Un récent arrêt de la CAA de Nantes (CAA Nantes 22 septembre 2017, no 16NT02229, Mme A c/ Commune de Plouguernével), d’ailleurs assorti des conclusions du rapporteur public et publié à "La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 48 en date du 4 décembre 2017, vient nous rappeler opportunément les particularités liées au droit à inhumation dans une concession funéraire.
Les faits étaient des plus communs, puisqu’il s’agissait d’une personne décédée le 1er décembre 2014 à Pontivy dont la fille souhaitait l’inhumation dans le cimetière de Plouguernével au sein duquel les grands-parents de la requérante disposaient d’une concession funéraire. Le maire refuse cette demande d’inhumation au motif que la concession n’était pas familiale mais collective.
Le TA confirme la décision du maire, la requérante fait appel sans succès
"Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que M. D... K..., domicilié à Plouguernével, est décédé le 1er décembre 2014 ; que sa fille, Mme B... A..., a sollicité du maire de cette commune l’autorisation de faire inhumer son père dans la concession perpétuelle accordée par arrêté du maire du 19 mai 1972 à M. H..., son grand-père, beau-père de M. K... ; que, toutefois, il résulte des termes de cette concession de terrain qu’elle a été accordée au nom de M. H... à l’effet "d’y fonder la sépulture particulière de lui-même et son épouse" ; qu’aucun élément du dossier n’établit que ses co-concessionnaires, qui seuls avaient qualité pour le faire, auraient décidé de modifier la destination de ladite concession particulière pour lui conférer le caractère d’une concession de famille, ou qu’ils auraient adjoint le nom de M. D... K... à la liste des bénéficiaires ; qu’en outre, les circonstances, d’une part, que le caveau soit de grande taille et, d’autre part, que les relations entre M. K... et les consorts H... étaient bonnes du temps de leur vivant, ne sont pas de nature à établir l’existence d’une volonté expresse des titulaires de la concession de modifier les bénéficiaires de celle-ci.
"Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que Mme A... n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande." Les conclusions du rapporteur sont des plus intéressantes, puisqu’il prend soin de rappeler que la typologie que nous allons présenter de nouveau dans ces colonnes ne résulte que de la doctrine, mais que le juge en valide le principe ainsi qu’il l’a déjà fait par le passé.
Les différentes catégories de concessions
La pratique et la doctrine, au fil du temps, élaborèrent la typologie suivante :
- concessions individuelles : l’acte de concession déterminera l’identité de la personne qui a vocation à y être inhumée. L’inhumation d’une personne non mentionnée à l’acte de concession est impossible, sauf à prévoir un avenant à cet acte entre le maire et le concessionnaire ; ou à ce que le comportement du concessionnaire laisse à penser qu’il a implicitement voulu en changer la nature (voir ci-après) en la transformant en concession familiale ;
- concessions collectives : l’acte de concession déterminera l’identité des personnes qui ont vocation à y être inhumées. L’inhumation de personnes non mentionnées à l’acte de concession est impossible, sauf à prévoir un avenant à cet acte entre le maire et le concessionnaire ; ou à ce que le comportement du concessionnaire laisse à penser qu’il a implicitement voulu en changer la nature (voir ci-après) en la transformant en concession familiale ;
- concession de famille : elle a vocation à recevoir le corps du concessionnaire, ceux de son conjoint, de ses successeurs, de ses ascendants, de ses alliés et enfants adoptifs, voire les corps de personnes unies au concessionnaire par des liens particuliers d’affection (Rép. min. n° 21280, JOAN Q 22 janvier 1990, p. 368). Il s’agit de la catégorie la plus courante en pratique. Dans ces concessions de famille, le juge part du principe que l’intention présumée du fondateur est l’inhumation des membres de sa famille (CE 7 février 1913, Mure, S. 1913, III, 81, note Hauriou). Le concessionnaire peut d’ailleurs expressément exclure de ce droit certaines personnes de sa famille (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838) en les mentionnant eux dans l’acte de concession.
La notion de "personnes unies au concessionnaire par les liens particuliers de l’affection" est un peu plus délicate à appréhender, nous le ferons à travers l’exemple suivant : le titulaire d’une concession funéraire décède sans descendant et a institué comme légataire universel sa seconde épouse, qui, elle, avait eu des enfants d’une première union. La commune d’Anglet ne conteste pas le droit de cette épouse à être inhumée dans le caveau de son époux, mais celui de ses enfants à l’être.
La commune soutient que, pour autoriser leur inhumation éventuelle, il aurait fallu que "le fondateur de la concession ait désigné au moins un membre de la famille bénéficiaire d’un droit d’inhumation, du droit éventuel de désigner des tiers, et ce de façon expresse, ce que n’a pas fait Roger L.". Pour la ville d’Anglet, il faut donc être un membre de la famille (qualité qu’elle ne conteste évidemment pas à une veuve) ou bien tenir son droit d’un membre de la famille qui aurait expressément reçu du fondateur de la concession la possibilité de désigner ceux qui pourraient être appelés dans la concession.
En appliquant cette théorie, elle écarte alors les enfants de la veuve de Roger L. du droit au tombeau dans cette concession. Ainsi, pour le juge, la commune méconnaît que le Conseil d’État a admis le droit à être inhumé dans la concession dite de famille à une personne étrangère à la famille mais qui avait avec le concessionnaire des liens particuliers d’affection (Consorts Hérail 11 octobre 1957, AJDA 1957, p. 429, concl. Kahn).
Toute la question est alors de savoir si de tels liens existaient entre le fondateur et les enfants de sa veuve, ce à quoi, ici, le juge incline : "Il est, par ailleurs, démontré par les nombreuses attestations et les photographies produites, que des liens particuliers d’affection et de tendresse unissaient Roger L. à la famille de son épouse. Il est ainsi établi que Roger L., qui a institué son épouse comme légataire universelle de ses biens, et s’est comporté comme un père et un grand-père aimant auprès des enfants et petits-enfants de celle-ci, avait la volonté de l’investir du droit de désigner les bénéficiaires du droit à l’inhumation dans la concession ouverte à son nom. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante qu’une personne dite étrangère à la famille peut être inhumée dans une concession, dite de famille, lorsque des liens particuliers d’affection l’unissaient au fondateur, ce qui est le cas en l’espèce. […]" (CA Pau, 2e chambre, 14 janvier 2008, Commune d’Anglet c/ D. V.)
Il est d’ailleurs notable de relever que cette typologie satisfait le gouvernement qui ne compte aucunement lui conférer une valeur légale ou réglementaire, celle donnée par la jurisprudence lui paraissant assez claire (Réponse du ministère chargé des Collectivités territoriales publiée dans le JO Sénat du 22/09/2011, page 2438).
Néanmoins, force est de constater que la jurisprudence est moins uniforme qu’il n’y paraît. Récemment, le juge (CAA Versailles, 2 décembre 2014, req. n° 14VE02493) est venu quelque peu perturber ce bel ordonnancement : il se posait en l’espèce la question de la possibilité de l’inhumation dans une sépulture concédée d’une personne non mentionnée expressément dans le titre de concession. Si la question est commune, les faits l’étaient moins. Il s’agissait d’une concession fondée par deux beaux-frères à fin d’inhumation d’eux-mêmes, de leurs épouses respectives, et de la mère de l’un d’entre eux. De surcroît, et c’est là l’originalité, ils s’y réservaient le droit, d’un commun accord, d’y ajouter le nom de toute autre personne qu’ils jugeraient "utile d’y mettre".
L’héritier soutenait qu’il disposait d’un droit à inhumation pour un parent défunt parce qu’elle était selon lui une concession familiale. Le juge tranche pour son caractère de concession collective, et lui refuse donc l’inhumation. Après la mort des deux fondateurs de la concession, la fille de l’un d’eux, ayant droit de la concession et se portant fort pour les autres, demande donc au maire de Neuilly-sur-Marne l’inhumation dans cette sépulture de son défunt époux. Le maire lui délivre cette autorisation. À tort, selon le juge, qui estime que, loin d’être familiale, cette concession était collective et que le nom des bénéficiaires du droit à inhumation dans celle-ci devait être inscrit sur le titre.
Or le juge relève "qu’aucun élément du dossier n’établit que les co-concessionnaires, qui seuls avaient qualité pour le faire, auraient décidé de modifier la destination de ladite concession particulière pour lui conférer le caractère d’une concession de famille ou qu’ils auraient adjoint M. L. à la liste des bénéficiaires". Il s’agissait bien d’une concession collective pour laquelle deux noms étaient en suspens et le resteront toujours puisque seuls les deux fondateurs pouvaient les désigner, ce qu’ils n’eurent pas l’occasion de faire.
On retiendra incidemment tout particulièrement l’emploi par le juge du terme de "convention administrative" pour qualifier cette concession, qu’il rattache néanmoins à la typologie classique de ces contrats :
"Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Jean L., domicilié à Lésigny-sur-Marne, est décédé le 3 décembre 2005 à Lagny-sur-Marne ; que son épouse, se portant fort pour les autres ayants droit de la concession X. - Y., a sollicité du maire de la commune de Neuilly-sur-Marne l’autorisation de faire inhumer son époux dans cette concession ; que, toutefois, la convention de concession particulière acquise le 25 juillet 1941 fixait la liste des personnes destinées à y être inhumées et précisait que les co-concessionnaires, MM. Gustave X. et Georges Y., se réservaient le droit, après consentement réciproque, d’adjoindre dans leur caveau toute autre personne qu’ils jugeraient utile d’y mettre ; qu’aucun élément du dossier n’établit que ces co-concessionnaires, qui seuls avaient qualité pour le faire, auraient décidé de modifier la destination de ladite concession particulière pour lui conférer le caractère d’une concession de famille ou qu’ils auraient adjoint le nom de M. L. à la liste des bénéficiaires ; que, par suite, c’est à tort que le tribunal administratif a estimé que le maire était en situation de compétence liée pour autoriser l’inhumation de M. L. dans le cimetière de la commune ; que, par conséquent, M. F. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par la décision litigieuse, le maire de la commune de Neuilly-sur-Marne a autorisé l’inhumation de M. L. dans la sépulture particulière des consorts X. et Y. ; que, par voie de conséquence, la décision refusant de surseoir à l’inhumation de M. L. dans cette concession ne peut qu’être annulée." (CAA Versailles, 2 décembre 2014, req. n° 14VE02493)
Ou bien, après avoir admis la possibilité d’un changement implicite de nature de la concession du fait d’une décision de son fondateur d’y inhumer un défunt non prévu par le titre :
"Considérant que le fondateur de la sépulture reste maître de déterminer librement les personnes qui pourront s’y faire ensevelir ; que si les requérantes font valoir que l’acte de concession montre que l’intention de Paul W. était que celle-ci soit uniquement dévolue à la sépulture de leur père, Jules W., il lui était cependant loisible d’en changer l’affectation ; qu’il résulte de l’instruction qu’il a par la suite décidé d’y être inhumé, ainsi que son épouse ; que, dès lors, la concession a acquis un caractère familial ; que tous les ayants droit du fondateur de cette sépulture pouvaient donc y être régulièrement inhumés." (TA Versailles 4 juillet 2008, n° 0603232)
Ici, monsieur W. avait acheté une concession funéraire perpétuelle pour y fonder la sépulture de son fils. Cette concession était apparemment individuelle au vu de l’emploi par le juge administratif de l’expression "concession particulière" pour la désigner. C’est-à-dire que, lors de l’achat, il a prévu que seul son fils pourrait être inhumé dans cette sépulture. Néanmoins, ultérieurement, quatre autres personnes y furent inhumées avec son accord. Les filles de Jules W., petite fille du requérant, et filles du défunt pour lequel la concession a été achetée, soutiennent que ces inhumations pratiquées dans cette sépulture sont ainsi irrégulières, à raison de son caractère individuel, et recherchent la responsabilité de la commune.
Dans cet arrêt, le juge considère comme une modification implicite du contrat la décision de M. W. de faire procéder à l’inhumation d’une personne non prévue dans l’acte signé avec la mairie. Pour le juge, en acceptant cette inhumation, le fondateur a simplement modifié la nature de sa concession, qui, d’individuelle, est devenue familiale. Ainsi, les requérantes se voient déboutées de leur recours tendant à ce que seulement leur père puisse y être inhumé. En effet, à partir du moment où le fondateur a autorisé l’inhumation de personnes qui n’étaient pas mentionnées dans l’acte initial, sans pour autant conclure un quelconque avenant au contrat avec la commune, la concession selon le TA était devenue une concession familiale de par sa seule volonté.
En conséquence, toute la famille du fondateur était désormais titulaire d’un droit à se faire inhumer dans cette sépulture. Cette requalification n’est pas alors sans poser quelques questions quant à l’utilisation de ce tombeau. La famille W. au grand complet se retrouve donc titulaire du droit à concession dans cette sépulture familiale, alors même que certains de ses membres n’habiteraient pas la commune.
Cette solution a été néanmoins désavouée par la cour administrative d’appel, qui a jugé que le changement implicite était impossible. Il faudra donc à tous coups venir en mairie et opérer la modification du titre de concession :
"Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’acte de concession de terrain dans le cimetière de la commune de Montainville, en date du 26 mars 1942, au profit de M. Paul E., grand-père des requérantes, stipule que le terrain est concédé, à perpétuité, pour y fonder la sépulture particulière de M. Jules E., père des intéressées ; que, comme le font valoir les requérantes, aucun document écrit n’établit que M. Paul E. aurait décidé de modifier, comme sa qualité de titulaire de la concession le lui aurait permis, la destination de ladite concession, et de lui conférer le caractère d’une concession de famille ; qu’en particulier, la seule circonstance qu’il y a été inhumé en 1957 n’est pas de nature à établir que telle était sa volonté ; que, dès lors, les requérantes sont fondées à soutenir que le maire de la commune de Montainville a méconnu les stipulations de l’acte de concession et commis une faute en autorisant l’inhumation de leur grand-père, puis d’autres membres de la famille, dans la concession initialement acquise pour y fonder la sépulture particulière de leur père." ( CAA Versailles 6 juillet 2010, n° 08VE02943)
Au final, c’est donc bien la lecture du titre de concession, sous réserve, pour les concessions familiales, de l’identification de la "personne unie au concessionnaire par les liens de l’affection", qui guidera le juge dans le droit à inhumation dans une sépulture…
Le : 03/01/2018 - CAA de NANTES – No 16NT02229 Sur les conclusions à fin d’annulation : Délibéré après l’audience du 5 septembre 2017, à laquelle siégeaient : |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours
à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires territoriaux au sein
des délégations du CNFPT.
Résonance n° 136 - Janvier 2018
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