Cour administrative d’appel de Lyon 12 janvier 2017, n° 16LY00037. Si l’arrêt commenté ici est des plus classiques quant à sa solution, il a le mérite de venir appliquer au contentieux relatif aux cendres funéraires ce qui était déjà une solution éprouvée pour les inhumations. Il rappelle que la commune, placée devant un conflit, ne peut choisir, et donc ne peut délivrer une autorisation, en tout cas pas pendant qu’existe la possibilité pour les parties de saisir le juge.
Les faits : un litige quant au devenir des cendres
Mme P. veuve E. est décédée le 22 juin 2013, dans la maison de retraite où elle résidait. Elle avait, par deux écrits testamentaires du 23 janvier 1988 et du 3 février 2004, indiqué qu’elle souhaitait être incinérée et que ses cendres soient répandues au cimetière de Chabreloche, et plus précisément, selon le premier document, au-dessus de la tombe de ses parents, puis, selon le second acte, "près de celles de son mari", dont il est constant qu’elles avaient été placées dans une tombe de ce cimetière. Ces deux documents désignaient ses deux fils pour veiller à l’exécution de ses volontés funéraires. Le juge en déduit donc logiquement qu’ils sont bien les personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
Le principe : la liberté des funérailles
L’art. 3 de la loi de 1887 relative aux funérailles dispose que tout majeur ou mineur émancipé a le droit de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sépulture. La règle est donc de faire prévaloir la volonté du défunt, la jurisprudence admettant qu’il n’est pas obligatoire que ce choix ait été fixé par testament, tout indice laissant présumer la volonté du défunt peut être révélateur. C’est alors qu’intervient la notion de personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Lorsque que le défunt n’a laissé ni écrit ni possibilité de reconstituer ses vœux, il appartient alors de déterminer quelle sera la personne la plus apte à exprimer ses dernières volontés.
L’Instruction Générale Relative à l’État Civil (IGREC) du 11 mai 1999 (annexée au JO du 28 sept. 1999) rappelle (paragraphe 426), à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que : "Les textes ne donnent aucune précision sur la définition de cette personne".
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
1. La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée ; en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
2. Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles ;
3. Enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles. Il appartient au juge civil, seul compétent en la matière, de décider quel membre de la famille ou quel héritier est, suivant les circonstances, le plus qualifié pour l’interprétation et l’exécution de la volonté présumée du défunt. En vertu d’une jurisprudence constante, le conjoint survivant a la priorité pour régler les conditions de la sépulture du défunt même sur les autres membres de la famille. Ce droit n’est cependant ni exclusif ni absolu. Des circonstances particulières peuvent faire écarter le droit du conjoint survivant. La Cour de cassation considère qu’à défaut d’ordre de préférence légal, il faut chercher les éléments permettant de déterminer qui apparaît comme le meilleur interprète des volontés du défunt (Cass. 1re civ., 14 oct. 1970, Vve Bieu c/ Cts Bieu. - CA Paris, 20 mai 1980, Nijinski et a. c/ Serge Lifar).
En cas de conflit, il peut donc arriver que l’ordre qui peut sembler évident de priorité du conjoint survivant soit perturbé, et même que le juge désigne une personne étrangère à la famille comme ayant cette qualité. Ainsi, il n’existe aucune préférence légale, à peine une présomption en faveur du conjoint, mais les présomptions simples peuvent être renversées ; de plus, la valeur juridique de l’IGREC est nulle, comme celle de toute circulaire (quant au refus de considérer l’IGREC comme normative : conférer CAA Bordeaux 5 juin 2008 req. n° 07BX00828). Néanmoins, la logique est bien de reconstituer la volonté du défunt, et non de subir celle de la famille.
En l’espèce, il n’y a pas à reconstituer une quelconque volonté, puisque celle-ci a été révélée de la manière la plus univoque possible, le défunt laisse un écrit : il peut s’agir d’un testament (articles 967 et suivants du Code civil) ayant pour objet l’organisation de ses funérailles. L’art. 969 du Code civil dispose que le testament pourra être olographe ou fait par acte public. Le testament olographe n’est valable que s’il est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur. Il n’est assujetti à aucune autre forme selon l’art. 970 du Code civil. Des témoins sont préférables pour assurer que le testateur est en pleine possession de ses facultés. Le testament par acte public est celui reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins (art. 971 du Code civil). Ce testament doit, bien entendu, prévoir des dispositions qui ne soient pas illégales. Or, indubitablement, la dispersion des cendres sur une tombe ne doit pas être possible ; en effet, si le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) a pris le soin de répertorier les destinations possibles des cendres dans un cimetière, il y a tout lieu de penser que cette liste est exhaustive.
Que faire quand deux membres de la famille s’opposent…
Or, l’un des deux fils demande la dispersion dans le cimetière de la commune de Chabreloche, tandis que l’autre mandate son conseil afin que l’urne soit pour le moment conservée en vue d’une destination ultérieure à définir. De surcroît, la preuve existe que l’un des fils s’est opposé à la dispersion dans le carré du souvenir voulue par l’autre. C’est ce que le juge énonce lorsqu’il affirme : "que le requérant produit, pour la première fois en appel, un relevé de ses appels téléphoniques, dont il n’est pas contesté qu’il se rapporte à l’année 2013, dont il ressort qu’il avait eu plusieurs contacts téléphoniques de durée significative avec la commune, le 24 juin à 10 h 49, le 25 juin à 14 h 44, le 26 juin à 8 h 34, 9 h 54 et 16 h 26 ; que la commune ne conteste pas qu’à l’occasion de ces échanges, M. Michel E. s’est, ainsi qu’il le soutient dans ses écritures, opposé à la dispersion des cendres dans le carré du souvenir".
Le juge relève alors logiquement que, dès le 24 juin, la commune était informée d’un différend familial, et qu’elle ne pouvait donc accorder le 26 juin une autorisation de dispersion dans le carré du souvenir. C’est ici tout l’intérêt de l’arrêt.
Quelle doit être la position de la commune ?
En effet, la loi de 1887 a fait du tribunal d’instance le garant du respect des volontés du défunt quant à ses funérailles. Le juge d’instance est compétent pour trancher ces litiges familiaux en vertu de l’art. R. 321-12 du Code de l’organisation judiciaire. Il statue dans le jour de l’assignation, et appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures. Le premier président de la cour d’appel statue immédiatement. Ce recours est dispensé du ministère d’avocat. Il convient de surcroît de noter que le fait de ne pas donner au défunt la sépulture qu’il souhaitait est une infraction réprimée par l’art. 433-21-1 du Code pénal, qui dispose que : "Toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7500 € d’amende."
Seulement, le recours au juge d’instance doit s’inscrire dans le délai offert aux familles pour pourvoir aux funérailles. Or, ce délai de six jours au plus à compter du décès n’était pas clos. Ainsi, une commune prévenue d‘un conflit familial ne peut décider d’octroyer une autorisation administrative dès lors qu’existe la possibilité de saisine du juge. Ce n’est que si, au bout du délai prévu par les textes pour l’organisation des funérailles, que ne connaissant aucune saisine le maire peut délivrer l’autorisation (la décision rendue est notifiée au maire chargé de l’exécution : C. pr. civ., art. 1061-1).
C’est à notre avis le sens du considérant suivant : […] "que, dans ces conditions, la commune était, au plus tard le 24 juin au matin, informée d’un désaccord entre les deux personnes connues comme ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, qu’il appartenait à la seule juridiction judiciaire de trancher, sans que la commune puisse utilement se prévaloir de ce qu’elle entendait faire respecter les volontés de la défunte ou de ce qu’elle ne pouvait interférer dans un conflit familial ; qu’en accordant, dans les circonstances de l’espèce, dès le 26 juin 2013 à 14 heures, soit le lendemain de la crémation, l’autorisation à M. Gilles E. de disperser les cendres de la défunte au-dessus du carré du souvenir du cimetière, et alors même que M. Michel E. n’avait pas, à cette date, indiqué qu’il entendait saisir le tribunal d’instance, le maire de Chabreloche a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune".
On ne saurait donc trop conseiller à une commune placée devant un tel conflit de ne pas se décider pour une partie plutôt que pour une autre d’autant plus quand le juge évalue, comme en l’espèce, le préjudice à 5 000 €…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
Arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon 12-01-2017 1. Considérant que M. E. relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Chabreloche à l’indemniser du préjudice subi du fait de l’autorisation accordée à son frère de disperser les cendres de leur mère dans le carré des souvenirs du cimetière de Chabreloche ; Sur les conclusions indemnitaires : En ce qui concerne la faute de la commune : 3. Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme P. veuve E. est décédée le 22 juin 2013, dans la maison de retraite où elle résidait ; qu’elle avait, par deux écrits testamentaires du 23 janvier 1988 et du 3 février 2004, indiqué qu’elle souhaitait être incinérée et que ses cendres soient répandues au cimetière de Chabreloche, et plus précisément, selon le premier document, au-dessus de la tombe de ses parents, puis, selon le second acte, "près de celles de son mari", dont il est constant qu’elles avaient été placées dans une tombe de ce cimetière ; que le document de 2004, comme d’ailleurs l’acte de 1988 intervenu avant le décès de son conjoint, désignaient, à titre principal, les deux fils de la défunte pour veiller à l’exécution de ses volontés funéraires ; qu’ils devaient, dans ces conditions, être regardés comme ayant tous deux la qualité de personne pouvant pourvoir aux funérailles ; En ce qui concerne le préjudice : 9. Considérant qu’alors même qu’une partie des difficultés subies par M. Michel E. découle de dissensions avec son frère, il résulte de l’instruction que la faute de l’Administration lui a, par elle-même, occasionné un préjudice moral, en le privant d’une possibilité d’assister à la dispersion des cendres de sa mère, ce qui aurait été possible s’il avait disposé du temps utile pour saisir le juge judiciaire ; qu’il en sera fait une juste appréciation en fixant le montant de l’indemnité à laquelle il peut prétendre de ce chef à 5 000 € ; qu’en revanche, les autres chefs de préjudice invoqués ne présentent pas de lien de causalité suffisamment établi ou direct avec la faute invoquée ; Décide : Art. 2 : La commune de Chabreloche est condamnée à verser une somme de 5 000 € à M. Michel E. |
Résonance n°131 - Juin 2017
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