être adressée un mois avant.
Dans le cas courant où les adresses ne sont pas connues, il pourra être remplacé par un affichage à la mairie ainsi qu’à la porte du cimetière précisant date et heure de cette visite (CE 6 mai 1995, Commune d’Arques c/ Mme Dupuis-Matton, req. n° 111720). C’est une formalité substantielle dont le non-respect entraînera la nullité de la procédure. Il faut ensuite établir un procès-verbal signé par les personnes présentes. Il doit se voir annexer une copie de l’acte de concession ou bien un acte de notoriété.
Ce procès-verbal doit d’abord constater que la concession a été accordée depuis plus de trente ans. Il doit contenir les mentions suivantes :
- emplacement exact de la concession ;
- description la plus précise possible de l’état de la concession (le juge refuse les formules trop vagues ; CAA Nancy 3 novembre 1994, M. Gaunet, req. n° 93NC00482) ;
- date de l’acte de concession, noms des parties à cet acte, noms de leurs ayants droit ou des défunts inhumés dans la concession, si connus.
Si certaines des parties présentes refusent de signer le procès-verbal, ce refus doit être mentionné au procès-verbal. Idem pour les personnes qui ont été convoquées mais qui ne se sont pas déplacées. Une copie du procès-
verbal doit être notifiée sous huit jours aux descendants, successeurs ainsi qu’une mise en demeure de remise en état de la concession par lettre recommandée avec accusé de réception. Des extraits du procès-verbal seront affichés et des affiches posées en mairie ainsi qu’au cimetière. Ces affiches seront renouvelées au bout de quinze jours deux fois de suite. Le maire devra dresser un certificat de l’accomplissement de cet acte annexé au procès-verbal. Il y aura donc au total trois affichages d’un mois entrecoupés par deux quinzaines sans affichage (Rép. min. n° 33615, JOAN Q 4 octobre 1999, p. 5783).
Au bout d’un délai de trois ans, un second procès-verbal est établi dans les conditions du premier
Si on a constaté un acte qui peut être qualifié d’entretien de la concession, on suspend la procédure de reprise pour encore trois ans. Si, trois ans après cette constatation, des actes d’entretien sont visibles, on abandonnera définitivement la concession, sinon, on reprendra la procédure là où le premier procès-verbal l’avait laissée. Si rien de tel n’est constaté, un second procès-verbal sera dressé, il doit faire ressortir si un acte d’entretien a été effectué grâce à une comparaison des termes contenus dans le premier procès-verbal. La différence avec le premier PV réside dans le fait que la procédure d’affichage n’est plus requise. En effet, le CGCT dispose que : "Un mois après la notification du second procès-verbal, le maire peut saisir le conseil municipal qui doit alors se prononcer sur la reprise".
Le maire doit ensuite rédiger un arrêté qui sera publié et notifié. Ici, le maire, s’il est tenu à l’avis favorable du conseil pour prononcer la reprise, peut parfaitement en dépit d’un tel avis décider de ne pas prononcer cette reprise. Le maire devra alors publier et notifier cet arrêté, la publication devra faire l’objet d’un certificat de publicité certifié par le maire. Le juge est exigeant sur ces formalités (CE 6 mai 1995, Commune d’Arques c/ Mme Dupuis-Matton, précité).
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé qu’au cours de ces travaux de reprise matérielle, le corps et la sépulture sont toujours protégés par le délit d’atteinte à l’intégrité du cadavre et de violation de sépulture visé à l’art. 225-17 du Code pénal (Cass. crim. 25 octobre 2000, X, pourvoi n° 00-82.152, "Collectivités territoriales – Intercommunalité" 2001, comm. 139, note D. Dutrieux).
Une notification obligatoire
Or, ici, la notification prévue à l’art.
R 2223-19 (et, nous le supposons, le reste également de la procédure) ne fut pas notifiée, mais seulement publiée (ce qui signifie que seul un affichage en mairie fut opéré). C’est l’occasion de rappeler avec vigueur que ce procédé de reprise des concessions ne concerne pas seulement des sépultures dont personne ne connaît plus les concessionnaires, mais bien également des sépultures aux concessionnaires parfaitement connus mais négligeants quant à l’entretien. Il est alors à noter que le non-respect de ces formalités entraîne la responsabilité de la commune, car la reprise devient irrégulière, et l’arrêté aussi (CE 26 mai 1994, Gras, req. n° 135146).
Parmi les nombreux écueils succinctement présentés ici et amenant à une reprise des concessions, l’information des concessionnaires n’est pas le moindre. Traditionnellement, en droit administratif, les actes tels des arrêtés doivent être soit notifiés soit publiés selon leur nature juridique. La publication est un mode de publicité impersonnel réservé aux actes de portée générale comme les arrêtés de police. La publicité doit être adéquate, in extenso. La notification est un mode de publicité concernant des actes individuels. Elle se fait le plus souvent par lettre recommandée avec accusé de réception, quoiqu’il soit permis de procéder par voie administrative soit par un reçu soit par une signature émargement.
La date de la notification est celle de la signature de l’intéressé ou de son préposé sur l’accusé de réception. Lorsque la lettre recommandée retourne à l’Administration, la date de notification est celle de la première présentation du courrier. Il existe des cas où il existe des modes de publicité spéciaux. C’est le cas par exemple pour la transmission au préfet des actes des collectivités décentralisées en vertu des articles L. 2131-2, L. 3131-2 et L. 4141-2 du CGCT, car la transmission au préfet s’analyse comme une mesure de publicité.
Il en va de même par exemple en vertu de l’art. R. 44 du Code de la route pour les règlements de police relatifs à la circulation qui doivent être concrétisés sur le terrain par un panneau. Il faut préciser ici que ces formalités particulières s’ajoutent au mode usuel de publicité, mais ne dispensent pas soit de la publication, soit de la notification. Il est à noter que, si la publication ou bien la notification n’a pas été faite, ou si elle a été mal faite, l’acte n’est pas illégal, il n’est tout simplement jamais entré en vigueur (ce qui bien sûr le rend attaquable au-delà du délai de deux mois du recours en excès de pouvoir, puisque le point de départ de ce délai n’a jamais été ouvert).
De surcroît, lorsqu’un acte est individuel, il doit expressément mentionner les informations relatives aux voies de délais et de recours, sinon, derechef, le recours en excès de pouvoir n’est pas ouvert, et le recours est alors possible ad vitam aeternam. Néanmoins par un arrêt particulièrement remarqué, la plus haute formation du Conseil d’État (Conseil d’État, ASS. 13 juillet 2016,
n° 387763) vient de décider que même dans l’hypothèse où cette mention des délais et voies de recours n’est pas mentionnée, le recours ne pourrait plus s’exercer au-delà d’un délai "raisonnable" d’une année. Il faut relever que, dans l’affaire objet de l’arrêt, le litige fut porté devant le juge vingt-deux années après l’intervention de l’acte administratif !
Le juge de Douai reproduit alors in extenso le considérant de principe de cet arrêt lorsqu’il énonce que : "Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ; qu’en une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable ; qu’en règle générale, et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance".
"6. Considérant que la règle énoncée ci-dessus, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs ; qu’il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance".
Ainsi, comme nous l’avons précédemment évoqué, en l’espèce, la notification était absente, et le juge décide de surcroît qu’il ne peut être établi que les requérants avaient pu en avoir connaissance suffisamment de temps avant sa survenance pour pouvoir exercer utilement son recours. Une fois le recours accepté, puisque non déposé hors délais, il ne restait plus qu’a relever qu’en décidant d’autoriser l’exhumation puis la réinhumation (nous le supposons dans la même sépulture) des concessionnaires, la commune avait implicitement reconnu que ces concessions n’étaient pas abandonnées, et qu’ainsi, la reprise était irrégulière et engageait la responsabilité de la personne publique…
CAA de DOUAI – No 17DA00147 Par un jugement n° 1400494 du 24 novembre 2016, le TA de Rouen a annulé l’arrêté du 20 décembre 2007. 9. Considérant que la commune d’Aviron soutient que c’est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure suivie ; qu’elle n’apporte cependant aucun nouvel argument au soutien de ce moyen qu’elle avait soulevé en défense en première instance ; qu’il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif. 12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Aviron n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le TA de Rouen a annulé l’arrêté du 20 décembre 2007. Décide : Abstrats : 135-02-03-03-03 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Services communaux. Opérations funéraires. |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°137 - Février 2018
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