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Le décret n° 2006-965 du 1er août 2006 avait été la conséquence du scandale provoqué par la découverte de 351 fœtus et enfants mort-nés à l’hôpital Saint-Vincent au cours de l’été 2006.

 

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

La volonté de résoudre les difficultés liées aux sorts de ces enfants avaient aussi donné lieu dans le rapport des sénateurs Sueur et Lecerf (Les rapports du Sénat, n° 372) à la recommandation d’un décret pour fixer le régime juridique de ces enfants en lieu et place de la circulaire n° 2001-576 du 30 novembre 2001 jusque-là applicable. Malheureusement, le décret ne vint alors que partiellement exaucer les vœux des parlementaires. À l’issue de ce texte, la situation juridique était donc la suivante :

L’enfant pouvait être né vivant, dans ce cas, deux hypothèses :

- S’il décédait après la déclaration de naissance : établissement d’un acte de décès qui emportait alors toutes les possibilités d’inhumation du défunt ;
- S’il décédait avant la déclaration de naissance : soit il était né viable (alternativement, soit au moins 22 semaines d’aménorrhée, soit au moins 500 grammes), et il fallait aussi faire inhumer le défunt après avoir dressé un acte de naissance et un acte de décès ; soit il n’était pas né viable, et un acte d’enfant sans vie était dressé.
Le décret du 1er août, par l’art. R. 1112-76-II-2° du CSP, vient alors offrir au père ou à la mère la possibilité :
- d’inhumer ;
- de crématiser ;
- de faire crématiser par l’établissement de santé ;
- de faire inhumer par la commune si une convention existe entre celle-ci et l’établissement de santé.

Soit l’enfant était décédé in utero, deux cas :

- L’enfant était viable, et dans ce cas on avait le choix des possibilités ouvertes au cas précédent entre inhumation, crémation, crémation par l’établissement de santé et inhumation par la commune lorsqu’une convention existe entre la commune et l’établissement de santé.

Soit l’enfant n’était pas viable, et alors aucun acte d’état civil n’était dressé. Le fœtus était alors considéré comme une pièce anatomique d’origine humaine, et il était, comme tel, détruit par l’hôpital, par incinération (R. 1335-9 et R. 1335-11 du CSP).

L’apport de la jurisprudence de la Cour de cassation

L’apport fondamental des trois arrêts de la Cour en date du 6 février (Cour de cassation, 6 février 2008, reqs. Nos 06-16.498/499/500) réside dans le fait que le juge déclara que le seuil de viabilité de 500 g ou de 22 semaines d’aménorrhée ne pouvait être retenu par l’Administration pour empêcher l’octroi de la qualité "d’enfant sans vie".
En effet, le juge releva que cette définition de la viabilité avait été introduite dans une circulaire (document qui ne peut être invoqué à l’encontre d’un administré, puisqu’il ne crée pas de droit) et que le Code civil, en son art. 79-1, ne mentionne aucunement un tel seuil. La conséquence majeure de cette solution allait être qu’à la suite de ces arrêts, les services d’état civil se retrouvaient dans une position délicate pour dresser ces actes d’enfant sans vie.
Effectivement, si désormais il convenait de ne pas retenir le seuil de viabilité de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), quel seuil devait alors être retenu ? Dans la ligne de l’interprétation donnée par la Cour de cassation de l’art. 79-1, on pouvait s’autoriser à penser qu’un acte d’enfant sans vie aurait pu être dressé pour tout fœtus quel que soit le temps de gestation ou son poids. Cette solution présentait l’avantage de surmonter la qualification de pièce anatomique d’origine humaine pour les fœtus décédés in utero de moins de 500 g ou 22 semaines d’aménorrhée, et, ainsi, de pouvoir procéder à leur inhumation, sans dépendre aucunement de l’appréciation des autorités. La reconnaissance de leur qualité d’enfant sans vie emportant droit à leur inhumation. Il était aussi possible de les mentionner au livret de famille dans les cas où un tel document était déjà possédé par le couple (sinon, il fallait attendre la naissance ultérieure d’un enfant et faire porter la mention de l’enfant sans vie à cette occasion).

Cour de cassation, 6 février 2008, reqs. nos 06-16.498/499/500

"Attendu que, pour confirmer cette décision, l’arrêt attaqué énonce qu’il s’évince de l’art. 79-1 du Code civil que, pour qu’un acte d’enfant sans vie puisse être dressé, il faut reconnaître à l’être dont on doit ainsi déplorer la perte, un stade de développement suffisant pour pouvoir être reconnu comme un enfant, ce qui ne peut se décréter mais doit se constater à l’aune de l’espoir raisonnable de vie autonome présenté par le fœtus avant son extinction, qu’en l’état actuel des données de la science, il y a lieu de retenir, comme l’a fait l’officier d’état civil, le seuil de viabilité défini par l’OMS qui est de 22 semaines d’aménorrhée ou d’un poids du fœtus de 500 grammes et qu’en l’espèce ces seuils n’étaient pas atteints ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’art. 79-1, alinéa 2, du Code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse, la cour d’appel, qui a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit pas, l’a violé."
Le gouvernement mit donc un terme à cet imbroglio autour de ce sujet délicat. Néanmoins, nous verrons que de nouvelles questions peuvent se poser.

L’art. 79-1 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 8 janvier 1993, prévoit en effet que :
"Lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
À défaut du certificat médical prévu à l’alinéa précédent, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le tribunal de grande instance à l’effet de statuer sur la question."

L’art. 1er du décret n° 2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’art. 79-1 du code civil (JORF du 22 août 2008, texte n° 10, p. 13145) le complète par la phrase suivante : "L’acte d’enfant sans vie prévu par le second alinéa de l’art. 79-1 du Code civil est dressé par l’officier de l’état civil sur production d’un certificat médical établi dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la santé et mentionnant les heure, jour et lieu de l’accouchement."

L’établissement de l’acte d’enfant sans vie est ainsi subordonné à la présentation d’un certificat médical d’accouchement dont le modèle est annexé à l’arrêté du 20 août 2008 relatif au modèle de certificat médical d’accouchement en vue d’une demande d’établissement d’un acte d’enfant sans vie (JORF du 22 août 2008, texte n° 28, p. 13165). Ce certificat médical n’est d’ailleurs pas sans poser des questions. En effet, il conditionne la délivrance d’un tel certificat à certaines conditions.

Les conditions de délivrance du certificat d’accouchement

Le certificat est délivré quel que soit le poids ou le nombre de semaine d’aménorrhée (absence de menstruations) dans toutes les hypothèses d’accouchement spontané ou d’accouchement provoqué pour raisons médicales, dont les IMG (Interruptions Médicales de Grossesse). En revanche, il ne sera pas délivré de certificat en cas d’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) ou en cas d’interruption spontanée précoce de grossesse (fausse couche précoce).
Ainsi, aucun certificat ne sera délivré si la femme, dans les 14 semaines d’aménorrhée du délai légal, recourt à l’avortement, alors qu’aucun délai n’est réglementairement exigé pour une interruption médicale de grossesse. La contradiction n’est qu’apparente, car la détection d’un éventuel problème ne se fera (théoriquement) qu’au minimum lors de la première échographie, qui n’intervient qu’aux alentours des 12e à la 14e semaine d’aménorrhée. Le second cas est, lui, plus délicat…

Définition de la fausse couche spontanée tardive

Il ne sera pas non plus délivré de certificat dans le cas de Fausses Couches Spontanées Précoces (FCSP). Que faut-il entendre par un tel terme ? Dans le fascicule "De la conception à la naissance" du programme DCEM2-DCEM4 (éd. Masson, sous la coordination de J.-M. Antoine, page 18), on peut lire : "Une fausse couche correspond à un arrêt de la grossesse avant la période de viabilité fœtale théorique, soit 22 semaines d’aménorrhée (SA). Théoriquement, la fausse couche correspond à l’expulsion spontanée du produit de conception. On parle de fausse couche spontanée précoce jusqu’à la fin de la période embryonnaire, soit 12 SA. Entre 12 et 22 SA, lorsque l’activité cardiaque fœtale s’interrompt avant l’expulsion, on parle de "mort fœtale in utero". Lorsque l’expulsion se produit alors que le fœtus est encore vivant (au moins lors de l’entrée en travail), on parle de "fausse couche spontanée tardive".

Il résulte de ce texte (même si l’on aurait préféré invoquer un texte juridique) qu’il faut entendre comme n’ouvrant pas délivrance d’un certificat d’accouchement, l’expulsion spontanée de l’embryon jusqu’à 12 SA. La mort fœtale in utero et la fausse couche tardive ouvrant par contre droit à délivrance d’un certificat d’accouchement. Le seuil de viabilité de l’OMS, qui semblait avoir été supprimé par le ministère, ne fait-il pas ici un retour par la petite porte ?

La viabilité du fœtus est elle encore exigée ?

Il convient tout d’abord de noter que d’aucuns (à l’instar, par exemple, du médiateur de la République) pensaient que, pour contourner la jurisprudence de la Cour de cassation, il fallait donner une base légale à cette définition de viabilité retenue par l’OMS et la circulaire de 2001. C’est une autre position qui a été retenue, puisque ce seuil de 22 SA ou 500 grammes du fœtus est ignoré par les nouveaux textes.
Néanmoins, le certificat médical mentionne qu’il ne sera pas délivré de certificat d’accouchement (et, en l’absence de ce document, l’officier d’état civil s’abstiendra de délivrer un acte d’enfant sans vie), lorsqu’il y aura eu IVG ou fausse couche spontanée précoce. Donc, dans ces deux hypothèses, nous serons toujours devant, juridiquement, une pièce anatomique d’origine humaine, et non devant un enfant sans vie. Or, l’IVG est possible jusqu’à 14 SA, et la fausse couche spontanée précoce jusqu’à 12 SA.
Ainsi, on peut encore évoquer un certain seuil de viabilité, quoique réduit. D’ailleurs, le terme "viable" est encore mentionné dans le certificat d’accouchement, alors qu’il ne connaît plus d’existence juridique précise de par les textes. Il est enfin possible de penser que, par exception, les maires auront toujours la possibilité d’accepter l’inhumation de ce qui n’est pas juridiquement un enfant, à l’égal de ce qui se pratiquait avant l’entrée en vigueur de ces textes.

Les différentes
catégories
Les différentes
hypothèses
Conséquences
sur l’état civil
Destination funéraire
Défunt "normal" Décès avant déclaration de naissance Acte de naissance et acte de décès Inhumation "classique"
Décès après déclaration de naissance Acte de décès Inhumation "classique"
Enfant sans vie Accouchement spontané quel que soit le poids ou la durée de la gestation
Ou
Accouchement provoqué médicalement, dont IMG
Acte d’enfant sans vie délivré au vu d’un certificat d’accouchement, délivrance possible d’un livret de famille R. 1112-76-11-2° du CSP :
Inhumation ou crémation, au choix des parents
Ou
Crémation par établissement de santé
Ou
Destination réglée par convention entre commune et établissement de santé
Pièce anatomique d’origine humaine Fausse couche spontanée précoce (jusque 12 SA)
Ou
IVG (donc avant 14 SA)
Aucun acte délivré
Aucun certificat médical d’accouchement
R. 1335-9-11 du CSP -
incinération par établissement de santé
Ou
Registre établi par le maire
ou le préfet, autorisant,
par exception, la sépulture

 

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

 

Résonance n°133 - Septembre 2017

 

 

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