L’arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, en date du 30 avril 2014, n° de pourvoi 13-1895, remettant en cause la définition doctrinale de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles : valeur et portée
Depuis l’intervention de la loi du 8 janvier 1993, n° 93-23, complétée par le décret du 28 janvier 2011, n° 2011-121, la notion de personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles a globalement remplacé celle du plus proche parent du défunt, sauf en ce qui concerne l’opération d’exhumation.
La loi pas plus que le règlement n’ont donné de définition précise sur la notion de qualité de la personne autorisée à organiser les funérailles d’une personne décédée, si bien que la référence la plus usitée était celle émanant des réponses apportées par les ministres concernés aux questions écrites posées par nos parlementaires dont, en premier lieu, celle de Mme Marie-Line Reynaud, publiée au JORF le 05/05/2009 p. 4153, la réponse ayant été publiée au JORF le 16/06/2009, page 5936.
Ainsi, pour déterminer quelle personne au sein d’une famille pouvait choisir le mode de sépulture (inhumation ou crémation), ainsi que le lieu de situation de la tombe ou de la destination des cendres, le critère majeur résidait dans "la personne qui, par le lien stable et permanent qui l’unissait à la personne défunte, apparaît ou peut être présumée la meilleure interprète des volontés du défunt".
Or, ce lien stable et permanent est, dans la plupart des cas, détenu par l’époux ou l’épouse survivant, dès lors que l’union a été longue et continue, sans incertitude sur une éventuelle rupture du mariage.
Par extension, quelques décisions du juge des référés auprès du tribunal d’instance compétent avaient attribué cette qualité de "personne habilitée à pourvoir aux funérailles" au concubin, si, bien évidemment, la vie commune présentait les garanties de durabilité et de stabilité exigées par le ministre de la Justice.
En effet, en cas de conflit entre les membres d’une même famille sur l’interprétation des vœux du défunt en matière de funérailles, selon l’art. 1061-1 du Code de procédure civile, auquel il y a lieu de rattacher l’art. R. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire, il est constant qu’en matière de contestation sur les conditions des funérailles, le tribunal d’instance est saisi à la requête de la partie la plus diligente selon l’un des modes prévus à l’art. 829 (par la voie du référé).
Le juge statue dans les vingt-quatre heures
Appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures de la décision devant le premier président de la cour d’appel. Celui-ci ou son délégué est saisi sans forme et doit statuer immédiatement. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat. La décision exécutoire sur minute est notifiée au maire chargé de l’exécution.
Postérieurement, après que la réponse à la question de Mme Marie-Line Reynaud avait été publiée, le 25 septembre 2012, une nouvelle question avait été posée au ministre de l’Intérieur, dont la réponse fut publiée au JORF le 1er janvier 2013, page 99. Le texte de la question était cependant différent de celui évoqué par Mme Marie-Line Reynaud, car formulé en ces termes :
"Mme Marie-Jo Zimmermann rappelle à M. le ministre de l’Intérieur le cas de parents dont le fils est décédé. L’épouse du fils a fait procéder à l’incinération et refuse d’indiquer aux parents à quel endroit l’urne funéraire est déposée. Elle lui demande si les parents disposent d’un moyen pour obliger leur belle-fille à leur indiquer l’endroit où se trouvent les cendres de leur fils."
Dans sa réponse, le ministre de l’Intérieur faisait valoir, qu’en vertu des dispositions du CGCT, une inhumation ne peut avoir lieu sans l’autorisation du maire, conformément à l’art. R. 2213-31. Concernant les cendres, les articles L. 2223-18-1 et suivants du même Code prévoient que c’est la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles qui décide de leur destination.
Puis, étaient précisés les modes de destination des cendres cinéraires, tels l’inhumation de l’urne dans une sépulture ou le dépôt dans une case de columbarium, le scellement sur un monument funéraire dans un cimetière ou un site funéraire, la dispersion dans un espace aménagé à cet effet dans un cimetière ou un site funéraire, et enfin la dispersion en pleine nature, à l’exception des voies publiques.
Il était rappelé qu’en vertu de l’art. R. 2213-39 du CGCT : "Le placement dans une sépulture, le scellement sur un monument funéraire, le dépôt dans une case de columbarium d’une urne ou la dispersion des cendres, dans un cimetière ou un site cinéraire faisant l’objet de concessions, sont subordonnés à l’autorisation du maire de la commune où se déroule l’opération."
Que, dans un site cinéraire ne faisant pas l’objet de concessions (rappel, pour les sites créés par un particulier avant le 31 juillet 2005), le dépôt d’une urne est subordonné à une déclaration préalable écrite auprès du maire de la commune d’implantation du site cinéraire (art. R. 2223-23-3 du CGCT).
Pour la dispersion des cendres en pleine nature, outre la déclaration préalable qui doit être effectuée auprès du maire du lieu de crémation, une formalité complémentaire doit être accomplie auprès du maire de la commune du lieu de naissance, qui doit mentionner, sur un registre spécial ouvert à cet effet, l’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion des cendres.
Le ministre écrit, ensuite :
"Il n’existe aucune disposition juridique permettant aux proches du défunt, lorsqu’un conflit familial existe, de contraindre la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles à les informer sur le lieu de sépulture. Cependant, il résulte des dispositions précitées que plusieurs formalités sont accomplies au moment de l’inhumation d’un corps ou de l’urne cinéraire, de la crémation et de la décision relative à la destination des cendres en fonction des choix opérés par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Les proches ont alors la possibilité de se rapprocher des autorités communales auprès desquelles ces formalités ont été accomplies, afin d’obtenir les informations sur la destination des cendres du défunt."
Le lecteur constatera, aisément, que cette réponse ne vide pas réellement les fondements d’un conflit interfamilial, dès lors que, non seulement, le maire de la commune territorialement compétent ne peut se substituer au juge pour régler un tel conflit (cf. circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 19 février 2008, n° INT A 08 000 38 C) et, qu’en outre, les pouvoirs attribués par les textes à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ne sont nullement remis en cause, pas plus, d’ailleurs, que cette réponse ne fournit de critères permettant de la déterminer.
Devant une telle situation, il s’ensuit que les pouvoirs du juge en sortent renforcés. C’est ce qui résulte de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, lors de son audience publique en date du 30 avril 2014, n° de pourvoi : 13-18951.
Les faits, tels qu’exposés dans l’évocation des moyens, étaient les suivants :
À la suite du décès de Pascal X... intervenu le 4 mai 2013, sa mère, sa sœur et son fils, issu d’un premier mariage (consorts X...), se sont opposés à son épouse, Mme Patricia X..., quant à l’organisation des funérailles et au choix de la sépulture devant recevoir l’urne contenant ses cendres.
Mme Y... faisait grief, dans son pourvoi, au contenu de l’ordonnance judiciaire de confier à Mme Jeannette X..., avec l’assistance de sa fille et de son petit-fils, le soin d’organiser les obsèques de Pascal X... et de dire que l’urne concernant les cendres du défunt devait être remise à Mme Jeannette X... afin d’être déposée dans le caveau de la famille X..., situé à Ormesson-sur-Marne, alors, selon le moyen :
1°/ que, quand bien même les éléments produits n’auraient pas permis de se prononcer sur la qualité des rapports entre M. Pascal X... et Mme Patricia X..., son épouse, il reste que cette dernière avait vécu maritalement avec M. X... pendant cinq ans, puisque les époux avaient décidé de se marier, et qu’ils avaient la qualité de conjoints lors du décès, sachant qu’aucune initiative n’avait été prise par le mari, en vue d’une éventuelle séparation ou d’un éventuel divorce ; qu’en refusant de considérer, en dépit de ces circonstances, que Mme Patricia X..., veuve de M. X..., pouvait être la personne la mieux qualifiée pour organiser les funérailles, les juges du fond avaient violé les articles 3 et 4 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles ;
2°/ et en tout cas, à supposer même que le juge du fond n’ait pas été en mesure de se prononcer sur la qualité des relations entre le mari et l’épouse, de toute façon, le choix de la personne la plus qualifiée supposait une comparaison entre les mérites de l’épouse, qui avait vécu cinq ans avec le défunt préalablement au mariage, et ceux des parents par le sang du mari ; qu’en s’abstenant de procéder à cette comparaison, avant de se décider, le juge du second degré a violé les articles 3 et 4 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles.
À ce stade de l’énoncé des moyens de la cause, la position de la Cour de cassation ne semblait pas poser problème, dès lors que même si la cour n’avait pas expressément utilisé la formulation de "la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles", puisque faisant état du choix de la personne la plus qualifiée, qui ne correspond à aucune des terminologies utilisées par la loi ou le décret du 28 janvier 2011, Mme Patricia X… qui avait vécu en concubinage durant cinq ans avant son mariage avec le défunt, M. Pascal X…, il ne semblait faire aucun doute sur le fait qu’elle possédait tous les attributs sur lesquels la doctrine se fonde (vie commune stable et permanente avec le défunt), pour bénéficier des droits attachés à sa personne.
Or, la solution définitivement retenue va curieusement à l’encontre des droits du conjoint survivant, puisque la Cour de cassation a jugé :
"Mais, attendu qu’ayant exactement retenu qu’à défaut de toute expression de volonté démontrée du défunt quant à l’organisation de ses obsèques, il convenait de rechercher et désigner la personne la mieux qualifiée pour les organiser, c’est par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que le premier président a estimé que Mme X..., qui entretenait avec son fils une relation affective forte et constante depuis sa naissance, était la plus qualifiée pour décider de l’organisation des obsèques et recevoir l’urne contenant les cendres du défunt pour être déposée dans le caveau de la famille X... ; que le moyen n’est pas fondé." En conséquence, le pourvoi interjeté par Mme Patricia X…, épouse, a été rejeté.
En conclusion, cet arrêt relativement récent (30 avril 2014) jette un doute sérieux sur la méthode à utiliser pour déterminer la personne disposant de la qualité pour pourvoir aux funérailles d’un défunt, puisque l’existence d’un lien stable et permanent ne semble plus suffire pour l’attribuer, a priori, soit au conjoint survivant, soit au concubin, alors que la vie commune est la situation la plus appropriée pour que l’un des partenaires, voire les deux mutuellement, expriment, au fil de leur existence, leurs souhaits en matière de mode de sépulture ou d’un lieu d’inhumation d’un corps ou de la destination des cendres, en cas de crémation.
La question demeure posée, sauf à considérer que le juge est saisi exceptionnellement lors d’un conflit familial portant sur les précédentes hypothèses, la rareté des saisines permettant d’accorder à cet arrêt une portée conjoncturelle, voire marginale.
Jean-Pierre Tricon
Le texte de la question : "Mme Marie-Line Reynaud attire l’attention de Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la loi du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire. Les articles 15 et 16 du texte de loi font référence à la "personne habilitée à pourvoir aux funérailles". Cette formulation ne posera aucun problème lorsque le défunt aura désigné cet individu, mais ce terme imprécis ouvre la porte à de multiples interprétations, qui sont potentiellement source de conflits, lorsque personne n’aura été désigné préalablement. Elle lui demande de bien vouloir indiquer qui désignera "la personne habilitée" en cas de litige, et de préciser par quelle procédure, à l’initiative de qui et sur quels critères". Le texte de la réponse : "La garde des Sceaux, ministre de la Justice, fait connaître à l’honorable parlementaire que la notion de "personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles", dont use l’art. 16 de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, constitue la reprise d’une notion qui, tout à la fois, figurait déjà dans plusieurs articles du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), et est familière à la jurisprudence judiciaire. L’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, en reconnaissant à toute personne majeure, ainsi qu’au mineur émancipé, le droit de décider librement des conditions de ses propres funérailles, a consacré le principe fondamental du respect des volontés du défunt. À défaut d’expression de celles-ci sous la forme d’un testament ou d’une déclaration sous signature privée, désignant nommément la personne chargée des obsèques, on entend par "personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles" toute personne qui, par le lien stable et permanent qui l’unissait à la personne défunte, apparaît ou peut être présumée la meilleure interprète des volontés du défunt. S’il agit, en règle générale, d’un proche parent (conjoint survivant lorsque les époux vivaient en bonne intelligence, père et mère, enfants, collatéraux les plus proches), on conçoit aisément que la loi ne puisse procéder à sa détermination a priori. En cas de contestation sur les conditions des funérailles, celle-ci doit être tranchée par le tribunal d’instance dans le ressort duquel s’est produit le décès, dont la compétence se fonde sur les articles 1061-1 du Code de procédure civile et R. 221-7 et R. 221-47 du Code de l’organisation judiciaire. Il appartient à cette juridiction, saisie par la partie la plus diligente, de statuer dans les vingt-quatre heures. La demande, qui peut être formée par assignation, peut l’être aussi par remise au greffe d’une simple requête et ne nécessite pas le concours d’un avocat." |
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