La problématique des sutures de bouche : acte réservé aux seuls thanatopracteurs diplômés, ou ouvert aux agents chargés de la réalisation de toilettes funéraires ou mortuaires ?
Jean-Pierre Tricon, avocat. |
La tentative de résolution de cette question passe, d’abord, par un rappel du cadre juridique régissant la profession de thanatopracteur. Les soins de conservation pratiqués sur les corps de défunts ont été pour la première fois réglementés par le décret n° 76/435 du 18 mai 1976. Ensuite, la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, codifiée aux articles L. 2223-19 à L. 2223-45 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), a fait entrer les soins de conservation des corps dans les éléments constitutifs du service extérieur des pompes funèbres (art. L. 2223-19 et L. 2223-45, lequel prescrit : "Un décret prévoit les conditions dans lesquelles un diplôme national de thanatopracteur est délivré et est exigé des thanatopracteurs pour bénéficier de l’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23").
À la suite de cette loi, qui, il convient de le préciser, a supprimé le monopole détenu depuis la loi du 28 décembre 1904 par les communes sur l’organisation et la gestion du service extérieur des pompes funèbres, en l’ouvrant à la concurrence, deux décrets sont intervenus pour réglementer la profession de thanatopracteur, à savoir :
1° Le décret n° 94-260 du 1er avril 1994 relatif au diplôme national de thanatopracteur, NOR : INTB9400064D
Ainsi, en son art. 1er (abrogé par le décret n° 2000-318 en date du 17 avril 2000, JORF 9 avril 2000), ce texte réglementaire énonçait : "Les candidats au diplôme national de thanatopracteur doivent avoir suivi la formation théorique et pratique déterminée par le présent décret." La formation théorique aux soins de conservation est d’une durée minimale de 150 heures, réparties de la manière suivante :
- théorie des soins de conservation : durée minimale 60 heures,
- anatomie : durée minimale 21 heures,
- médecine légale : durée minimale 21 heures,
- microbiologie, hygiène, toxicologie : durée minimale 12 heures,
- histologie, anatomie pathologique : durée minimale 10 heures,
- réglementation funéraire : durée minimale 10 heures,
- éléments de gestion : durée minimale 10 heures.
- sciences humaines de la mort : durée minimale 6 heures.
Total : 150 heures.
Les matières médicales sont dispensées par des enseignants universitaires de médecine. L’art. 2 a été, également, abrogé par le décret n° 2000-318 du 7 avril 2000, art. 4, JORF 9 avril 2000, lequel prescrivait : "La formation pratique aux soins de conservation, d’une durée minimale de 200 heures portant sur cent opérations de soins de conservation, est délivrée par des thanatopracteurs habilités conformément à l’art. L. 362-2-1 du Code des communes. Cette formation doit être complétée par un enseignement pratique à l’art restauratif d’une durée minimale de 20 heures."
Il sera relevé, formellement, que ce décret ne précisait nullement en quoi consistait le contenu des missions dévolues aux seuls thanatopracteurs, et celles susceptibles d’être effectuées par des personnels appartenant soit à des corps de santé paramédicaux (tels infirmiers ou agents de service post-mortem des chambres funéraires ou mortuaires), incertitude qui est toujours d’actualité, malgré l’intervention du nouveau décret le 18 mai 2010.
2° Le décret n° 2010-516 du 18 mai 2010 fixant les conditions d’organisation de la formation et de l’examen d’accès au diplôme national de thanatopracteur, NOR : SASP1003418D du 18 mai 2010, ainsi que l’arrêté du même jour, NOR : SASP1003414A, fixant les conditions d’organisation de la formation et de l’examen d’accès au diplôme national de thanatopracteur
Les dispositions principales du décret sont, désormais, codifiées aux articles D. 2223-122 à D. 2223-132 du CGCT. Les modifications essentielles, par rapport à l’ancien décret du 1er avril 1994 qui a été abrogé, portent sur la durée de la formation théorique, qui a été fixée à 195 heures, avec une liste des matières modifiées et augmentées, telle que figurant dans l’annexe à l’arrêté ministériel du 18 mai 2010, puisque l’art. 1 de cet arrêté dispose : "La formation théorique aux soins de conservation est d’une durée minimale de 195 heures réparties en application du 1° de l’annexe 1 du présent arrêté. Les matières médicales sont dispensées par des enseignants universitaires de médecine. La formation théorique aux soins de conservation doit avoir été suivie par les candidats au diplôme national de thanatopracteur sur une période de trois mois consécutifs."
Il est prévu, à l’art. 3 du décret qui permet aux candidats ayant obtenu une note supérieure à 100 (la note zéro est éliminatoire dans les deux matières : théorie des soins de conservation des corps et réglementation funéraire), d’être classés en rang utile pour accéder à la formation pratique dispensée par des maîtres de stage sélectionnés par le Comité National d’Évaluation de la Formation Pratique des Thanatopracteurs, composé de centres ou écoles de formation désignés par le ministère de la Santé, ce Comité étant, également, habilité à sélectionner les agents évaluateurs de la formation pratique qui doivent former et établir les grilles d’évaluation.
L’annexe 2 de l’arrêté, en date du 18 mai 2010, fournit le contenu de la formation théorique dispensée aux futurs candidats au diplôme national de thanatopracteur. Les matières constituant l’épreuve écrite de l’examen d’accès au diplôme national de thanatopracteur sont les suivantes :
Dans l’annexe 3, une liste des centres et écoles de formation au diplôme national de thanatopracteur est fournie, à savoir :
- L’Institut Français de Thanatopraxie (IFT), à Garges-lès-Gonesse (95).
- L’Université d’Angers, faculté de médecine, laboratoire d’anatomie, à Angers (49).
- L’Université Claude Bernard, laboratoire d’anatomie, faculté de médecine, Lyon Grange Blanche, à Lyon (69).
- La SARL Accent-Formation, à Vedène (84).
- L’École de Formation Funéraire les Alyscamps (EFFA), à Paris (75).
- Wilkins Embalming Academy, à Cognac (16).
Matières | Descriptif | Nombre de points |
Théorie des soins de conservation | Historique des techniques des soins de conservation : de l’embaumement à la thanatopraxie ; les soins de conservation en chambre funéraire et en domicile ; les services et les produits utilisés ; méthodes de soins de conservation ; art restauratif ; autopsie médico-légale et scientifique. | 60 |
Anatomie et physiologie élémentaire | Anatomie descriptive du corps humain : fonctions de nutrition, de relation (système nerveux et muscles), de respiration, de circulation et de reproduction. | 30 |
Médecine légale | Organisation de la justice et des professions de santé ; déontologie et secret professionnel ; définitions médico-légales de la mort, principaux signes de la mort ; réglementation des autopsies, des prélèvements et des greffes d’organes ; les morts subites, les morts suspectes ; les blessures ; les asphyxies ; les empoisonnements ; les suicides ; la toxicomanie et l’alcoolisme. | 30 |
Réglementation funéraire | Le service public des pompes funèbres ; le règlement national des pompes funèbres ; l’habilitation dans le domaine funéraire ; les autorisations administratives délivrées par le maire ; la chambre funéraire et la chambre mortuaire ; la réglementation des produits pour soins de conservation. | 20 |
Microbiologie, hygiène | Bactéries et virus, flore bactérienne chez l’homme ; généralités sur l’infection ; lutte antimicrobienne. | 10 |
Toxicologie | Généralités et définitions ; classification ; pénétration des toxiques dans l’organisme, distribution, moyens d’élimination ; facteurs essentiels de la toxicité ; manifestations générales ; la mort toxique ; recherche et quantification des toxiques, utilité de la toxicologie en thanatopraxie. | 10 |
Histologie, anatomie pathologique | La cellule ; les tissus épithéliaux ; les tissus conjonctifs ; notions de lésion ; réaction ; notions de processus morbide ; processus inflammatoires, tumoraux et dysplasiques. | 10 |
Gestion | Comptabilité et fiscalité des entreprises ; bilan ; principales obligations légales et réglementaires des entreprises. | 10 |
Sciences humaines de la mort, éléments de déontologie et d’éthique | Histoire et psychosociologie de la mort ; la mort dans le monde contemporain ; les rituels ; respect du défunt, déontologie. | 10 |
Sécurité sanitaire, évaluation des risques sanitaires | Tenue du professionnel, risques dus aux produits de thanatopraxie, transport des produits, déchets d’activité de soins à risques infectieux, maladies contagieuses... | 10 |
Total | 200 |
Au bénéfice de tout ce qui précède, force est d’admettre que les textes en vigueur régissant la profession de thanatopracteur et son accès (décret et arrêté du 18 mai 2010, pas plus, d’ailleurs que le décret du 1er avril 1994, abrogé) ne fournissent ou ne fournissaient pas une énumération exhaustive des actes que les thanatopracteurs sont habilités et autorisés à effectuer au titre de leur propre compétence exclusive.
Pour la théorie des soins de conservation, l’annexe 2 de l’arrêté donne une liste sommaire des enseignements obligatoires, à savoir : "Historique des techniques des soins de conservation : de l’embaumement à la thanatopraxie ; les soins de conservation en chambre funéraire et en domicile ; les services et les produits utilisés ; méthodes de soins de conservation ; art restauratif ; autopsie médico-légale et scientifique", étant, ici, remarqué que la notion de toilette est consciencieusement évitée ou éludée.
Or, de tous temps, des toilettes dites mortuaires ou funéraires (la distinction entre ces deux termes vient du fait que c’est le lieu qui détermine son usage : mortuaire, pour les toilettes réalisées dans des chambres mortuaires des établissements de santé publics ou privés ou sociaux ou médico-sociaux, étant tenus de disposer d’une chambre mortuaire, dès lors qu’ils enregistrent en moyenne annuelle, établie sur les trois dernières années closes, au moins deux cents (200) décès ; et funéraire, pour les toilettes effectuées en chambre funéraire ou au domicile du défunt ou à la résidence d’un membre de sa famille).
Devant ce vide juridique (légal et réglementaire), la doctrine a tenté une approche concrète et pragmatique afin de mieux cerner les différentes interventions susceptibles de relever, d’une part, de la compétence exclusive des thanatopracteurs et, d’autre part, des personnels paramédicaux ou professionnels intervenant en milieu hospitalier ou en chambre funéraire sous l’autorité du chef d’établissement.
Ainsi, un Syndicat professionnel des thanatopracteurs s’est livré à une analyse du rapport de l’Inspection Générale de l’Administration des affaires Sociales (IGAS), commandé par le ministre chargé de la Santé, intitulé "Pistes d’évolution de la réglementation des soins de conservation" établi par M. Jean-Paul Segade, conseiller général des établissements de Santé, M. Dominique Bellion, inspecteur général de l’Administration en service extraordinaire, et M. Jacques Fournier, inspecteur général de l’Administration, en juillet 2013.
Il est à noter que, dans ce rapport (p. 21), les auteurs opèrent clairement une distinction "entre les soins de thanatopraxie, comme l’avait fait précédemment le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), en ce qui concerne la perception en général, par les familles des défunts et plus généralement le public, de la réalité des actes de thanatopraxie. Ils estiment que les familles devraient être mieux informées du type d’acte qui va être réalisé sur le corps, en particulier concernant la différence entre les soins de thanatopraxie et la simple toilette mortuaire".
L’analyse du rapport de l’IGAS
Il est écrit : "Après avoir lu avec attention le rapport de l’IGAS, nous avons questionné nos membres afin qu’ils émettent chacun, selon leur région, leur spécificité, leurs pratiques et leur expériences, et qu’ils nous retournent le fruit de leur réflexion ou de leurs attentes. Le fait est que la mission confiée aux inspecteurs de l’IGAS n’était pas simple, d’autant qu’elle était confiée à des personnels bien souvent mal informés de la situation et au regard néophyte pour la plupart des thèmes abordés. Cela n’est en rien une critique, mais le rapport illustre certaines de ces méconnaissances, de ces incompréhensions et des carences évidentes qui, aux yeux de certains, donnent un sentiment d’amateurisme dans certains points.
Pour d’autres, fort heureusement, les messages sont passés et ont été véritablement bien compris, et nous allons essayer de vous proposer la lecture qui en a été faite par les membres du Syndicat. Alors, même si ce rapport comporte des "coquilles" dès les premières pages, il n’en demeure pas moins qu’il reste clair et accessible, et qu’il est assez bien présenté, et en cela, nous remercions MM. Segade, Bellion et Fournier de nous avoir entendus dans un premier temps et d’avoir tenté de retranscrire les avis de chacun, qui représente un travail colossal."
Puis le Syndicat se livre à une critique bien compréhensible de l’utilisation de la glace carbonique en tant que moyen de conservation, tout comme, d’ailleurs, les équipements réfrigérants, comme les tables du même nom, qui rendent la présentation "possible" dans un délai assez court pour la simple et unique raison qu’elle congèle le dessous du corps en retardant la thanatomorphose. En revanche, elle ne supprime en rien les effets délétères et putréfiants qu’un corps subit dans la plupart des cas, et notamment lors de longues maladies où des traitements lourds ont été employés, qui viennent amplifier et favoriser la décomposition naturelle du corps.
"Cette solution n’est donc pas envisageable dans un délai supérieur à 3 jours et inacceptable en domicile, où les conditions d’hygiène et de salubrité ne sont bien évidemment pas respectées tant pour le professionnel qui y ferait une simple toilette – et a fortiori un soin de conservation –, que pour la famille. Une grande majorité des membres du Syndicat préconisent d’ailleurs la disparition des soins et des toilettes en domicile, qu’ils considèrent encore comme une exception française, car la France, faut-il le rappeler, est le seul pays d’Europe occidentale à pratiquer de la sorte. Les Pays-Bas, qui ont récemment légiféré sur la pratique des soins de conservation, ont demandé à ce qu’ils soient faits dans des locaux adaptés !
Car, au-delà du simple bon sens qui voudrait que ces actes soient faits dans des locaux techniques adaptés (chambres mortuaires et funérariums), il s’avère que, si les soins seuls étaient concernés, nul doute que les opérateurs de pompes funèbres n’en vendraient plus au profit de toilettes faites par eux-mêmes ou par le thanatopracteur, et non seulement cela aurait une incidence sur le chiffre d’affaires des professionnels, mais en plus, la loi n’aurait pas répondu à l’urgence sanitaire... Un grand coup d’épée dans l’eau, pour le coup !"
Concernant le vocabulaire à employer, le Syndicat propose de reprendre le tableau édité dans le rapport de l’IGAS, en y faisant des modifications compréhensibles de tous, sans employer un langage ou des expressions grandiloquents ou solennels qui viseraient plus à impressionner un auditoire déjà fortement troublé par la perte d’un être cher. Pour se faire comprendre de tous, il est nécessaire d’être accessible.
Ainsi est proposée une définition de la toilette mortuaire
- Toilette basique
Toutes premières précautions visant à un "méchage" des orifices (sphère ORL, pose d’un change étanche et retrait des voies veineuses, sondes, poches, etc.). Habillage sommaire (chasuble ou blouse) : agents d’amphithéâtre (personnel de chambre mortuaire), infirmiers à domicile, personnels de chambre funéraire.
Article L.1232-5e
- Toilette funéraire
Toilette complète comprenant :
Lavage du corps, rasage, coiffage, suture de bouche, habillage, maquillage si besoin. À la demande de la famille, et qui peut être fait soit en centre de soins (CH ou clinique, ou maison de retraite) et sans que le personnel de la chambre mortuaire ne puisse s’y opposer (volonté de la famille), personnels funéraires habilités, et thanatopracteurs.
Le Syndicat opère, ensuite, une distinction entre les toilettes, dont il admet explicitement qu’elles peuvent être effectuées en milieu hospitalier ou en équipement funéraire habilité, par des personnels relevant, soit de l’établissement de santé ou d’une maison de retraite, soit d’un opérateur funéraire habilité.
Dénomination
- Pour les thanatopracteurs uniquement
Le contenu des soins de conservation et de présentation comprennent :
La toilette, ainsi qu’une injection d’un produit conservateur formolé ou non et un drainage des liquides physiologiques et des gaz. Application cosmétique si besoin, actes accomplis à la demande de la famille.
- Puis de poursuivre
"Nous préconisions dans ce rapport qu’un corps sans soin qui resterait à domicile (dans le cas où les toilettes soient autorisées à domicile) ne saurait rester plus de 24 heures sur table réfrigérante, et soit mis en bière passé ce délai. Car, outre le fait que le domicile ne propose aucune garantie d’asepsie, et dans le cas où les toilettes soient tolérées en domicile, il en irait de la baisse significative du chiffre d’affaires des thanatopracteurs."
"Dans ce cas précis, le soin de conservation devrait être obligatoire, comme il le fut il y a encore quelques années lorsque le délai de sortie d’un corps d’un établissement de santé vers un domicile ou un funérarium était de 24 heures sans soin de conservation et de 48 heures avec un soin de conservation. Cette loi est d’ailleurs une loi anti-bon sens, car, de la précocité de notre acte dépend le résultat final. Il est évident, et nous pouvons le constater quotidiennement, que les corps ramenés au bout de 48 heures et qui n’ont pas eu de soin de conservation ne permettent plus une exposition dans des conditions optimales de salubrité publique. Par ailleurs, la maison de retraite étant considérée comme le domicile des personnes qui l’occupent, ces dernières devraient pouvoir se mettre aux normes dans un délai de 2 ans à compter de la publication de cette loi, d’autant que la mise aux normes ne requiert pas des frais colossaux en termes d’aménagements selon l’art. D. 2223-84.
Le rapport de l’IGAS invite les pouvoirs publics à prendre la mesure d’interdiction des soins de conservation à domicile, nous sommes d’accord, à condition que les toilettes funéraires fassent également partie de ce dispositif pour les raisons invoquées ci-dessus, d’autant que, comme le souligne le rapport, l’activité du thanatopracteur est soumise à risques."
C’est cette approche de la distinction entre toilette mortuaire ou funéraire, et soins de conservation des corps, qui prévaut, actuellement, au plan doctrinal (ainsi que me l’a confirmé un thanatopracteur réputé, membre du jury national), pour la délivrance du diplôme national de thanatopracteur.
La problématique des ligatures de bouche, selon la littérature spécialisée.
Il existe à cet égard deux courants de pensée :
- Le premier soutient que la ligature de bouche est un acte invasif et, donc, réservé aux thanatopracteurs. Cette affirmation est argumentée, et étayée, par un cas concret. Plus précisément, celui d’un conseiller funéraire, licencié pour avoir refusé d’effectuer une ligature de bouche et à qui les prud’hommes ont donné raison. Et c’est précisément ce point des ligatures qui a suscité de nombreuses réactions, et des appels nombreux auprès d’un Syndicat de thanatopracteurs. La preuve, s’il en fallait, que la réponse à cette question n’est pas évidente, même pour un professionnel aguerri. La ligature de bouche est-elle la chasse gardée du thanatopracteur ? Juridiquement, le flou règne. Il est impossible de trouver un texte de loi ou un texte réglementaire, (décret, arrêté, circulaire, etc.), qui précise la nature de cette opération.
- Pour le second courant, telles l’approche et les analyses opérées par le Syndicat, la ligature de bouche n’est pas définie, légalement, comme une opération invasive. Il s’ensuit que ce qui n’est pas illégal est légal. La loi ou le règlement ont laissé un certain nombre "d’angles morts", qui seront comblés, si besoin est, par la jurisprudence. Pour l’heure, en l’absence de décisions des hautes assemblées sur cette question, c’est bien la doctrine qui s’y emploie.
Ainsi, il est acté, par le syndicat professionnel, que les agents d’amphithéâtre, les personnels infirmiers en milieu hospitalier, ou les personnels des services funéraires, dûment formés à cet effet, l’expérience professionnelle acquise au fil du temps étant l’un des critères pour solliciter une habilitation d’une entreprise, en produisant l’état du personnel, peuvent dans le cadre de l’exécution de toilettes mortuaires ou funéraires effectuer des sutures ou ligatures de bouche.
Sur les obstructions des voies naturelles
De surcroît, rien ne s’oppose, comme cela ressort clairement du rapport d’analyse du Syndicat, à ce que les agents des opérateurs funéraires habilités soient autorisés dans le cadre de l’exécution d’une toilette funéraire à mécher les cavités naturelles, ce qui ne constitue, nullement, un acte invasif, cette pratique étant au minimum séculaire !
Sur la pose de couvre-yeux
Afin de tenter d’apporter une réponse à cette question, il est utile de se positionner face à l’interrogation suivante : "Poser des couvre-yeux est-il un acte invasif ?". À notre sens, et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le cas échéant, la réponse paraît, à l’évidence, négative, car il s’agit de prothèses temporaires externes, auto-agrafées, qui ne nécessitent aucune incision, ni utilisation d’un instrument tranchant ou coupant. Cet acte semble, donc, pouvoir être effectué par un agent ayant acquis une expérience professionnelle certaine, ainsi qu’un savoir-faire, au contact de thanatopracteurs diplômés, intervenant en chambre funéraire ou mortuaire, voire pas des professionnels de santé.
Cependant, nous inciterons le lecteur à faire preuve de prudence, car, dans son annexe 1 de son rapport n° RM2013-130P / IGA n° 13029/01, en p. s 41 et 42, intitulée "Description des gestes lors d’une thanatopraxie" en se fondant sur la source HCSP "Recommandations pour les conditions d’exercice de la thanatopraxie 2012, p. 7-8", l’IGAS citant également l’observation réelle du travail des thanatopracteurs effectuée par Guez-Chailloux en 2005, il est mentionné en page 42 : "Le thanatopracteur comble ensuite la bouche et les narines (en remontant jusque dans le sinus) avec du coton imbibé d’un produit désinfectant. La fixation de la bouche passe également par la pose d’un point de suture (à l’aide d’une grosse aiguille courbe, sans pince). La fin de l’intervention comprend l’habillage, le maquillage et le coiffage du défunt."
Sans aller jusqu’à revendiquer ou proposer l’exclusivité de la compétence du thanatopracteur pour la réalisation de la fixation de la bouche, opération que nous avons qualifiée de "suture de bouche", les rédacteurs de cette annexe 1 semblent cependant imputer au thanatopracteur la pose de ces points, dits "de bouche". Néanmoins, pour les thanatopracteurs professionnels, qu’ils soient adhérents ou non au Syndicat, la question de la réalisation des "sutures de bouche" est, à l’heure actuelle, considérée comme réglée par le rapport et les appréciations portées par les membres de ce Syndicat professionnel des thanatopracteurs à l’égard des préconisations de l’IGAS de juillet 2013, telles que présentées ci-dessus.
Jean-Pierre Tricon
Avocat
Résonance n°128 - Mars 2017
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :