Responsabilité de la commune pour refus d’inhumation lié à un manque de place supposée.
TA Amiens 2 novembre 2016, n° 1400613
Les faits sont les suivants : M. Wilbert D., domicilié dans la commune de Lucheux, est décédé le 12 février 2014. Ses enfants demandèrent son inhumation dans ce cimetière communal. Un refus leur fut opposé. Ils demandent alors la condamnation de cette commune à leur verser à chacun une somme de 4 000 € du fait de ce refus.
Un droit à l’inhumation indubitable
L’art. L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales énonce que : "La sépulture dans un cimetière d’une commune est due : /... : 2° Aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune : /... /3. Certes, il s’agit du droit à l’inhumation, c’est-à-dire à l’inhumation en terrain commun, puisque, faut-il le rappeler, l’art. L. 2223-13 du CGCT relatif à la délivrance des concessions n’indique pas quelles sont les personnes qui peuvent bénéficier d’une concession.
En effet, selon le CGCT : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs." Une commune peut donc tout à fait ne pas prévoir dans son cimetière de possibilités de concessions funéraires, si celui-ci est d’une taille trop restreinte pour permettre la délivrance de concessions (voir à ce sujet la réponse min. n° 13195, JOAN Q, 13 novembre 1989, p. 5003). Appliquant ce raisonnement, le juge refuse par exemple que la délivrance des concessions soit uniquement réservée aux habitants de la commune (TA Orléans, 31 mai 1988, Cortier : Juris-Data n° 1988-051006).
En dépit de cette distinction, bien souvent les deux notions sont couplées, comme l’écrit le commissaire du gouvernement Denis Piveteau : "La réalité sociologique, vous le savez, est tout autre. En droit, le tombeau n’est qu’un attribut éventuel du cimetière. En pratique c’est le cimetière qui est au service du tombeau. Le cimetière n’est pas le lieu de décomposition biologique par rotation quinquennale que décrit avec quelque cynisme le décret du 23 prairial an XII. C’est d’abord le lieu où le souvenir tente de s’assurer un peu de permanence. C’est en quelque sorte le lieu de la durée qui nous manque." (AJDA, 1998, p. 263, concl. sous CE 5 décembre 1997, Commune de Bachy). Il apparaît donc que le seul motif valable pour refuser à une personne qui en fait la demande une concession funéraire, quand bien même elle ne serait pas domiciliée sur le territoire de la commune et sous réserve bien sûr que le conseil municipal ait permis l’octroi de ces concessions, soit le manque de place dans le cimetière (CE 5 décembre 1987, Commune de Bachy c/Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998, p. 258, conclusions Piveteau).
En tout état de cause il appartiendra au juge de statuer sur le bien-fondé d’une telle demande. Il peut néanmoins être validé des refus dans certains cas, par exemple, le refus d’un emplacement représentant une trop grande superficie (CE 25 juin 2008, Consorts Schiocchet, req. n° 297914). Cet arrêt illustre d’ailleurs à l’envi que les préoccupations de gestion de ce domaine public peuvent être prises en compte lors de la délivrance d’une concession. Le juge n’évoque-t-il pas que : "Considérant qu’un maire, qui est chargé de la bonne gestion d’un cimetière, peut, lorsqu’il se prononce sur une demande de concession, prendre en considération un ensemble de critères, parmi lesquels figurent notamment les emplacements disponibles, la superficie de la concession sollicitée au regard de celle du cimetière, les liens du demandeur avec la commune, ou encore son absence actuelle de descendance."
Cette exigence d’un lien, qui, insistons de nouveau, là-dessus ne coïncide pas nécessairement avec une domiciliation, était déjà exposée par le commissaire du gouvernement Denis Piveteau (précité), qui écrit : "Il est conforme à la vocation du domaine funéraire municipal de servir d’abord les besoins de ceux qui, à un titre ou à un autre, y ont attaché leur vie ou y ont attaché leur mort. Le cimetière de Sète n’est pas appelé à accueillir tous les admirateurs de Paul Valéry, et ceux des villages périurbains n’ont pas à se voir imposer le trop-plein des villes. Permettre une certaine discrimination peut alors rejoindre l’intérêt des familles, qui est de pouvoir compter sur une concession funéraire dans la commune où l’on habite, dans la commune où l’on décède, ou encore dans la commune où sont inhumés de proches parents."
Le contrôle du juge sur le refus de la délivrance
On constate donc que le juge contrôle étroitement le bien-fondé des motifs de refus. Deux arrêts fondamentaux limitent les motifs légaux de refus de concession aux seuls motifs de police municipale ou de trouble à l’ordre public, et de manque de place dans le cimetière (CE, 25 novembre 1921, Dame Niveleau, Guibert et autres, Rec. CE 274, Sirey 1923, concl. Corneille p. 17, note M. Hauriou- CE, 27 avril 1923, Sieur Trottereau-Bertholot, Rec. CE p. 366).
Il est loisible de citer un exemple de contrôle du juge en la matière (CAA Marseille 15 novembre 2004, réq. 03MA00490) : "Qu’il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du plan du cimetière, que deux nouvelles places de concessions, numérotées n° 22 et n° 23, ont été créées dans le nouveau cimetière à la suite d’une réorganisation de sa configuration avalisée par délibération du 5 juillet 2002, jour même de l’acte attaqué ; que le nombre de concessions du nouveau cimetière est ainsi passé de 21 à 23 concessions ; qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier, et notamment d’un état des attributions des concessions en date du 26 octobre 1996, que les concessions n° 6, n° 8, et n° 9 n’étaient pas attribuées à cette date ; que l’appelant soutient, sans être sérieusement contesté, que sa demande de concession est la seule qui ait été formulée depuis 1996 ; que, dans ces conditions, et compte tenu de la petite taille de la commune, l’augmentation de capacité du cimetière de deux nouvelles places de concessions doit être regardée comme un changement de circonstances rendant caduque ou justifiant l’abrogation de la délibération à caractère réglementaire du 20 décembre 1996 ; que, par suite, l’acte attaqué du 5 juillet 2002 refusant la demande de concession de M. X est dépourvu de base légale."
En revanche le maire a le libre choix de l’emplacement exact de la concession funéraire (CE, 28 janvier 1925, Valès, Rec. CE p. 93). Sous réserve, ici encore, du respect du principe de non-discrimination ou de détournement de pouvoir. Le ministre de l’Intérieur a eu l’occasion de répondre à la question de l’obligation de délivrer une sépulture dans la commune (Rep. Min. n° 38996, JOAN Q, 13 mars 2000 p. 1670). Il rappelle les trois conditions visées par l’art. L. 2223-3 du CGCT. L’autorité communale a donc la faculté de refuser la demande dans l’hypothèse d’absence de place disponible dans le cimetière, encore faut-il que ce manque de place soit avéré, ce qui ne semble pas le cas en l’espèce.
Si l’autorité municipale se refuse à attribuer une concession funéraire et que la juridiction administrative annule cette décision, le requérant pourra, s’il a subi un préjudice moral et matériel, réclamer une indemnisation (voir CAA de Marseille, Commune de Saint-Étienne-du-Grès, Rec. CE 1998). De plus, le juge administratif pourra enjoindre à l’Administration d’attribuer une concession funéraire dans un délai déterminé (TA de Châlons-en-Champagne, 21 septembre 2004, Req. n° 0102606, M. André B., Collectivités-Intercommunalité, 2005, note D. Dutrieux).
C’est cette logique qui est à l’oeuvre quand le jugé énonce que : "M. Wilbert D. était domicilié dans la commune de Lucheux et avait droit à une sépulture dans le cimetière de cette commune, nonobstant la circonstance qu’il n’y aurait aucune attache et que des membres de sa famille seraient titulaires d’une concession dans le cimetière d’une autre commune ; qu’à la supposer établie, l’absence d’intention exprimée par M. D. d’être inhumé dans le cimetière de Lucheux n’est pas de nature à justifier légalement le refus opposé par le maire alors qu’il n’est pas contesté que ses cinq enfants avaient qualité pour demander son inhumation ; que, par suite, la décision par laquelle le maire de Lucheux a refusé l’inhumation de M. D. dans le cimetière communal est entachée d’illégalité ; que les requérants sont en droit d’obtenir la condamnation de la commune de Lucheux à réparer le préjudice direct et certain résultant pour eux de cette illégalité fautive."
La responsabilité extra-contractuelle de la commune pour faute de service
La responsabilité de la commune ici engagée, ne trouve pas son fondement dans la méconnaissance de ses obligations contractuelles par la commune. La responsabilité est ici extra-contractuelle, elle a pour fondement une faute quasi délictuelle, dénommée "faute du service public". Cette responsabilité de la commune ne pouvant être recherchée selon les règles du Code civil (art. 1240 et suivants), lesquelles sont inapplicables aux personnes publiques, c’est au regard des règles de la responsabilité administrative que le juge se prononcera. Cette responsabilité est recherchée dans le cadre du recours de plein contentieux ; il s’agit d’une action indemnitaire.
Cette responsabilité se traduit par l’obligation pour la commune de réparer les conséquences dommageables des fautes qu’elle commet à l’encontre de son concessionnaire. Si le juge retient la responsabilité de la commune, il la limite à 200 € par enfant, au motif "qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’illégalité fautive ait causé un préjudice financier aux requérants dès lors qu’ils auraient dû, en tout état de cause, régler les frais d’obsèques de M. Wilbert D. ; que si M. D. n’a accompli aucune démarche de son vivant pour obtenir une concession dans le cimetière de Lucheux et n’a laissé aucune disposition testamentaire faisant état de sa volonté d’y être inhumé, les requérants font valoir que leur père leur avait exprimé, à de multiples reprises, un tel souhait ; que cette volonté est confirmée par les démarches accomplies par les requérants auprès de la commune de Lucheux pour obtenir l’inhumation de leur père dans le cimetière communal ; que le refus opposé par la commune leur a ainsi causé à chacun un préjudice moral".
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
Résonance n°130 - Mai 2017
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