C’est à cette délicate mais fréquente question que se rapporte l’affaire ci-dessous commentée. Néanmoins, par cet arrêt, le juge administratif fait naître une incertitude certaine quant au régime juridique de sépultures situées dans des communes qui, par le passé, ne gérèrent pas leur cimetière à l’égal des autres services publics dont elles ont la charge.
Cour administrative d’appel Bordeaux, 15 juillet 2016, n° 14BX03322, commune de Montbrun
Les faits : un conflit quant à l’existence d’un titre de concession perpétuelle
La commune de Montbrun, par une délibération du 28 novembre 2008, a décidé de modifier le régime des concessions funéraires de son cimetière en leur affectant désormais une durée de trente ans. Par une décision du 11 juin 2009, le maire de la commune demande alors au requérant de s’acquitter d’une redevance de 93,60 € correspondant à une concession funéraire de trente ans dans le cimetière ; c’est cette décision qui est annulée par le tribunal administratif de Toulouse et dont la commune relève interjette appel. Il faut alors comprendre que M. A estimait déjà être concessionnaire d’une sépulture dans le cimetière municipal et qu’il a donc contesté la décision de la commune lui demandant de s’acquitter de cette redevance.
En effet, il ressort des pièces du dossier que les concessions perpétuelles trentenaires et temporaires (quinze ans au plus) furent créées par une délibération en date du 7 juin 1885 par ce même conseil municipal. Monsieur A revendique donc à son profit l’existence d’une concession perpétuelle fondée par ses ascendants au début du XXe siècle, sépulture où reposent d’ores et déjà 5 membres de sa famille et qui est entretenue. De son côté, la commune soutient que cette délibération "n’a jamais donné lieu à commencement d’exécution" et que le cimetière n’a jamais été "administré", de telle sorte qu’elle ne dispose ni de plans ni de titres de concessions ! La CAA décide de rejeter la requête de la commune, et ainsi de considérer nécessairement que M. A disposait bien d’une concession funéraire perpétuelle dans le cimetière de Montbrun.
Les possibilités d’institutions des concessions funéraires
Le juge rappelle tout d’abord fort classiquement que "l’art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux." L’art. L. 2223-14 du même Code dispose que : "Les communes peuvent, sans toutefois être tenues d’instituer l’ensemble des catégories ci-après énumérées, accorder dans leurs cimetières :
1° Des concessions temporaires pour quinze ans au plus ;
2° Des concessions trentenaires ;
3° Des concessions cinquantenaires ;
4° Des concessions perpétuelles."
Aux termes de l’art. L. 2223-15 du même Code : "Les concessions sont accordées moyennant le versement d’un capital dont le montant est fixé par le conseil municipal. Les concessions temporaires, les concessions trentenaires et les concessions cinquantenaires sont renouvelables au prix du tarif en vigueur au moment du renouvellement. À défaut du paiement de cette nouvelle redevance, le terrain concédé fait retour à la commune. [...]."
Il convient de plus de souligner tout particulièrement l’alinéa premier de cet art. L. 2223-13 du CGCT, qui dispose que : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs.” Ainsi, c’est bien le terrain commun qui est obligatoire, la concession n’est qu’une faculté, puisque ce n’est que si l’étendue des terrains le permet qu’elles sont instituées. Néanmoins, elle est le mode d’inhumation majoritaire. Le juge semble alors estimer que la seule raison valable pour en refuser l’institution soit le manque de place dans le cimetière (CE, Sect., 5 décembre 1997, Cne de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel : Rec. CE p. 463).
Une commune peut donc tout à fait ne pas prévoir dans son cimetière de possibilités de concessions funéraires, si celui-ci est d’une taille trop restreinte pour permettre la délivrance de concessions (voir à ce sujet la réponse min. n° 13195, JOAN Q, 13 novembre 1989, p. 5003). Le conseil municipal, auquel il revient d’instituer ou non ces concessions, pourra de surcroît ne pas prévoir d’en instituer de toutes les durées prévues par le CGCT, et de n’en conserver que certaines. L’abrogation d’un type de concession est possible. Les concessions existantes de cette durée continuant, elles, de perdurer (Rép. min. n° 28640 JOAN, Q, 10 octobre 1990, p. 4264). Le litige porte donc sur le fait que si l’administré revendique une concession perpétuelle, la commune estime qu’en fait il n’en existe pas, puisque la délibération les créant n’a pas pour elle été suivie d’effets. Implicitement, la sépulture relevait donc du terrain commun pour l’administration communale.
L’existence d’une concession ne saurait être en principe qu’explicite
La jurisprudence traditionnelle est catégorique, il convient de pouvoir produire un titre pour bénéficier d’une concession. Il convient ainsi de remarquer que si aucun titre de concession ne peut être produit (il devrait normalement exister trois exemplaires du titre : l’un dans les mains du concessionnaire, le deuxième conservé par la commune et le dernier, enfin, déposé à la Trésorerie municipale), le juge qualifiera la sépulture de "terrain commun" et invitera alors la famille à régulariser ce qui est devenu avec le temps une occupation sans titre du domaine public (CAA Nancy, 28 septembre 2006, n° 05NC00285, Consorts V).
Dans cet arrêt, qu’il n’est pas inutile de résumer pour la compréhension des faits de celui qui nous importe aujourd’hui, le litige est relatif à la fondation d’une concession sur un emplacement du terrain commun par un membre de la famille V. Une partie de la famille conteste la délivrance de cette concession sur un emplacement où ont déjà été réalisées trois inhumations, et qui, pour elle, était déjà une concession funéraire dont ils étaient les ayants droit. À ce titre, ils estiment que le maire de la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en attribuant un titre de concession à une autre fraction de leur famille sur ce même emplacement. Or, le juge ne trouve aucune trace d’une quelconque délivrance d’une concession. Il en déduit alors logiquement que les inhumations avaient donc été faites en terrain commun.
Pourtant, il existait des indices laissant à penser que la sépulture obéissait au régime des concessions : premièrement, les requérants invoquent l’existence d’un monument funéraire, qui leur semble être la preuve de l’existence d’une concession funéraire. Le juge se fonde alors sur l’art. L. 2223-12 du CGCT, qui dispose que : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture." Si, pour les requérants, la présence d’un monument révèle donc l’existence d’une concession, la jurisprudence a néanmoins retenu que l’application de cet article valait tant pour les concessions funéraires que pour les inhumations en terrain commun.
Secondement, les requérants indiquent qu’il y a eu trois inhumations dans le même emplacement, or l’inhumation en terrain commun ne permet pas normalement ces trois inhumations, puisque l’art. R. 2223-3 du CGCT dispose que : "Chaque inhumation a lieu dans une fosse séparée […]". Néanmoins, si la réglementation proscrit une telle chose, il est malgré tout possible qu’elle ait eu lieu en fait. Une réponse ministérielle (n° 36690, JO AN Q, 9 décembre 1991) invite alors les communes à proposer aux familles une régularisation de leur situation en transformant cette fosse en terrain commun en concession funéraire.
Le maire ne pourra exiger une exhumation même s’il ne souhaite pas mélanger les emplacements dédiés aux concessions funéraires et ceux affectés au terrain commun. Voici donc une hypothèse où l’impossibilité de trouver un titre aboutit au choix du régime juridique du terrain commun, pourquoi alors devant une situation qui semble analogue la CAA de Bordeaux décide-t-elle d’une solution contraire ?
La charge de la preuve peut parfois peser sur la commune…
La jurisprudence ci-dessus relatée est ainsi antagoniste à ces développements, comment l’expliquer alors que paradoxalement le juge relève : "Il est vrai qu’une concession funéraire ne peut être acquise tacitement et ne peut être accordée qu’en vertu d’un acte explicite de la commune." De surcroît, il prend la peine de préciser qu’il lui appartient de "former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties" et qu’il ne "saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance".
C’est donc en son intime conviction qu’il se prononce. Or, si M. A… ne peut produire de titre, la CAA insiste que la commune ne le peut pas plus : "Si toutefois M. A... n’est pas en mesure de produire un acte justifiant d’une concession perpétuelle à l’emplacement n° 40, il appartient d’abord à la commune, mieux à même de produire les documents susceptibles de permettre de vérifier les allégations du demandeur en raison d’une obligation de continuité de gestion de son cimetière et de conservation des archives y afférentes, de justifier que M. A... n’est pas titulaire d’une concession funéraire perpétuelle, soit en produisant l’acte établissant qu’il ne dispose que d’une concession temporaire arrivée à expiration, soit encore en fournissant la preuve du recouvrement d’une redevance pour une durée d’occupation parvenue à son terme."
Il apparaît alors que le juge opère un véritable renversement de la charge de la preuve : certes, M. A… ne peut produire la preuve de l’existence à son bénéfice d’une concession funéraire, mais la commune gestionnaire du cimetière est elle aussi dans la totale incapacité de démontrer le contraire. Autrement exprimé, et c’est surtout ce point qui semble conduire le raisonnement du juge, elle pèche dans l’administration de ce service public obligatoire qu’est pourtant le cimetière, et donc il convient de la sanctionner.
Surtout, le juge tient pour juridiquement acquis que les concessions funéraires existent dans ce cimetière. Il affirme bien qu’ "il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 7 juin 1885, le conseil municipal de Montbrun a institué des concessions perpétuelles, des concessions trentenaires et des concessions temporaires et en a fixé les tarifs respectifs. M. A... affirme qu’il est titulaire d’une concession perpétuelle achetée par ses ascendants au début du XXe siècle et qu’il ne saurait lui être réclamé une redevance pour l’occupation d’une concession trentenaire.
À l’appui de ces dires, il fait valoir que cinq membres de sa famille ont été inhumés dans le caveau situé à l’emplacement n° 40 du cimetière communal en 1918, 1922 1966,1985 et 1988, et que la concession est entretenue. La commune soutient, sans le justifier, que la délibération de 1885 n’a jamais donné lieu à un commencement d’exécution, le cimetière municipal n’ayant pas été "administré", de sorte qu’elle ne dispose ni de plan, ni de registre, ni d’aucun titre établissant une occupation privative".
Si une délibération a bien été prise, l’argument selon lequel elle n’a pas fait l’objet d‘un commencement d’exécution ne peut tenir selon lui : "Cette dernière n’a pas assuré la tenue du registre des concessions funéraires et ne peut produire aucun acte ou même aucun plan établissant que la concession attribuée aux ascendants de M. A... n’était que temporaire et était parvenue à son terme lorsqu’elle a demandé à ce dernier de régulariser celle-ci. Elle ne fournit aucun élément susceptible de contredire les affirmations de ce dernier suffisamment corroborées par l’état actuel de la tombe familiale dont l’ancienneté non contestée est bien antérieure à 1979. Dans ces conditions, M. A... ne peut être regardé comme étant titulaire d’une concession funéraire dont le terme serait échu, mais bien d’une concession perpétuelle."
Une solution dangereuse ?
Ainsi que nous l’avons précédemment évoqué, à aucun moment, le juge n’évoque donc l’hypothèse du terrain commun, néanmoins, à bien y regarder, cette solution expliquerait pourquoi aucun titre n’existe, pourquoi aucune perception de redevance ne peut être produite, et pourquoi le cimetière ne fut jamais "administré"… L’on pourrait alors soutenir que, si les concessions funéraires furent bien créées, aucune ne fut délivrée, et que c’est la raison de l’impossibilité de trouver un quelconque écrit. On en reviendrait en quelque sorte à la solution posée par l’arrêt de la CAA de Nancy de 2006. La commune abrogeant et remplaçant sa délibération de 1885 et demandant aux familles la régularisation des terrains communs accordés par le passé.
Le juge reste pourtant silencieux sur cette possibilité, se contentant de réaffirmer tant l’ancienneté incontestée de la sépulture que son entretien. Néanmoins, derechef, un terrain commun peut être ancien et bien entretenu… C’est pourquoi il nous semble que cette solution s’inscrit plutôt dans une volonté de sanctionner une commune qui, par le passé, ne géra pas son cimetière. Si c’est le cas, la solution ne serait pas sans dangerosité, car l’exemple de la commune de Montbrun est loin d’être unique. Est-ce à dire que, désormais, il conviendra de considérer comme étant des concessions perpétuelles toutes les sépultures pour lesquelles la commune ne pourra rapporter la preuve de l’existence d’un titre alors même que les concessions funéraires existent dans le cimetière puisqu’une délibération, même ancienne, peut être retrouvée ? Un éventuel recours devant le Conseil d’État permettrait d’y voir plus clair…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°123 - Septembre 2016
Le : 17/08/2016 – Cour administrative d’appel de Bordeaux Vu la procédure suivante : |
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