CAA de LYON, 7 juillet 2015, n° 14LY01978.
Les faits : une concession funéraire en mauvais état
Les requérants ont obtenu une concession cinquantenaire dans le cimetière de Vic-le-Comte le 29 août 1974. Ils constatèrent un déplacement des bordures latérales implantées sur cette concession en pleine terre, ainsi que sur un "élément vertical" (une stèle ?) lié à un affaissement du sol de la concession, située, il est vrai dans une légère pente.
Ils demandèrent alors au tribunal administratif de Clermont de les indemniser à hauteur de 2 000 € pour ces désordres. Le tribunal les débouta, ils interjettent alors appel devant la CAA de Lyon. La cour relève bien qu’il existe des troubles affectant cette sépulture, ainsi d’ailleurs que plusieurs autres, elle les impute bien à un affaissement du sol. Néanmoins, une fois ces constatations effectuées et en dépit du fait que les requérants soient en possession d’une expertise, le juge ne semble pas convaincu par celle-ci, mentionnant qu’elle reste muette sur les causes du sinistre et se contentant d’affirmer la responsabilité de la commune au titre de sa qualité de "propriétaire et gardienne des lieux". La cour décide alors de ne pas retenir ce document comme prouvant l’existence d’un vice du sol, ni même aucun comportement blâmable de la commune. Par là même, il ne retient pas la responsabilité contractuelle de la commune, puisque la charge de la preuve qui incombe aux requérants ne lui semble pas administrée. Il rejette donc la requête.
Voici un arrêt particulièrement topique du type de contentieux auquel une commune peut être confrontée et qui nous permet de dresser le panorama des hypothèses de responsabilité communale dans le cimetière. Il convient de relever que la responsabilité communale en matière de cimetière est double et qu’il peut s’agir tout alternativement soit d’une responsabilité contractuelle vis-à-vis des titulaires d’une concession funéraire, comme en l’espèce, soit d’une responsabilité quasi délictuelle pour manquement à une obligation de police, voire d’une responsabilité pour dommage de travaux publics.
Responsabilité contractuelle de la commune vis-à-vis des concessionnaires
En dépit de décisions isolées, où leur est appliquées la théorie du retrait des actes administratifs unilatéraux (CAA Bordeaux, 6 janvier 2009, Mme Gracieuse Y., ré. N° 07BX02269 ; CAA Douai, 4 octobre 2007, Commune de Thun-l’Évêque, req. n° 07DA00516), le Conseil d’État qualifie de contrats les concessions funéraires (CE, ass., 21 octobre 1955, Méline, Rec. CE 1955, p. 491 ; CE 1er décembre 1979, Berezowski, Rec. CE, p. 521). Ce sont d’ailleurs des contrats d’occupation du domaine public, puisque le juge administratif, après de nombreuses hésitations, qualifia le cimetière de propriété publique, affectée à l’usage du public depuis l’arrêt Marecar (CE, 28 juin 1935 : DP 1936, 3, p. 20, concl. Latournerie, note M. Waline).
Ainsi, par exemple, la responsabilité de la commune devra être recherchée sur le terrain contractuel lorsque des troubles sont causés aux concessionnaires, à l’instar de l’hypothèse où la commune attribue un terrain non propice aux inhumations, du fait de l’inondation du caveau (TA Montpellier, 21 décembre 1994, Iengo c/ Commune de Sète, req. n° 932180 ; a contrario : CE, 1er décembre 1976, Sieur Berezowski req. n° 98946), ou par ce qu’elle n’a pas attribué un emplacement vierge de tout corps (TA Pau, 14 déc. 1960, Sieur Loste : Rec. CE 1960, p. 838). Cette responsabilité couvrira ainsi toutes les hypothèses où la commune provoque un préjudice, qu’il soit matériel ou moral, au concessionnaire.
On citera par exemple une reprise illégale, car les conditions fixées par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ne furent pas respectées (CE, 6 mai 1995, n° 111720, Cne d’Arques c/ Mme Dupuis-Matton : D 1995, inf. rap. p. 148), voire de l’inhumation d’une tierce personne dans une concession (TA Lille, 11 mars 1999, M. Belkacem Kheddache, Mme Dehbia Kheddache c/Cne de Maubeuge : AJDA 1999, p. 1026, note D. Dutrieux ; pour une étude approfondie de ce ces notions : D. Dutrieux, "Activités funéraires", fiche n° 007 (15 pages) dans : C. Ribot [dir.], "Les collectivités territoriales et leurs responsabilités" : Coll. "Juris-Compact", éd. du Juris-Classeur, février 2003). Cette responsabilité a déjà pu déboucher sur la condamnation de la commune pour voie de fait ou pour emprise irrégulière. Le juge retenant la voie de fait lorsqu’il y a eu atteinte à la dépouille mortelle (Cass. 1re civ. 29 mai 2001, Gérard Camy c/Cne de Lagor ;
Collectivités – Intercommunalité 2001, comm. 293, note D. Dutrieux ; JCP G 2002, II, 10101 note S. Fromont ) et l’emprise irrégulière lorsque le concessionnaire certes subit une atteinte à son droit, sans pour autant que les corps soient touchés.
Par exemple, inhumation de deux personnes étrangères dans une concession, sans atteinte aux corps déjà inhumés (CE, 22 avril 1983, Lasporte : Rec. CE p. 160 ; Rev. Adm. 1983 p. 255, note B. Pacteau).
La responsabilité peut aussi être de nature quasi délictuelle pour défaut de surveillance du cimetière ou pour dommage de travaux publics
1 - Responsabilité extracontractuelle pour dommage de travaux publics
Le cimetière est un élément du domaine public communal. Il est aussi un ouvrage public (CE, 12 décembre 1986, Consorts Ferry, Rec. CE, p. 429 ; AJDA 1987, p. 283, obs. X. Prétot), c’est-à-dire "un bien immobilier ayant fait l’objet d’un minimum d’aménagement pour répondre à une affectation d’intérêt général et bénéficiant d’un régime juridique particulièrement protecteur". La qualité d’ouvrage public concerne d’ailleurs l’ensemble des constructions immobilières édifiées dans un cimetière communal ainsi que leurs accessoires, tels les arbres des parties communes du cimetière. Tous les travaux effectués sur les parties communes du cimetière sont donc des travaux publics effectués sous la surveillance du maire. Il en est de même de tous les travaux d’entretien du cimetière. Le contentieux de tels travaux relève, en vertu de l’art. 4 de la loi du 28 pluviôse, an VIII, de la compétence juridictionnelle administrative.
Par conséquent, les dommages imputables à l’exécution de tels travaux dans les cimetières sont des dommages de travaux publics et relèvent eux aussi du contentieux de la compétence juridictionnelle administrative (CE, 5 mars 1952, Commune de Louey, Rec. CE, p. 149) dans les conditions usuelles de mise en œuvre de la responsabilité pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage ; ou la responsabilité pour dommages permanents (à propos d’une extension d’un cimetière près d’une habitation (CE, 25 novembre 1994, Commune de Serrières-de- Briord, req. no 111724)).
Par contre, les pierres tombales, monuments funéraires et caveaux ne s’intègrent pas à l’ouvrage public qu’est le cimetière (CE, 28 novembre 1934, Compagnie d’assurances La Bourgogne, Rec. CE, p. 1126) puisqu’ils sont la propriété des particuliers qui les ont édifiés. Les travaux d’entretien, de construction ou de démolition des caveaux et autres monuments funéraires, par contre, ne sont pas des travaux publics (Cass. civ. 1re, 10 octobre 1961, Bull. civ. I, n° 446). Le juge judiciaire peut d’ailleurs ordonner éventuellement la démolition de tels ouvrages ou éléments d’ouvrages (Cass. civ. 1re, 12 juin 1974, Bull. civ. n° 185). Les accidents causés par la chute de ces éléments ne peuvent donc pas être imputés au défaut d’entretien d’un ouvrage public, et par suite, la responsabilité de la commune propriétaire du cimetière ne devrait pas pouvoir être engagée, sauf que le juge retiendra dans certains cas la responsabilité communale au titre de ses pouvoirs de police s’il s’avère que le dommage trouve sa source dans un défaut de surveillance du cimetière CE, 19 oct. 1966, Cne de Clermont (Oise) : Rec. CE p. 551. Cette qualité d’ouvrage public n’est pas anodine, puisque, de façon dérogatoire aux règles de la responsabilité administrative, ce type de responsabilité libère de l’obligation de prouver son dommage la victime supposée, mais inverse la charge de la preuve, et oblige ainsi le propriétaire de l’ouvrage à démontrer qu’il n’est pas responsable, parce que son ouvrage est normalement entretenu.
2 - Responsabilité extra-contractuelle pour défaut de surveillance du cimetière
Le juge administratif (CE, 19 octobre 1966, Cne de Clermont [Oise], précité) a reconnu l’existence d’une responsabilité pour faute en cas de non-utilisation de son pouvoir de police par le maire. Or, comme le rappelle un auteur (É. Boehler, "De la réparation du dommage causé par la ruine d’un monument funéraire" : LPA 2 nov. 1990, p. 12), le maire étant, en matière de police administrative, investi d’une compétence liée, "il n’a pas seulement la faculté mais le devoir légal d’agir". En effet, l’art. L. 2213-8 du CGCT dispose que : "Le maire assure la police des funérailles et des cimetières" ; tandis que l’art. L. 2213-9 nous précise les domaines que recouvre cette formulation générale : "Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort." Il convient enfin de noter que le maire dispose des mêmes pouvoirs lorsque l’inhumation se fera dans un lieu privé (art. L. 2213-10). Le juge administratif a d’ailleurs étendu, pour mieux les contrôler, les pouvoirs de police du maire jusqu’au pouvoir de gestion de cette portion du domaine public qu’est le cimetière (CE, 20 février 1946, Cauchoix, Rec. CE, p. 53) et ce au détriment des compétences du conseil municipal.
Ainsi, au titre du respect de la décence dans les cimetières, le maire doit assurer une surveillance effective de celui-ci, il doit s’assurer du bon état des sépultures, inviter les concessionnaires à effectuer les travaux nécessaires au maintien en état, à la propreté des sépultures... Cette surveillance implique également que le maire doive surveiller l’exécution des travaux qui sont réalisés dans l’enceinte du cimetière, travaux publics mais également travaux privés, comme la construction d’un caveau, d’une dalle mortuaire, d’un monument funéraire..., travaux dont l’exécution peut avoir des conséquences dommageables sur les autres concessions.
L’abstention pour le maire d’exercer son pouvoir de surveillance, alors qu’un dommage est causé à une concession du fait des travaux, constitue une faute de service. La responsabilité de la commune sera aussi retenue au titre de ses pouvoirs de police pour avoir attribué le même emplacement à deux concessionnaires successifs (Conseil d’État 17 janvier 2011, Commune de Massels, req. no 334156).
De surcroît, la responsabilité communale peut être aussi poursuivie au titre de la législation des édifices menaçant ruine. En effet, les articles L. 511 à L. 511-4 du Code de la construction et de l’habitation sont parfaitement applicables aux monuments funéraires, qui sont des édifices, quoique non dévolus à l’habitation (CE 11 juillet 1913, Delle de Chasteignier, Dame Mure et Sieur Favreau c/Cne de Surgères, req. no 46078) constitue donc également une faute de service l’exercice par le maire de sa police des édifices menaçant ruine, exercice dont la mise en œuvre aboutit à causer un dommage à une sépulture (CE Ass., 12 avril 1957, Mimouni, Rec. CE p. 261).
Attention, si, suite à la prise de son arrêté de péril, le maire fait exécuter des travaux non compris dans l’arrêté, il commet une voie de fait relevant des tribunaux judiciaires (TC 12 janvier 1987, Mme Vve Caille : AJDA 1987, p. 424, note X. Prétot).
En revanche, ne résulte pas d’une faute de service la chute d’une stèle voisine sur un monument funéraire dès lors qu’il est démontré que le maire exerce une surveillance adaptée du cimetière (TA Nancy, 22 janvier 2002, Gilles, req. n° 001394).
Enfin, cette obligation du maire de surveillance du cimetière semble trouver ses limites dans une obligation de moyens et non de résultat. Il a été déjà jugé (TA Marseille 8 juin 20014, M. et Mm G. c/Ville de Marseille, req. n° 0200154) que le vol d’une pierre tombale dans le cimetière Saint-Pierre à Marseille n’engageait pas la responsabilité communale, à partir du moment où, de nouveau, la commune prouve qu’elle a diligenté les mesures normales de sécurité. Il faut souligner en l’espèce que cette nécropole de 63 hectares, la troisième de France, ne pouvait faire l’objet d’une surveillance constante par l’autorité administrative, et que l’obligation faite aux véhicules par le règlement de cimetière d’accéder et de sortir par une seule entrée, toujours gardée, fut considérée par le juge comme une mesure suffisante.
Philippe dupuis
Résonance n°113 - Septembre 2015
Le : 20/08/2015 Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Décide : Délibéré après l’audience du 4 juin 2015 à laquelle siégeaient : Abstrats : 24-01-02-01-01-02 Domaine. Domaine public. Régime. Occupation. Utilisations privatives du domaine. Contrats et concessions. |
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