Contrôle de la taille des sépultures et liberté de construction dans le cimetière : de l’art de ne pas répondre à une question.
Réponse ministérielle n° 100497, JO 7 mars 2017
Voici une intéressante question parlementaire relative à la liberté offerte a priori aux concessionnaires d’ériger des tombeaux et monuments dans le cimetière. Le parlementaire soulève la question de la pertinence de la coexistence au sein du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) de l’art. L. 2223-12-1 selon lequel "le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses", avec les dispositions de l’art. L. 2223-12 du CGCT : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture." Plus généralement, il pointe l’apparente contradiction de cette limitation au droit à construire des concessionnaires d’avec les dispositions relatives à la liberté des funérailles.
Le droit de construire dans le cimetière : une liberté en principe absolue
L’art. L. 2223-12 du CGCT reconnaît au titulaire d’une concession funéraire le droit de construire des monuments et caveaux. Le Code de l’urbanisme, depuis l’intervention du décret du 5 janvier 2007 (n° 2007-18) pris pour application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relatif au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme, modifia l’art. R. 421-2 du Code de l’urbanisme pour dispenser les monuments funéraires et les caveaux dans l’enceinte du cimetière de toute autorisation d’urbanisme, tant le permis de construire qu’une autre autorisation ou déclaration, nonobstant l’application de la législation sur les monuments historiques (cf. infra).
Tirant les conséquences prétoriennes de ces principes, il est aussi possible d’installer une clôture autour d’une concession (CE 1er juillet 1925 Bernon : Rec. CE, p. 627) voire d’y effectuer des plantations (CE 23 décembre 1921 Auvray-Rocher : Rec. CE, p. 1092). Dans cette hypothèse, le maire pourra néanmoins interdire certaines essences ou en limiter la hauteur (CE 7 janvier 1953 de Saint-Mathurin : Rec. CE, p. 3) à la condition que ces interdictions soient motivées par les buts poursuivis par ses pouvoirs de police.
De surcroît, le juge interdit de faire de l’esthétique le fondement d’une décision du maire pour ce qui relève du cimetière (CE 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne). Cette solution est étendue aux contrats portant occupation des cases de columbarium (TA Lille 30 mars 1999, Mme Tillieu c/ Commune de Mons-en-Barœul : LPA 2 juin 1999, note Dutrieux). L’absolu du droit de construction s’impose si bien qu’il est possible de faire construire un caveau dans une zone où les inhumations se font en pleine terre (CE 8 novembre 1993, Établissements Sentilles c/ commune de Sère-Rustaing : Rec. CE, tables p. 657).
Un pouvoir limité à la taille maximale des monuments
Néanmoins, et sans aller jusqu’à reconnaître un pouvoir esthétique sur les constructions, la loi du 19 novembre 2008 est venue créer un nouvel art. L. 2213-12-1, qui dispose que : "Le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses." Si cet article se trouve dans la partie générale que le CGCT consacre au cimetière, et qu’ainsi on pourra objecter qu’il ne concerne que les monuments érigés sur des terrains communs, ce serait méconnaître que le juge a toujours appliqué les mesures relevant de cette partie du Code aux concessions funéraires.
Il convient de noter que ce nouvel article consacre d’ailleurs (paradoxalement) législativement la possibilité de construction sur les emplacements en terrain commun. Ainsi, cette législation est l’une des rares possibilités offertes au maire de restreindre le droit de construire sur les emplacements, et particulièrement les concessions. C’est ce que le ministre évoque lorsqu’il affirme : "Ainsi, si un concessionnaire peut donner au monument funéraire toute forme, taille, style qu’il souhaite, il doit le faire sous réserve de rester dans les limites du terrain concédé et de ne pas contrevenir aux règles d’hygiène, de sécurité et de décence (art. L. 2223-13 du CGCT). Par ailleurs, il convient de rappeler que ces prescriptions techniques figurent dans le règlement du cimetière, acte administratif, lequel contient des règles de portée générale et impersonnelle destinées à préserver la tranquillité, la sécurité, la salubrité, la neutralité et la décence dans le cimetière. De fait, si les prescriptions édictées par le maire sont jugées abusives, elles peuvent être contestées devant le juge administratif."
On pourrait juste objecter que ce fameux art. L. 2223-12-1 du CGCT ne permet aucunement de faire respecter au concessionnaire la limite du terrain concédé, puisque, par principe, il s’agit bien de la hauteur maximale des monuments et non de leur emprise au sol, et qu’en fait, ainsi que l’honorable parlementaire le pressent sans toutefois le formuler aussi explicitement, nous ne discernons pas pourquoi un monument de par sa hauteur pourrait être intrinsèquement porteur de trouble à l’ordre public. Il s’agit donc bien d’une volonté esthétique qui ne dit pas son nom, mais le juge n’y pourra rien dire, puisque, si le monument funéraire en forme de pyramide visé en exemple par le député est rendu plus difficile pour le concessionnaire, celle des normes empêche indubitablement le juge d’y trouver rien à redire…
Une possibilité méconnue : la législation sur les monuments historiques
Le Code du patrimoine (ordonnance n° 2004-17 du 20 février 2004 : JO 24 février 2004, p. 30048) vient codifier la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et d’autres textes épars.
1 - Le classement et l’inscription à l’inventaire supplémentaire
Le classement est la première voie de conservation d’un monument remarquable. Les travaux à entreprendre alors sur cette sépulture nécessiteront l’accord du préfet de région. Il est à noter que le préfet ou le ministère de la Culture pourront de plus procéder d’office aux travaux indispensables à la conservation du monument classé, auquel cas le propriétaire sera tenu de rembourser à l’État le coût des travaux jusqu’à concurrence de la moitié.
La seconde procédure est celle de l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Elle est reprise à l’art. L. 621-27 du Code du patrimoine. On impose un délai de quatre mois entre le dépôt d’une déclaration de travaux et la réalisation de ces travaux. Les travaux exécutés sur le monument étant soumis au permis de construire.
2 - Le droit de construire sur les concessions dans les cimetières à proximité d’un monument historique
L’art. L. 621-2 du Code du patrimoine, anciennement art. 1er de la loi du 31 décembre 1913, édicte des règles particulières quant au classement comme monuments historiques des immeubles situés dans le champ de visibilité d’un immeuble classé au titre des monuments historiques ou bien proposés pour le classement. Ce champ de visibilité s’entend comme un périmètre de 500 mètres dans lequel on pourrait voir ce second bâtiment. Dans ce cadre, les articles L. 621-31
et L. 621-32 du Code disposent : "Lorsqu’un immeuble est situé dans le champ de visibilité d’un édifice classé au titre des monuments historiques ou inscrit, il ne peut faire l’objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et établissements publics, d’aucune construction nouvelle, d’aucune démolition, d’aucun déboisement, d’aucune transformation ou modification de nature à en affecter l’aspect, sans une autorisation préalable.
Le permis de construire tient lieu de l’autorisation prévue […] s’il est revêtu du visa de l’architecte des bâtiments de France.
En cas de désaccord soit du maire ou de l’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation ou le permis de construire, soit du pétitionnaire avec l’avis émis par l’architecte des bâtiments de France, le représentant de l’État dans la région émet, après consultation de la section de la Commission régionale du patrimoine et des sites, un avis qui se substitue à celui de l’architecte des bâtiments de France. Le recours du pétitionnaire s’exerce à l’occasion du refus d’autorisation de travaux. Si le représentant de l’État infirme l’avis de l’architecte des bâtiments de France, le maire ou l’autorité administrative compétente est fondé à délivrer l’autorisation ou le permis de construire initialement refusé.
Lorsqu’elles ne concernent pas des travaux pour lesquels le permis de construire, le permis de démolir ou l’autorisation mentionnée à l’art. L. 442-1 du Code de l’urbanisme est nécessaire, la demande d’autorisation prévue à l’art. L. 621-31 est adressée à l’autorité administrative. Celle-ci statue après avoir recueilli l’avis de l’architecte des bâtiments de France. Toutefois, si le ministre chargé de la Culture a décidé d’évoquer le dossier, l’autorisation ne peut être délivrée qu’avec son accord exprès. Si l’autorité administrative n’a pas notifié sa réponse aux intéressés dans le délai de quarante jours à dater du dépôt de leur demande, ou si cette réponse ne leur donne pas satisfaction, ils peuvent former un recours hiérarchique, dans les deux mois suivant la notification de la réponse du préfet ou l’expiration du délai de quarante jours imparti au préfet pour procéder à ladite notification.
L’autorité administrative statue. Si sa décision n’a pas été notifiée aux intéressés dans un délai fixé par voie réglementaire à partir de la réception de leur demande, cette demande est considérée comme rejetée."
Question écrite n° : 100497 de M. Francis Hillmeyer (Union des démocrates et indépendants – Haut-Rhin) Question publiée au JO le : 08/11/2016 Texte de la question M. Francis Hillmeyer appelle l’attention de M. le ministre de l’Intérieur sur les conséquences imprévues - lors de la discussion à l’Assemblée nationale en novembre 2008 d’une proposition de loi adoptée par le Sénat relative à la législation funéraire - de l’adoption d’une amendement de M. Philippe Gosselin "supprimant la possibilité pour les maires d’imposer des règles esthétiques dans les cimetières tout en leur permettant de fixer des dimensions maximales pour les monuments funéraires". Texte de la réponse Lors des débats parlementaires qui ont conduit à l’adoption de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, les dispositions qui prévoyaient que le maire pouvait prendre toute disposition de nature à assurer la mise en valeur architecturale et paysagère du cimetière ou du site cinéraire ont été écartées. La possibilité pour le maire d’imposer des règles esthétiques dans les cimetières a été supprimée, tout en lui permettant d’encadrer les dimensions des monuments funéraires. L’art. L. 2223-12-1 du CGCT prévoit ainsi que le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses. |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
Résonance n°129 - Avril 2017
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