Aux termes d’un jugement en date du 13 avril dernier, le tribunal de grande instance d’Auch a débouté Mme M. de ses demandes de condamnation d’une commune du Gers, suite à la reprise de sépultures en terrain commun ou service ordinaire, qualification légale.
Jean-Pierre Tricon, avocat au barreau de Marseille. |
Brièvement exposés, les faits portaient sur la réhabilitation décidée par délibération du conseil municipal du cimetière d’une commune gersoise, dont la population est inférieure à 2 000 habitants. Dans cette délibération, il était mentionné qu’aucun régime de concession n’avait été institué par le passé et que les terrains communs étaient occupés par des sépultures dévolues à des défunts de plusieurs familles, inhumés en pleine terre ou dans des caveaux édifiés sans titre d’occupation du cimetière, dont nous rappellerons qu’il s’agit formellement, depuis l’ordonnance du 28 juillet 2005, d’une dépendance du domaine public.
Dans le corps du jugement, il est mentionné que ces sépultures gratuites ont une durée minimum de cinq ans, et qu’à l’issue de ce délai, la reprise des emplacements par la commune était de droit.
Pour le tribunal :
"Le maire a ainsi estimé que seule la concession permettait d’ouvrir et de garantir des droits aux familles dans le temps. Que le maire avait également relevé que, parmi les sépultures du cimetière, certaines étaient visitées et/ou entretenues par les familles alors que la commune n’avait pas procédé à la reprise des terrains au terme du délai réglementaire. Le maire avait alors préconisé aux familles de transformer la sépulture en concession privative au bénéfice de tous les ayants droit des personnes inhumées connues après remise en état si nécessaire de la sépulture ou, le cas échéant, de décider autrement du devenir de leurs défunts.
Le maire avait également proposé de fixer une date butoir à cette procédure au terme de laquelle il serait procédé à la reprise des terrains dont la situation n’aurait pas été régularisée."
Puis, il est également mentionné dans le jugement :
"Le conseil municipal a alors décidé de suivre les préconisations du maire en décidant de procéder à une démarche de communication et d’information, notamment par l’envoi d’un courrier en lettre recommandée avec accusé de réception, puis d’un second et dernier courrier de relance aux héritiers des défunts connus un mois et quinze jours avant la date butoir. Le conseil a proposé aux familles de régulariser la situation, soit en souscrivant une concession en lieu et place au bénéfice de tous les ayants droit des personnes inhumées lorsque l’aménagement sur le terrain le permettait, soit en faisant procéder, à la charge des ayants droit, au transfert des défunts dans une concession du cimetière ou dans un autre cimetière.
Le conseil municipal a fixé un délai butoir de deux mois pour permettre aux familles de se faire connaître en mairie et procéder aux formalités nécessaires. Il a décidé qu’au terme de ce délai il serait procédé à la reprise des sépultures dont la situation n’aurait pas été régularisée. Le conseil municipal a chargé le maire de prendre un arrêté définissant les modalités selon lesquelles auraient lieu ces reprises en vue de libérer les terrains et de les affecter à de nouvelles sépultures."
C’est donc dans ce contexte que, le 16 juillet 2013, le maire prenait un arrêté de reprise des terrains communs à compter du 17 juillet 2013, et il y était mentionné que les objets funéraires installés sur les emplacements gratuits qui n’auraient pas été récupérés par les familles seraient enlevés pour être mis en dépôt dans une partie du cimetière réservée à cet effet. En outre, il y était précisé qu’à défaut pour les familles intéressées d’avoir fait procéder à l’exhumation des parents ou amis que les concessions renfermaient, les restes mortels seraient recueillis et ré-inhumés avec toute la décence convenable dans l’ossuaire du cimetière.
Contrairement à ce qui est mentionné dans les premiers considérants précités, selon lesquels, dans la délibération du conseil municipal de mars 2013, "le maire aurait informé le conseil municipal qu’aucun régime de concession n’avait été institué par le passé et que les terrains des sépultures occupées dans lesquelles un ou plusieurs défunts de la même famille étaient inhumés en pleine terre ou dans des caveaux n’avaient pas été concédés", le 9 mars 2013, un avis municipal avait été affiché, lequel avait pour finalité d’informer les titulaires de concessions, ainsi que leurs parents ou ayants droit, qu’une procédure de reprise des concessions en état d’abandon était engagée dans le cimetière de la commune.
Il y était, également, mentionné que, le 21 mars 2013, il serait procédé au constat d’abandon des sépultures qui avaient notoirement plus de 30 ans d’existence et dont les dernières inhumations avaient plus de dix ans. Des descendants ou successeurs des concessionnaires étaient invités à se présenter ou se faire représenter le jour de la convocation. L’avis ajoutait qu’il était offert aux titulaires de concession ou à leurs parents ou ayants droit de procéder à la remise en état des emplacements, faute de quoi la commune reprendrait ces emplacements.
C’est ainsi que, le 23 mars 2013, il aurait été établi un "extrait des procès-verbaux liste officielle" aux termes duquel le maire aurait invité un certain nombre de familles à rétablir les sépultures ayant fait l’objet de concessions dans un état de propreté et de solidité suffisante, faute de quoi la commune pourrait effectuer la reprise dans les conditions prévues à l’art. L 2213-9 et à l’art. L 2223-17 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), soit trois ans après le délai légal d’affichage de l’extrait du procès-verbal du 21 mars 2013.
Or, en juillet 2013, Mme M. avait remis à la mairie de la commune un imprimé prérempli que la commune avait mis à la disposition des familles concernées par la procédure de reprise des concessions, semble-t-il, dans lequel elle déclarait être descendante ou successeur et désirer conserver les concessions portant six numéros, à deux ou trois chiffres, sans que cet imprimé permette de préciser les identités des défunts. Elle s’était engagée, dans ce document, à les remettre en état dans un délai de trois ans. Or, parmi ces six sépultures déclarées par Mme M., trois d’entre elles ont été reprises avant le terme du délai de trois ans sur lequel elle s’était expressément engagée, entre le 20 et le 25 juillet 2013, s’agissant, d’ailleurs, de corps de personnes membres de sa famille dans la branche maternelle.
N’ayant pu obtenir d’explications cohérentes de la commune, Mme M. n’a eu pour solution que de saisir le tribunal de grande instance d’Auch, sur le fondement de la voie de fait, afin que le tribunal prescrive une expertise technique afin de déterminer les conditions dans lesquelles les corps avaient été exhumés, que la commune produise, avant dire droit, le livre des inhumations, le livre des tombes, les registres reliés des arrêtés de concessions, le livre d’achat des concessions (sic), les livres dits d’opposition. Enfin, que ladite commune soit condamnée à lui restituer l’intégralité des ossements de sa famille déposés dans l’ossuaire communal.
En outre, une condamnation pécuniaire était sollicitée
Au soutien de ses prétentions, Mme M., qui n’avait pu assister à la première réunion organisée par le maire le 21 mars 2013, afin de déterminer l’état d’abandon des concessions existantes, et point des sépultures établies en terrain commun, a pris soin de rencontrer spécifiquement en mars 2013 une adjointe au maire, qui, selon les écritures de la commune d’O. était incompétente en matière funéraire, puis le 2 août 2013 une représentante de la société ELABOR à qui la commune avait confié la maîtrise d’œuvre de la réorganisation du cimetière, en vue d’établir un état des lieux portant sur l’ensemble des sépultures dont elle sollicitait la préservation.
Il est précisé par le tribunal, dans son jugement, que dans ses conclusions en réponse la commune avait fait valoir qu’elle avait décidé d’engager un programme de réhabilitation du cimetière communal afin de se mettre en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en matière funéraire. Cette réhabilitation s’est traduite par la mise en œuvre d’une procédure de reprise des concessions en état d’abandon et, d’autre part, par la reprise physique des tombes en terrain commun, dépourvues de concessions et ne contenant qu’un seul corps. Quant aux restes mortels issus des reprises des sépultures gratuites, ils avaient été déposés dans l’ossuaire communal.
Se fondant sur des moyens particulièrement curieux, notamment pour un ancien conservateur de cimetière de la ville de Marseille, le tribunal a débouté Mme M. en toutes ses demandes, fins et conclusions, aux motifs que, dans l’imprimé intitulé "Déclaration d’Engagement et de Prise en Charge "remis par les services communaux, elle avait mentionné, ainsi que cela l’est exposé supra, des numéros de tombes qui selon la commune se seraient révélés erronés, argument retenu par le tribunal, lequel a bien reconnu que la commune avait admis que l’entreprise chargée des exhumations des corps aurait pu commettre une erreur, les emplacements en cause étaient mal définis ou dépourvus d’éléments funéraires.
Bien que Mme M. ait produit des témoignages relatifs à l’emplacement de la sépulture de l’un de ses parents, le tribunal, ne tenant aucun compte que la commune aurait pu ou dû vérifier le contenu des engagements souscrits par Mme M., a jugé que les attestations, de par leur imprécision, voire leur incohérence, n’étaient pas de nature à démontrer que le défunt parent de Mme M. avait été inhumé à l’emplacement désigné par sa parente.
Par contre, s’agissant d’un autre parent de Mme M., il est bien mentionné, dans les motivations de la décision, que l’entreprise chargée des exhumations avait bien commis une erreur, qui avait été réparée dès le lendemain, le reliquaire contenant ses ossements ayant été extrait de l’ossuaire afin d’être remis dans la tombe !
En outre, le tribunal a motivé sa décision de ne point sanctionner cette erreur de l’entreprise, en estimant qu’elle avait été limitée dans le temps et que le lien de parenté entre Mme M. et le défunt devait être considéré comme "très distant".
Pour les autres corps, et bien que le lien familial, voire la qualité de plus proche parent du défunt, ait été établi, le tribunal a fait reproche à Mme M. d’avoir mentionné dans l’engagement des numéros de tombes erronés, alors même que celles-ci n’étaient pas concernées par la procédure de reprise des concessions en état d’abandon, mais par celle des sépultures en terrain commun, nettement moins protectrice.
Ainsi, la commune, en n’ayant pas sollicité les informations portant sur les identités (noms, prénoms et dates ou périodes des décès des membres de la famille de Madame M.), mais s’étant uniquement fondée à considérer les numéros de tombes qui étaient globalement assez méconnus de Mme M., sans opérer les vérifications élémentaires dans ses archives qui auraient permis d’éviter la disparition des restes mortels, et sans avoir invité Mme M. à déposer auprès du maire des demandes d’exhumations conformément à l’art. R. 2213-40 du CGCT, a pu, néanmoins, échapper à ses responsabilités, le tribunal ayant débouté Mme M., en se fondant essentiellement sur l’art. 9 du Code de procédure civile, qui dispose : "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention."
Mme M., non seulement a été déboutée de ses prétentions, mais a été condamnée au paiement d’une indemnité assez conséquente sur le fondement de l’art. 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Un appel a été interjeté devant la cour d’appel d’Agen
Cette décision est de nature à susciter quelques interrogations sur ses motivations et sa portée. C’est ainsi qu’en premier lieu, il sera objecté que, dans le jugement, il est fait état de la délibération du conseil municipal de la commune en date du 7 mars 2013, dans laquelle il était mentionné "qu’aucun régime de concession n’avait été institué par le passé et que les terrains communs étaient occupés par des sépultures dévolues à des défunts de plusieurs familles, inhumés en pleine terre ou dans des caveaux édifiés sans titre d’occupation du cimetière", alors que, manifestement, il existait bien des concessions dans le cimetière puisqu’une procédure spécifique, prévue aux articles L 2223-17, L 2223-18 et R. 2223-12 à R. 2223-23 CGCT, a été mise en œuvre et que des constats contradictoires d’abandon ont été organisés.
Cette formulation était notoirement erronée et ne pouvait qu’induire en erreur les personnes concernées par ces procédures.
Cependant, pour avoir pu accéder aux procès-verbaux établis par le maire en présence d’un adjoint – la commune étant dépourvue de garde champêtre – que le tribunal qualifie "d’extraits de procès-verbaux liste officielle", qui, en fait, ne détaillent pas les motifs des reprises alors que, sur ce point, la jurisprudence s’accorde à exiger que, s’agissant de la notion d’état d’abandon, et bien que le CGCT ne donne aucune précision, il ressort que cet état doit se caractériser par des signes extérieurs nuisant au bon ordre et à la décence du cimetière. Ainsi, des concessions qui offrent une vue "délabrée et envahie par les ronces ou autres plantes parasites" (CE, 24 nov. 1971, commune de Bourg-sur-Gironde) ou qui sont "recouvertes d’herbe ou sur lesquelles poussent des arbustes sauvages" (CAA de Nancy, 3 nov. 1994, commune de Chissey-en-Morvan) sont reconnues à l’état d’abandon.
Cet état et les signes ou indices d’abandon de la concession doivent être détaillés dans le procès-verbal, tout comme, à l’issue du deuxième constat opéré au terme des trois années, les actes d’entretien doivent être décrits, et lorsqu’ils sont jugés insuffisants, le maire a la faculté de décider d’ouvrir un nouveau délai de trois ans afin que les ayants droit accomplissent leurs obligations légales ou réglementaires.
Dans le cas contraire, soit l’état de la concession est jugé convenable, et il est mis fin à la procédure, soit aucun acte ou aucuns travaux n’ont été exécutés, et dans cette hypothèse, la reprise est décidée.
Or, les procès-verbaux figurant dans la procédure ne décrivent nullement en quoi consistaient les signes extérieurs d’abandon, le maire s’étant borné à cocher des cases indiquant un défaut d’entretien justifiant la procédure de reprise. Manifestement, ces actes juridiques ne sont pas conformes aux critères jurisprudentiels, et devraient donner lieu à l’annulation de la procédure de reprise des concessions réputées à l’état d’abandon et effectivement relevées par la commune.
Mais l’essentiel du litige portait sur la reprise des sépultures en terrain commun, qui a été conduite parallèlement à celle des concessions déjà existantes.
Cette manière d’agir n’a pu que créer dans l’esprit des personnes concernées une incompréhension, mais aussi une confusion, car c’est sur le fondement de la délibération du conseil municipal de la commune, en date du 7 mars 2013, que les deux procédures de reprise, d’abord des emplacements situés en terrain commun, puis des concessions déjà existantes, ont été diligentées, alors que dans cet acte administratif à caractère réglementaire, en date du 7 mars 2013, "le maire de la commune avait indiqué qu’aucun régime de concession n’avait été institué par le passé et que les terrains des sépultures occupées dans lesquelles un ou plusieurs défunts de la même famille étaient inhumés en pleine terre ou dans des caveaux n’avaient pas été concédés", affirmation dont il est démontré supra qu’elle est manifestement erronée.
Il sera, également, rappelé que le jugement mentionne, en outre, que : "Le conseil municipal a alors décidé de suivre les préconisations du maire en décidant de procéder à une démarche de communication et d’information, notamment par l’envoi d’un courrier en lettre recommandée avec accusé de réception, puis d’un second et dernier courrier de relance aux héritiers des défunts connus au mois à 15 jours avant la date butoir. Le conseil a décidé de proposer aux familles de régulariser la situation, soit en souscrivant une concession en lieu et place au bénéfice de tous les ayants droit des personnes inhumées lorsque l’aménagement sur le terrain le permettait, soit en faisant procéder, à la charge des ayants droit, au transfert des défunts dans une concession du cimetière ou dans un autre cimetière."
C’est à la suite de cette délibération que le maire de la commune a pris un arrêté, en date du 16 juillet, de reprise des terrains communs à compter du 17 juillet 2013, dans lequel il était spécifiquement prévu que les objets funéraires installés sur ces emplacements en terrain commun, qui n’auraient pas été récupérés par les familles, seraient enlevés pour être mis en dépôt dans la partie du cimetière réservée à cet effet.
Or, selon une jurisprudence constante des juridictions administratives, CAA Marseille, 10 mars 2011,
n° 09MA00288, un délai doit être accordé aux familles pour qu’il soit procédé à l’enlèvement des ornements ou signes funéraires, mentionné dans l’arrêté du maire ordonnant la reprise des terrains communs (environ 2 mois). Cet arrêté doit être affiché en mairie et aux portes du cimetière afin d’assurer la plus large diffusion.
Dans son jugement, le tribunal expose :
"En outre, il était précisé qu’à défaut pour les familles intéressées d’avoir fait procéder à l’exhumation des parents ou amis que les concessions renfermaient, les restes mortels seraient recueillis et ré-inhumés avec toute la décence convenable dans l’ossuaire du cimetière (à noter qu’une erreur matérielle a fait écrire au greffier, rédacteur du jugement, "dans l’ossature du cimetière", ce qui aurait justifié une action en rectification). Il ne peut être contesté que Mme M. avait clairement manifesté son intention de "récupérer" les corps de ses parents ou alliés afin d’éviter que leurs dépouilles ne soient déposées dans l’ossuaire perpétuel municipal.
C’est ainsi que, le 20 juillet 2013, elle avait remis à la commune un imprimé prérempli que la commune avait mis à sa disposition dans lequel elle avait déclaré être descendante ou successeur, et désirer conserver les concessions portant les numéros 116, 113, 116, 42, 157, 171 et 182. Elle s’était engagée à les remettre en état dans un délai maximum de trois ans, ainsi que le préconisait cet imprimé.
Que, le 2 août 2013, elle avait pris le soin de rencontrer spécifiquement un représentant de la société ELABOR, maître d’œuvre de la réorganisation du cimetière, alors que courant mars 2013 elle avait, également, eu un entretien suivi d’une visite des tombes sises en terrain commun, avec une conseillère municipale afin d’établir un état des lieux portant sur l’ensemble des sépultures dont elle sollicitait la préservation. Aucun document émanant de la commune n’a acté cette rencontre, qui n’est cependant point contredite par la commune, ni même apporté des corrections au bien-fondé de ces engagements, d’autant plus que dans ses écritures en réplique devant la cour d’appel d’Agen, la commune qualifie cette élue communale d’incompétente en la matière.
Dans le document prérempli remis à la commune, Mme M. avait mentionné plusieurs emplacements, dont certains étaient situés en terrain commun, tels que :
Le n° 113, qui selon elle était la sépulture de sa grand-mère maternelle. Or, selon les conclusions de la commune, le n° 113 n’était pas occupé par la parente de Mme M. mais c’était le n° 112, qui figurait dans l’arrêté du 16 juillet 2013 relatif à la reprise des terrains communs, et dont Mme M. n’avait pas sollicité la conservation puisqu’elle était dans la croyance que le corps de sa parente reposait dans la tombe n° 113, sans que la commune, à un quelconque moment que ce soit, l’en ait dissuadée. Pour Mme M. reposait également dans l’emplacement n° 113 le corps de son oncle maternel, alors que la commune a soutenu dans la juridiction de première instance qu’il reposait dans l’emplacement n° 112, dont elle n’avait pas sollicité, également, la préservation ou la restitution des restes mortels.
Le tribunal a suivi, une fois de plus, l’argumentation de la commune
Cette situation s’est répétée avec l’emplacement n° 116, qui aurait contenu les dépouilles de son arrière-grand-mère maternelle et de son arrière grand-père, dont la préservation avait été requise, la commune ayant opposé que le corps reposait dans la tombe n° 115, dont la conservation n’avait pas été demandée, alors que cet emplacement figurait bien sur l’arrêté du maire de reprise des sépultures sises en terrain commun, et qu’il avait été relevé par la commune, conformément aux mentions figurant sur l’arrêté municipal.
Il s’ensuit que, malgré la déclaration d’intention proposée par la commune aux ayants droit des défunts inhumés dans son cimetière, visant à assurer une protection aux corps des personnes inhumées soit dans des tombes en service ordinaire ou terrain commun, soit dans des concessions, les volontés exprimées par Mme M. n’ont pas été respectées, car, dans sa déclaration, elle avait cité des numéros de tombes qu’elle croyait contenir les restes mortels de ses parents, alors que les numéros par rapport au plan du cimetière étaient erronés.
Il est surprenant que la commune ait induit volontairement ou involontairement en erreur les personnes susceptibles de justifier d’un lien de parenté avec des défunts dont les sépultures étaient visées par l’arrêté du maire prescrivant la reprise des emplacements implantés en terrain commun, en acceptant des engagements de la part des ayants droit portant sur trois ans pour la remise en état des tombes, alors que manifestement cet engagement ne pouvait valoir que pour la seconde procédure de reprise des concessions mise en œuvre, également en son principe, par la délibération du conseil municipal en date du 7 mars 2013.
Que, ce faisant, par un défaut manifeste d’information et d’éclairage des ayants droit, quant à la distinction à opérer entre les deux procédures, dont en particulier celle de la reprise des tombes gratuites en service ordinaire ou terrain commun qui était quasiment d’effet immédiat, la commune a privé Mme M. d’une chance d’assurer, par la voie du transfert, le regroupement familial des corps de ses parents dans une concession qu’elle possède dans le cimetière de Toulouse.
Que, la faute de la commune est encore aggravée par le manque d’informations délivrées par l’adjointe au maire lors de la rencontre de Mme M. avec elle, en mars 2013, puisqu’il semblerait, qu’à cette date, les procédures de reprise des emplacements en terrain commun n’avaient pas encore débuté, l’arrêté du maire en date du 16 juillet 2013 ayant pris effet, sans délai raisonnable de carence, et que l’élue municipale s’était bien gardée de le faire savoir à Mme M.
Plus grave encore !
Il est admis, sans contestation possible, par le tribunal de grande instance d’Auch, que les personnes désireuses d’assurer une sépulture pérenne aux membres de leur famille pouvaient, soit solliciter la délivrance d’une concession, semble-t-il sur un emplacement existant en terrain commun, ce qui n’est point pratique courante, car la gestion ultérieure des carrés dédiés aux sépultures gratuites et aux concessions s’en trouverait largement complexifiée et, en ce qui concerne la légalité d’une telle mesure elle semble pouvoir être discutée sur le fondement de l’art. L 2223-2 CGCT, les communes se devant de disposer de suffisamment d’emplacements gratuits pour faire face aux besoins afférents aux décès susceptibles de survenir chaque année, en possédant des terrains cinq fois plus étendus que l’espace nécessaire pour y déposer le nombre présumé des morts qui peuvent y être enterrés chaque année (la loi, ce texte est issu du décret loi du 23 Prairial AN XII, impose des réserves de terrains pour pratiquer des inhumations en service ordinaire).
Cette condition constitue, également, une réserve pour que le conseil municipal décide la création de concessions nouvelles, sur le fondement de l’art. L 2223-13 CGCT, qui énonce :
"Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Il peut être également concédé des espaces pour le dépôt ou l’inhumation des urnes dans le cimetière. Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune".
Il n’est pas précisé, dans la délibération du conseil municipal de la commune en date du 7 mars 2013, que ces conversions en concessions funéraires d’emplacements en terrain commun garantiraient la préservation des espaces nécessaires en cas de survenance de décès, nécessitant le recours aux inhumations en terrain commun. Au surplus, la dite délibération ouvrait la possibilité d’organiser des transferts de corps, ce qui était manifestement la volonté de Mme M.
Pourquoi la commune n’a-t-elle pas, alors, proposé à Mme M. de déposer des dossiers de demandes d’exhumations, conformément à l’art. R. 2213-40 CGCT, ce qui lui aurait nécessairement permis de mentionner les noms des défunts, les dates ou périodes probables des décès et, ainsi, de permettre à la commune d’identifier ou localiser les tombes, évitant ainsi les carences inhérentes à des numéros, dont seule la consultation des plans ou du registre des inhumations des cimetières pouvait valider ou infirmer le lieu de l’inhumation ?
Mme M., dans sa requête introductive, demandait que soient produits par la commune, avant dire droit, le livre des inhumations que nous qualifierons de registre des inhumations, le livre des tombes, les registres reliés des arrêtés des concessions, le livre d’achat des concessions (comparables à celui des concessions), les livres dits d’opposition. La commune ne s’opposait pas à la réalisation d’une expertise technique que Mme M. sollicitait, mais que le tribunal n’a pas jugée utile.
Le tribunal n’a pas jugé opportun, également, de statuer sur ces demandes, ce qui constitue un vice affectant la régularité du jugement, puisqu’il est ainsi prouvé que tous les moyens invoqués n’ont pas été examinés. Or, à notre sens, ces demandes étaient fondées, car la commune qui avait adressé des lettres recommandées avec demande d’accusé de réception à certains ayants droit ou ayants cause disposait manifestement de registres répertoriant certaines tombes ou concessions. Que, sur ce point, nous avions pris clairement position dans un article publié dans les colonnes de Résonance, en ces termes :
Nous avions fait état de la réponse à question écrite n° 83253 du parlementaire, M. Victorien Lurel, en date du 6 juillet 2010, publiée au JORF le 28 juin 2011, page 6867, dans laquelle le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales affirmait que :
"Qu’il résulte de l’application combinée des articles L 2223-1 et L 2213-8 CGCT que les communes, qu’elles soient situées sur le territoire métropolitain ou outre-mer, ont l’obligation d’assurer, au titre des dépenses obligatoires définies par l’art. L 2321-2 CGCT la gestion et l’entretien des cimetières. Le maire prend aussi les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public et la sécurité sanitaire dans le cimetière par l’établissement d’un règlement intérieur. En outre, la commune doit tenir un registre dédié retraçant l’occupation des sépultures en terrain commun et des concessions funéraires, lorsqu’elle a fait le choix d’en octroyer…"
L’obligation de détenir ce registre dédié à l’occupation des sépultures en terrain commun, s’il avait été consulté, aurait évité de placer Mme M. devant une obligation, celle de désigner des numéros de tombes d’une manière aléatoire, alors que la commune se devait, nécessairement, de lui demander de mentionner sur l’imprimé prérempli les noms, prénoms et dates ou années de décès de ses parents, dont elle souhaitait préserver le devenir des reliques.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Auch le 13 avril 2016 est également contestable sur un point majeur, celui argué par la commune et la juridiction de l’impossibilité de restituer les cercueils ou boîtes à ossements contenant les corps exhumés des sépultures en terrain commun. Certes, le tribunal a motivé son refus d’ordonner cette restitution en se fondant sur la doctrine, et plus particulièrement sur la réponse à la question écrite publiée dans le JO Sénat du 05/07/2012 – p. 1468.
Le texte de la question :
"M. Yves Détraigne attire l’attention de M. le ministre de l’Intérieur sur la possibilité laissée à une famille désireuse de reprendre le corps d’un proche inhumé dans un ossuaire communal.
Il semblerait qu’il revienne au maire du lieu où se situe l’ossuaire de déférer à une demande d’exhumation, l’exhumation et la translation du corps restant aux frais exclusifs du demandeur.
Considérant toutefois qu’il n’existe aucune jurisprudence précise sur ce sujet délicat, il souhaite qu’il lui précise s’il est possible, pour une famille, d’exhumer des ossements "individualisés" et identifiés d’un ossuaire communal afin de les placer dans une concession familiale à perpétuité."
La réponse du ministère de l’Intérieur publiée dans le JO Sénat du 23/08/2012 – p. 1878 :
"Aux termes du premier alinéa de l’art. L 2223-4 CGCT, "un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés". Il existe trois hypothèses dans lesquelles, une fois l’exhumation réalisée, les restes mortels sont déposés à l’ossuaire. Il s’agit de la reprise des sépultures en terrain commun, au terme du délai de rotation et de la reprise des concessions funéraires soit parvenues à échéance et non renouvelées dans un délai de deux ans, soit à l’achèvement d’une procédure de constatation "d’état d’abandon".
Lorsqu’un corps est inhumé dans une sépulture en terrain commun, le plus proche parent du défunt peut à tout moment en demander l’exhumation en vue d’une réinhumation dans un emplacement concédé, évitant ainsi le placement d’office à l’ossuaire au terme du délai de rotation. S’agissant de la reprise des concessions parvenues à échéance, la famille dispose d’un droit à renouvellement pendant deux années, auquel le maire ne peut s’opposer.
Enfin, la procédure de constatation d’état d’abandon s’étale sur une durée minimum de trois années qui donnent plusieurs occasions à la famille de faire obstacle à l’exhumation des restes mortels. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le placement à l’ossuaire est définitif. Dès cet instant, les restes mortels sont placés sous la responsabilité de la commune et la famille ne peut donc plus en disposer. En conséquence, le maire ne peut pas délivrer d’autorisation d’exhumation pour extraire des ossements, même individualisés, de l’ossuaire." Il sera fait remarque qu’aucune décision jurisprudentielle n’a validé une telle position, qui n’a donc qu’un effet indicatif et point normatif (Cf. Damien Dutrieux in Résonance).
D’autre part, le tribunal de grande instance d’Auch, bien qu’ayant appliqué cette position ministérielle, a validé explicitement la restitution d’ossements déposés dans l’ossuaire du cimetière de la commune fautive, dans les conditions suivantes :
Mme M. reprochait à la commune d’avoir exhumé les corps de son grand-père maternel, M. D., qui occupait un emplacement concédé bien identifié dans le cimetière, carré 1 n° 42, dans lequel, selon elle, reposait, également, M. M., alors qu’elle avait manifesté sa volonté de conserver cette tombe pendant trois années.
La commune, en réponse, a soutenu que le corps de M. D, grand-père maternel de Mme M., n’avait pas été inhumé dans l’emplacement n° 42, mais semble-t-il au n° 43, mais reconnaît explicitement que les emplacements nos 42 et 43 étaient mal définis, la société chargée de pourvoir aux exhumations ayant commis une erreur lorsqu’elle a procédé au relevage de la tombe n° 43. Elle a en même temps, s’agissant d’emplacements mal définis ou dépourvus d’éléments funéraires, procédé au relevage de la parcelle n° 42.
La commune a alors indiqué que les restes post-mortem ont été déposés dans l’ossuaire communal, mais que, dès le lendemain, se rendant compte de l’erreur, le reliquaire de l’emplacement n° 42 au nom de M. U. a été réinhumé avec la décence liée à cette opération. Quant aux restes mortels du grand-père maternel de Mme M., dont elle soutenait que son corps avait été inhumé dans l’emplacement n° 42, malgré les attestations produites par Mme M. jugées par le tribunal trop imprécises, la commune n’a pas été en mesure d’en restituer les restes, mais aussi de dire quelle était la situation de sa tombe. Un comble !
Donc, nous pouvons raisonnablement déduire de cet épisode relaté dans son jugement par le tribunal, qu’à un certain moment il a bien été possible d’extraire un reliquaire d’un ossuaire, même perpétuel, opération qui fut techniquement réalisable. Or, curieusement, le tribunal ne s’est pas prononcé sur la demande de restitution des reliquaires placés dans l’ossuaire communal qualifié de perpétuel, ce qui constitue, à notre sens, un moyen d’appel, car tous les moyens et griefs invoqués par Mme M. n’ont pas été examinés.
Le fait d’invoquer le caractère perpétuel d’un ossuaire comme le fait le ministre de l’Intérieur dans la réponse à la question écrite du sénateur Yves Détraigne, pour estimer qu’aucune exhumation, en vue de restitution d’ossements disposés dans une boîte ou un reliquaire approprié, ne résiste pas au moyen selon lequel si ce caractère perpétuel constituait un argument invincible et irréfragable, alors pourquoi autoriser des exhumations de concessions perpétuelles attribuées à des particuliers lorsqu’ils donnent leur consentement ?
Le tribunal a écarté la demande d’expertise estimant que l’expert n’avait pas à se prononcer sur des éléments de droit, mais ne pouvait-il pas recevoir pour mission, à l’aune de la restitution du reliquaire opérée par la commune après une exhumation irrégulière, s’assurer de la faisabilité de la satisfaction des demandes de Mme M., voire d’étendre la mission à la constatation de la configuration de l’ossuaire et à son contenu, dès lors que le représentant de l’entreprise ELABOR aurait invoqué auprès de Mme M. le placement de ces reliques dans des sacs ou poches en plastic et point dans des boites à ossements ou reliquaire, au mépris des dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil ?
Encore un moyen exploitable dans le cadre de la procédure d’appel
En renouvelant nos réserves sur les responsabilités de la commune qui n’a pas éclairé correctement Mme M. sur ces droits et la réalisation de ses demandes, nous conserverons par-devers nous, étant désormais intéressés à cette affaire, un autre moyen qui nous paraît très important, susceptible d’obtenir la saisine en cours d’instance de la juridiction administrative, seule compétente pour dire si la commune d’O., a commis des fautes dans la conduite des opérations funéraires de reprise des terrains communs.
Jean-Pierre Tricon
Résonance n°124 - Octobre 2016
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