Après de longues tergiversations, le juge décida que le cimetière relevait du régime de la domanialité publique (CE 28 juin 1935, Marécar : DP 1936, III, 20, concl. Latournerie, note M. Waline). Dans cet arrêt, le sieur Mougamadousadagnetoulah (Marécar) a usurpé une portion du terrain du cimetière de la commune de Nedouncadoun (Pondichéry, comptoir français des Indes), le juge décide alors que, le cimetière appartenant au domaine public, il ne pouvait faire l’objet d’une prescription acquisitive. Il faudra néanmoins attendre l’arrêt du conseil d’État "Damoiselle Méline" (CE 21 octobre 1955, D 1956.543) pour que la jurisprudence se stabilise définitivement sur ce point (sur toutes ces questions, cf. la magistrale étude de Georges Chaillot ("Le Droit des sépultures en France", 2004 éditions Pro Roc, p. 80 et s.).
Le cimetière : élément du domaine public
Ainsi, le cimetière répond à l’actuelle définition posée par le Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CG3P) selon laquelle : "Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’art. L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public." (L. 211-1 CG3P)
La propriété publique : un critère nécessaire mais pas suffisant
Un bien ne peut donc faire partie du domaine public s’il n’appartient pas à une personne publique ; c’est la reprise d’une jurisprudence constante (CE, 8 mai 1970, Société Nobel-Bozel, req. n° 69324). Par exemple, une voie privée ne peut pas faire partie du domaine public même si elle est ouverte à la circulation publique (CE, 15 février 1989, commune de Mouvaux, req. n° 71992). Un pont construit par un particulier au-dessus d’un cours d’eau domanial reste une propriété privée (CE, 27 mai 1964, Chervet R. p. 300). Par nature, et sauf l’exception relictuelle de cimetières privés, les cimetières sont la propriété de personnes publiques et remplissent donc ce premier critère.
Le critère de l’affectation : un critère double
Il ne suffit pas qu’un bien immobilier appartienne à une personne publique pour être incorporé à son domaine public, il convient de surcroît qu’il soit affecté. Cette affectation publique comporte deux formes, l’affectation à un service public, et celle à l’usage du public ; de nouveau, le juge administratif va créer ce critère dans son arrêt "Marécar" (précité). Le CG3P le reprend. Il faut, pour que le bien soit considéré comme affecté au public, qu’il soit directement affecté (le public doit pouvoir y accéder plus ou moins librement), il faut aussi que le bien soit affecté à la collectivité : il n’y a pas d’utilisation réservée à une personne ou à un groupe. On remarquera que le cimetière, avec ses concessions funéraires, présente un tempérament à cette utilisation collective inconditionnelle.
Il est de plus un ouvrage public (CE 12 décembre 1986 : Rec. CE, p. 429 ; AJDA 1987, p. 283, obs. X. Prétot). Les conséquences de cette qualification ont une grande importance sur le régime de la responsabilité de la puissance publique. En effet, il y aura possibilité d’application de la responsabilité pour dommages occasionnels ou permanents de travaux publics. Il en va de même des contrats de concession funéraire, qui, portant sur le domaine public, sont alors obligatoirement des contrats administratifs par détermination de la loi (cf. CE 21 octobre 1955 Damoiselle Meline, précité).
Conséquence de la qualification d’élément du domaine public communal
En vertu de la théorie du domaine public, non seulement celui-ci relève du domaine public, mais également tout ce qui pourrait être considéré comme étant un accessoire du cimetière. En effet, l’art. L. 2111-2 du CG3P dispose : "Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à l’art. L. 1 qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable." Ce critère va permettre de qualifier comme relevant du domaine public des éléments du cimetière tels qu’arbres, constructions annexes édifiées par la commune, etc. (à l’exception des constructions érigées par les particuliers, puisque le critère organique viendra à manquer). De même, des monuments repris au terme d’une procédure de reprise, mais non encore enlevés, voient, en dépit de leur indubitable propriété publique, de par leur absence d’affectation collective, l’impossibilité de relever du domaine public.
Les grands principes de protection du domaine public
La conséquence majeure de la qualification du cimetière comme élément du domaine public réside dans l’application des grands principes de protection applicable à ces biens. Parmi eux, deux revêtent une importance particulière : le principe d’inaliénabilité et le principe d’imprescriptibilité.
- Le principe d’inaliénabilité
L’art. L. 3111-1 du CG3P dispose que : "Les biens des personnes publiques mentionnées à l’art. L.1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles." Néanmoins, ce principe est désormais tempéré par des possibilités de cessions amiables sous certaines conditions (art. L. 3112-1 du CG3P), d’échanges (art. L. 3112-2 du CG3P). Ce principe signifie que le cimetière ne peut être aliéné. Ainsi, il ne pourra faire l’objet d’une vente. Il faudra alors le désaffecter (ce qui implique le recours pour le cimetière à la translation), puis le déclasser (avec application pour le cimetière de règles particulières quant à la cession du bien, puisque le cimetière désaffecté ne peut être aliéné que dix années après la dernière inhumation, en vertu des dispositions de l’art. L. 2223-8 du CGCT).
De surcroît, le principe d’inaliénabilité fait échec à la mitoyenneté. Ainsi, un mur de cimetière ne peut pas être mitoyen, il ne peut qu’appartenir à la personne publique, propriétaire du cimetière (Cass. civ. 14 février 1900, Commune de la Ferté-Alais, D. 1900.1.593).
"Attendu que s’il est interdit à un particulier d’acquérir la mitoyenneté de murs qui dépendent des immeubles compris dans le domaine public, lesquels sont placés hors du commerce, il n’en résulte pas que ce particulier puisse, à l’inverse, contrairement aux termes généraux de l’art. 661 du Code civil, se refuser à céder au domaine public la mitoyenneté d’un mur, propriété privée et par conséquent aliénable." Il apparaît ainsi que, si le voisin d’un bien du domaine public ne peut revendiquer pour lui cette mitoyenneté au nom des principes qui protègent le domaine public, le contraire est par contre possible pour le bien du domaine public. Dans le cas du cimetière, on pourrait illustrer ce principe, en expliquant qu’un riverain du cimetière ne pourrait imposer à la commune la mitoyenneté d’un mur ou d’une clôture, alors que la collectivité pourrait, elle, imposer cette mitoyenneté à une personne privée.
Cette propriété doit être de plus exclusive. Ainsi, une canalisation d’eau appartient en indivision à une personne publique et à une personne privée, elle ne peut pas appartenir au domaine public (CE, 19 mars 1965, Société lyonnaise de l’eau et de l’éclairage, req. n° 59061). Si une personne publique est propriétaire d’un local dans un immeuble en copropriété et installe dans ce local un service des impôts. Le juge dit "malgré la loi de 1965 sur la copropriété", l’État n’est pas exclusivement propriétaire (parties communes, murs mitoyens) donc le bien n’appartient pas au domaine public (CE, 11 février 1994, Compagnie d’assurances La Préservatrice foncière CJEG, req. n° 10564).
Encore une fois, si ces principes de protection ne sont pas à négliger, force est de constater que le cimetière en tant que tel connaît une protection particulière découlant des règles d’aliénabilité prévues par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) à son profit.
- Principe d’imprescriptibilité
L’imprescriptibilité du domaine public est justement à l’origine de l’affaire Marécar. C’est parce que le cimetière fait partie du domaine public qu’il n’était pas possible d’en acquérir des portions par la voie de la prescription acquisitive. L’imprescriptibilité protège le domaine public contre son éventuelle acquisition par un usage prolongé qu’en feraient des tiers démunis de tout titre de propriété. L’acquisition du domaine public par la voie de la prescription acquisitive est donc par principe exclue.
Concrètement, la possession par une personne privée d’un immeuble relevant du régime du domaine public ne lui permettra jamais d’en revendiquer la propriété (TC, 24 février 1992, Couach, Rec., p. 479, AJDA 1992, p. 327, ch. C. Maugüé et R. Schwartz). À tout moment, la personne publique dépossédée pourra exercer une action en revendication du bien (CE, 27 mai 1959, Baylaucq, Rec. CE, p. 323). Certes, ce principe semble d’applicabilité limitée, pour un cimetière qui étant, faut-il le rappeler obligatoirement clos (R. 2223-2 du CGCT, la clôture constituant une dépense obligatoire communale, L. 2321-2-14° du CGCT) les empiétements devraient être impossibles. Néanmoins il ne faut pas négliger cette possibilité au cas où un cimetière en dépit de ces obligations ne serait pas clos, ni même qu’il puisse s’agir d’une partie non affectée aux inhumations, et pour cette raison non encore close.
Les utilisations privatives doivent être compatibles avec le régime de la domanialité publique
Le cimetière appartenant au domaine public, les occupations privatives de celui-ci doivent être compatibles avec son affectation. Il ne s’agit pas d’évoquer les sépultures, qui sont la raison d’être de cet équipement, mais plutôt la possibilité pour la commune d’accorder des autorisations d’utilisations privatives du cimetière. D’ailleurs, c’est bien parce que le cimetière relève du domaine public, que le terrain commun, raison d’être du cimetière, et seul service obligatoire, est gratuit, alors que les concessions sont payantes. On citera à fin d’illustration l’affaire suivante (CE 14 novembre 2011, n° 340753) :
Le maire de Marignane avait accepté d’accorder une autorisation d’occupation dans le cimetière communal, afin qu’une association dénommée "Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française" (ADIMAS) y érige une stèle dédiée "aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française". Cette autorisation était valable pour quinze ans. Pour ce faire, l’ADIMAS avait sollicité et obtenu une permission de voirie d’une durée de 15 ans pour un montant de 169 € sur une surface de 6 m2. La qualification de permission de voirie de cette autorisation ne soulève aucune objection, puisque le cimetière se voit appliquer le régime de la domanialité publique, et que, pour en assurer la pérennité, la stèle est fixée dans le sol, caractérisant l’emprise, donc le régime juridique, de la permission de voirie. |
Une permission d’occupation privative du domaine public ne peut être accordée que sous réserve qu’elle ne soit pas en opposition avec l’affectation du bien obéissant au régime de la domanialité publique (pour une application récente : CAA Marseille, 22 novembre 2010, Commune de Saint-Laurent-de-la-Salanque, n° 08MA04091 : Illégalité d’un arrêté du maire accordant une permission de voirie à un particulier et qui aurait pour effet de supprimer deux places de stationnement dans un parking) ; ou bien encore dans un litige où déjà une stèle faisait l’objet d’une attention particulière (CAA Lyon, 28 décembre 2010, n° 08LY01204, Communauté urbaine de Lyon, CJCT n° 150, note Ph. Dupuis : Stèle commémorant le génocide arménien implantée sur une place publique). Implicitement, dans cet arrêt, le juge donne sa vision de la "destination normale du cimetière" comme lieu de repos, de paix et de recueillement. Les autorisations privatives dans le cimetière, autres que celles qui d’ailleurs en sont la raison d’être, ne sont pas, par principe, prohibées. Néanmoins, dans le cas présent, cette autorisation nuit à la réalisation de l’affectation de ce bien à l’usage du public ; le juge n’estime-t-il pas que la stèle n’est pas "un simple monument commémoratif", mais il dénote une "prise de position politique", voire "l’apologie de faits criminels" ? Le cimetière ne peut donc pas être un lieu de polémique sur l’histoire et ses vicissitudes : |
"Cette stèle ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes, mais manifestait une prise de position politique et procédait à l’apologie de faits criminels ; qu’ainsi, en délivrant par l’arrêté attaqué l’autorisation d’occuper pendant quinze ans un emplacement dans le cimetière en vue d’y installer cette stèle, le maire a autorisé l’occupation du domaine public communal pour un usage qui, d’une part, n’était pas compatible avec la destination normale d’un cimetière et, d’autre part, était de nature à entraîner des troubles à l’ordre public." |
Servitudes et domaine public
- Les servitudes pouvant grever un cimetière
Le principe a longtemps été celui de considérer que le domaine public ne peut pas être grevé des servitudes légales ordinaires, notamment les servitudes de vue et de droit de passage des articles 675 et 682 du Code civil (Cass., 1re civ., 2 mars 1994, Société Escota, DA 1994, n° 530). Désormais, il peut en aller différemment. En effet, l’art. L. 2122-4 du CG3P énonce : "Des servitudes établies par conventions passées entre les propriétaires, conformément à l’art. 639 du Code civil, peuvent grever des biens des personnes publiques mentionnées à l’art. L. 1, qui relèvent du domaine public, dans la mesure où leur existence est compatible avec l’affectation de ceux de ces biens sur lesquels ces servitudes s’exercent." Il permet ainsi pour l’avenir d’aménager le régime de la domanialité publique pour permettre de grever les biens du domaine public de ces servitudes conventionnelles. Il faudra que ces servitudes soient compatibles avec l’affectation du bien. Ainsi, il pourrait être concevable qu’une servitude, de passage par exemple, grève un cimetière si la collectivité le souhaite. Il appartiendra au juge de se prononcer sur cette compatibilité.
- Les servitudes générées par le cimetière
L’art. L. 2131-1 du Code de la propriété des personnes publiques énonce : "Les servitudes administratives qui peuvent être établies dans l’intérêt de la protection, de la conservation ou de l’utilisation du domaine public sont instituées et régies par les dispositions législatives qui leur sont propres ainsi que par les textes pris pour leur application." Dans le cas du cimetière, il existe principalement deux servitudes spécifiques, qui, pour être considérées comme désuètes, n’en demeurent pas moins présentes dans l’ordonnancement juridique.
- Cimetière et débit de boissons
L’art. L. 3335-1 du Code de la santé publique dispose que : "Il est possible que le préfet de département interdise dans certains secteurs les débits de boissons ou en tout cas fixe les distances minimum auxquelles l’installation du débit doit se trouver. Ces endroits sont dénommés zones protégées. Évidemment si un débit préexistait à la création de la zone, il aura un droit acquis à s’y maintenir." Il a déjà été jugé, certes anciennement, qu’un préfet pouvait instituer une telle servitude autour d’un cimetière dans un rayon de 250 mètres (CE, 19 mai 1905, Rec. CE, p. 447). Néanmoins, force est de constater que le Code de la santé publique ne fixe aucune distance, il appartiendra au préfet d’apprécier l’étendue du périmètre de protection.
- Servitude "non ædificandi"
L’art. L. 2223-5 du CGCT dispose que : "Nul ne peut, sans autorisation, élever aucune habitation ni creuser aucun puits à moins de 100 mètres des nouveaux cimetières transférés hors des communes. Les bâtiments existants ne peuvent être ni restaurés ni augmentés sans autorisation. Les puits peuvent, après visite contradictoire d’experts, être comblés par décision du représentant de l’État dans le département."
Cette servitude doit figurer en annexe du plan local d’urbanisme, en vertu des articles R. 126-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La lecture du premier alinéa de l’article mérite quelques explications. On y fait référence aux "nouveaux cimetières transférés hors des communes". Il ne s’agit donc que des cimetières implantés dès leur origine en dehors des communes, ainsi que de ceux situés dans les communes, mais transférés en dehors des communes en vertu des dispositions du décret du 23 prairial an XII.
Ne sont donc pas concernés les cimetières existants se trouvant aux distances requises par ledit décret de l’an XII, soit à 35 mètres voire davantage de l’enceinte des villes et des bourgs (Cass., 17 août 1854, S. 1854, I, 284 ; Cass., 27 avril 1861, S. 1861, I, 100). D’autre part, le décret de prairial excluait de son champ d’application les cimetières des communes de moins de 2 000 habitants.
Enfin, la servitude ne concerne pas non plus les cimetières situés dans les agglomérations (CE, 17 août 1854, S. 1854, I, 829). Cette servitude concerne tous les immeubles situés à moins de 100 mètres des cimetières entrant dans son champ d’application. Les constructions existantes, se trouvant donc dans le rayon de 100 mètres autour de la limite du cimetière soumis au respect de la servitude, ne peuvent être ni restaurées ni augmentées. La servitude interdit également de creuser des puits. Elle permet aussi au préfet d’ordonner à la demande du maire le comblement des puits : "Dans le cas prévu au troisième alinéa de l’art. L. 2223-5, la décision de combler les puits est prise par arrêté du préfet à la demande du maire." La servitude peut être levée par simple accord du maire (R. 425-13 du Code de l’urbanisme).
Philippe Dupuis
consultant au Cridon,
chargé de cours à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
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