Philippe Dupuis, consultant
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L’inhumation de l’urne peut-elle être refusée pour manque de place dans la sépulture ?
Rép. min. n° 91138 : JOAN Q 17 mai 2016, p. 4246
Voici une intéressante réponse ministérielle qui mérite à notre sens quelques développements : il s’agissait d’une question parlementaire où le député s’inquiétait du fait que certains gestionnaires de cimetières refuseraient l’inhumation d’urnes funéraires au motif que la sépulture aurait atteint le nombre maximum de places prévues par le règlement du cimetière. Il demande si une dérogation est possible dans le cas spécifique des urnes.
Le ministre commence tout d’abord par rappeler implicitement mais nécessairement que l’inhumation des urnes dans le cimetière obéit au régime des concessions funéraires : "Il convient […] de considérer que les dispositions relatives à l’inhumation et à l’exhumation sont applicables aux urnes placées dans une case de columbarium ou dans une sépulture, que l’emplacement soit concédé ou en terrain commun. S’agissant de l’inhumation de l’urne dans une concession, la commune doit s’assurer que le défunt a bien le droit d’y être inhumé et vérifier le nombre de places disponibles."
Faut-il rappeler à quel point ce point est particulièrement bienvenu, mais que malheureusement il laisse dans l’ombre le régime juridique des sépultures cinéraires au sein des enceintes de crématoriums. En effet, dans une circulaire (NOR : CITBE 1201868C, du 2 février 2012 relative à l’application du décret du 28 janvier 2011 concernant les opérations funéraires), on peut lire ce stupéfiant passage : "A contrario, un site cinéraire contigu à un crématorium peut être géré en gestion déléguée, dès lors que le crématorium auquel il est accolé fait l’objet d’une convention de délégation de service public.
Dans cette dernière hypothèse, le gestionnaire d’un crématorium ne disposant pas des prérogatives du conseil municipal (ou du maire, lorsque cette compétence lui est déléguée) relatives à l’octroi de concessions funéraires, les emplacements réservés aux urnes funéraires (columbariums, cavurnes…) sont soumis aux règles de nature contractuelle, de droit privé, établies entre le gestionnaire et les usagers du site. Toutefois, en application du second alinéa de l’art. R 2223-23-3, tout dépôt ou retrait d’une urne au sein du site cinéraire ainsi géré devra faire l’objet d’une déclaration préalable auprès du maire de la commune, effectuée par la famille ou, à défaut, par le responsable du site."
Rappelons derechef que, textuellement, l’art. L. 2223-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose expressément que le crématorium (par là même son site cinéraire contigu) est un bien de retour, c’est-à-dire un bien que le délégataire finance et réalise pour les nécessités du service public dont il a accepté l’exécution. Il ne peut donc en aucun cas en être propriétaire, car ces biens, dès l’origine, sont la propriété du délégant du service public (R. Le Mestre, "Droit des services publics", éditions Gualino, p. 283).
De surcroît, étant affecté au service public de la crémation, et aménagé pour la permettre, il appartient indubitablement au domaine public de la collectivité concédante. La nature contractuelle du lien unissant l’exploitant au titulaire de la case ne peut donc que relever du juge administratif. D’ailleurs, récemment, le tribunal des conflits a rappelé que la compétence du juge judiciaire ne pouvait être retenue pour un contrat passé entre deux personnes privées, quant à une occupation du domaine public, dont l’une était délégataire d’un service public (TC, 14 mai 2012, Gilles c/ SESE et Ville de Paris, n° 3896 ; AJDA 2012, note R. Grand, n° 19, 4 juin 2012, p. 1031).
On remarquera ensuite la reconnaissance de la possibilité de l’inhumation de l’urne en terrain commun, à laquelle, bien évidemment, rien ne s’opposait juridiquement, mais pour lequel il faut bien reconnaître un intérêt pratique des plus limités…
Le ministre poursuit en affirmant qu’ "il convient dès lors de considérer que les dispositions relatives à l’inhumation et à l’exhumation sont applicables aux urnes placées dans une case de columbarium ou dans une sépulture, que l’emplacement soit concédé ou en terrain commun. S’agissant de l’inhumation de l’urne dans une concession, la commune doit s’assurer que le défunt a bien le droit d’y être inhumé et vérifier le nombre de places disponibles. Si la concession est individuelle, une seule inhumation peut y être effectuée. Dès lors, si un défunt occupe déjà la sépulture, une urne ne pourra pas y être également inhumée. Si la concession est collective, ne peuvent y être inhumées que les personnes nommément désignées dans l’acte. L’urne ne pourra ainsi être inhumée dans la sépulture que si elle contient les cendres d’une personne nommément désignée dans l’acte de concession. Si la concession est familiale, son titulaire a entendu y permettre, outre sa propre inhumation, celle des membres de sa famille, ce qui inclut son conjoint, ses ascendants, ses descendants, ses alliés, ses enfants adoptifs et même des personnes unies à lui par des liens particuliers d’affection. Toutefois, le concessionnaire est le responsable de la mise en œuvre du droit à l’inhumation dans la concession et peut, à ce titre, exclure nommément certains parents. Il revient au maire de veiller au respect de ces règles et de s’opposer, le cas échéant, à l’inhumation dans la concession d’une personne qui en aurait été explicitement écartée".
Principalement, le ministre rappelle donc, et ceci dépasse le cadre de cette réponse, que la désignation du nombre de places dans l’acte de concession n’est en rien une limitation du nombre de cercueils ou d’urnes maximum que la sépulture peut accueillir. L’habitude prise par les communes d’assimiler le nombre de "places" au nombre de cercueils mérite quelques éclaircissements. Lorsqu’un règlement de cimetière évoque cette notion de place, il doit s’agir dans les faits des dimensions de la sépulture. On sait que le CGCT, s’il est avare de notions sur ce point, précise néanmoins en ses articles R. 2223-3 et R. 2223-4 que chaque fosse doit ainsi mesurer 1,50 mètre à 2 mètres de profondeur sur 80 cm de largeur. Les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 cm sur les côtés et de 30 à 50 cm à la tête et aux pieds. On tire d’ailleurs de ces dimensions la notion de vide sanitaire, qui, autrement, n’a aucune existence juridique. Si cette notion de fosse renvoie nécessairement aux terrains communs, la jurisprudence l’applique d’ailleurs aux sépultures concédées. Cette notion de place doit alors nécessairement évoquer des sépultures dont les dimensions excéderaient celles minimum fixées par le CGCT. Une concession deux places ne serait alors pas une sépulture pour deux cercueils ou pour deux urnes, mais bien une sépulture d’une taille double à celle "de base" prévue par le règlement de cimetière et d’une taille non inférieure à celle fixée par le CGCT.
D’autre part, on relèvera que l’art. R. 2223-11 du CGCT second alinéa pose le principe suivant lequel "ces [catégories de concessions] tarifs peuvent, dans chaque classe, être progressifs, suivant l’étendue de la surface concédée, pour la partie de cette surface qui excède 2 mètres carrés". On tire de cette disposition du CGCT que les communes ne peuvent exiger du concessionnaire qu’il prenne une superficie pour sa concession de plus de 2 m2.
Néanmoins, à compter du moment où le titulaire de la concession demeure le régulateur du droit à inhumation dans la concession (Rép. min. n° 47006, JOAN Q, 26 octobre 1992, p. 4919), on ne comprendrait pas pourquoi une urne, qui a priori ne prend que peu de place, pourrait se voir refuser l’accès à une sépulture dès lors, bien entendu, ainsi que le rappelle le gouvernement, que le titre de concession permet de l’y inhumer.
In fine, ce n’est donc pas la notion de place qui est le critère de la possibilité ou de l’impossibilité d’inhumation d’une urne dans une concession funéraire, mais le titre de concession. Pourrons-nous alors rappeler que le fameux vide sanitaire (cf. supra) ou ce que l’on appelle parfois la "fausse case" dans le cadre d’un caveau permet nécessairement toujours l’inhumation d’une urne, voire de plusieurs. C’est d’ailleurs la proposition que nous pouvons formuler aux élus : aménager leur règlement de cimetière afin tant d’y prévoir expressément l’existence de ce vide sanitaire que d’y permettre l’inhumation des urnes dont l’innocuité pour la santé publique pourrait permettre ce type d’inhumation. Quel intérêt d’ailleurs de limiter ces inhumations, alors qu’elles peuvent représenter un moyen parmi d’autres de limiter la consommation de l’espace libre du cimetière ?
Pour en terminer, relevons que le gouvernement évoque la possibilité d’inhumation de l’urne "sous réserve de l’appréciation souveraine du juge compétent, s’il y a de la place dans le caveau, le dépôt de plusieurs urnes dans un emplacement libre du caveau ou à côté d’un cercueil pourrait être admis dans la mesure où il n’est pas porté atteinte au respect des défunts. S’il n’y a plus de place dans la sépulture, la famille peut choisir le scellement de l’urne sur le monument funéraire (CGCT, art. L. 2223-18-2) ou s’orienter vers l’achat d’une nouvelle concession". Si cette précaution est louable, nous avons néanmoins beaucoup de mal à envisager que l’inhumation de l’urne puisse être constitutive d’une atteinte au respect dû aux morts…
Philippe Dupuis
Résonance n°123 - Septembre 2016
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