Les communes sont-elles tenues de tenir un registre des concessions et des inhumations opérées dans leurs cimetières ?
Jean-Pierre Tricon, avocat au barreau de Marseille. |
À l’occasion d’un procès qui s’est tenu devant le tribunal de grande instance (TGI) de Marseille, et dont le délibéré devrait être rendu fin juin 2015, portant sur la dépossession d’une concession funéraire délivrée au grand-père des requérants, ceux-ci ont sollicité de la commune et du notaire ayant dressé un acte de cession à titre gratuit de cette concession à une tierce personne, sur la demande et l’initiative d’un héritier, alors que la sépulture avait été dévolue à une pluralité d’héritiers, ce qui a été démontré par les trois personnes lésées au moyen d’un acte de notoriété, sans que le notaire instrumentaire de l’acte de donation n’ait pris la peine de vérifier les qualités héréditaires du donateur, la commune attraite devant la juridiction sur le fondement de l’emprise irrégulière constatée par le tribunal administratif de Marseille, préalablement saisi, et en vertu d’une voie de fait pour la réduction des corps qui s’y trouvaient inhumés, un moyen a été exposé par la défense de la commune devant le tribunal, tenant à la destruction, des registres des inhumations, la commune ayant soutenu, par ailleurs, qu’elle n’était tenue par aucune obligation légale ou réglementaire de disposer de tels registres.
Qu’en est-il exactement en cette matière ?
À titre liminaire, il y a lieu de préciser que la défense des requérants avait demandé à cette commune de lui faire parvenir les extraits de registre du cimetière comprenant les mouvements relatifs à la concession n° X, laquelle à l’évidence ne comprenait pas un caveau vide…
La réponse de la commune X a été exprimée par une lettre simple, mentionnant :
"En réponse, j’ai l’honneur de porter à votre connaissance que les derniers cahiers autorisant les mouvements dans les concessions, dont les dates sont comprises entre 1997 et 2002, ont fait l’objet d’élimination le 3 juin 2008, comme il est fait état sur l’extrait du bordereau d’élimination établi par le service à l’archivage du Centre de gestion des Bouches-du-Rhône, dont vous trouverez copie ci-jointe."
Le bordereau d’élimination en date du 3 juin 2008, était annexé à cette lettre.
La défense des intérêts des requérants a soutenu, devant le TGI, pour ce qui est de l’obligation pour une commune de disposer et de tenir à jour des registres de concessions et d’inhumations, que ces registres constituaient bien une obligation pour les communes, et qu’ils ne pouvaient donner lieu à destruction ou élimination, en se fondant sur :
- D’une part, la réponse à question écrite n° 83253 du parlementaire M. Victorien Lurel en date du 6 juillet 2010, dont la réponse a été publiée au JORF le 28 juin 2011, page 6867, dans laquelle le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer et des Collectivités territoriales affirmait que :
"Qu’il résulte de l’application combinée des articles L. 2223-1 et L. 2213-8 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) que les communes, qu’elles soient situées sur le territoire métropolitain ou outre-mer, ont l’obligation d’assurer, au titre des dépenses obligatoires définies par l’art. L. 2321-2 du CGCT, la gestion et l’entretien des cimetières. Le maire prend aussi les mesures nécessaires pour assurer l’ordre public et la sécurité sanitaire dans le cimetière par l’établissement d’un règlement intérieur.
En outre, la commune doit tenir un registre dédié retraçant l’occupation des sépultures en terrain commun et des concessions funéraires, lorsqu’elle a fait le choix d’en octroyer… "
- D’autre part, en matière de reprise des concessions funéraires, selon l’article R. 2223-17 du CGCT, dans chaque mairie, il est tenu une liste des concessions dont l’état d’abandon a été constaté, conformément à la procédure décrite dans le CGCT.
Cette liste doit être déposée dans le bureau du conservateur du cimetière, si cet emploi existe, ainsi qu’à la préfecture et à la sous-préfecture. À l’entrée du cimetière, une inscription indique les endroits où cette liste est déposée et peut être consultée par le public.
Il en résulte que la commune, étant dans l’incapacité de produire ces registres dont l’existence est, à notre sens, obligatoire, a tenté de renvoyer vers les requérants la charge de la preuve des identités des occupants, allant même à avancer que la donation avait pu être exécutée puisque, selon elle, la concession était vide de tout corps et que de ce fait l’acte de donation pouvait s’exécuter au profit d’un tiers étranger à la famille du concessionnaire, fondateur de la sépulture, violant, ainsi, délibérément les règles afférentes au régime successoral d’une concession funéraire construit sur l’art. L. 2223-13 du CGCT, et par une jurisprudence relativement abondante émanant, tant des juridictions suprêmes des ordres administratifs et judicaires (Conseil d’État, arrêts demoiselle Méline, 21 octobre 1955, et consorts Hérail, 17 octobre 1957, et de la Cour de cassation (Mund c/ Billot, 23 octobre 1968).
Il a été réitéré qu’en présence de cohéritiers sur une concession familiale, l’un des indivisaires ne peut transmettre ses droits à un tiers, soit par une vente, les concessions funéraires étant hors du commerce, soit par une donation, la concession étant un bien perpétuellement affecté à la famille du concessionnaire (c’est la règle dite "de l’affectation spéciale"), sauf en cas d’extinction de la famille naturelle.
Dans ses conclusions en défense, puis récapitulatives, la commune a continué de soutenir, avec insistance, que l’emprise irrégulière devait avoir pour cause un acte administratif ou une opération administrative, et par ce biais elle déniait à l’opération de réattribution de la concession à un tiers étranger à la famille du concessionnaire, le caractère d’un acte administratif, voire celui d’une opération administrative.
Les requérants ont entendu s’opposer à un tel moyen car, d’une part, la concession funéraire possède, nonobstant la forme de l’acte la délivrant, la nature juridique d’un acte contractuel, qui relève de la compétence de la commune en matière de sa délivrance (art. L. 2223-13 du CGCT).
Qu’en l’espèce, la commune mise en cause avait procédé à une abrogation de l’acte initial constatant le droit du fondateur de la concession, de ses enfants et successeurs sur la concession, en portant en qualité de nouvelle détentrice, le nom d’une étrangère, laquelle avait été substituée hors procédure de reprise pour abandon, aux héritiers naturels et de droit, sans qu’un acte de substitution n’ait été dressé.
Que, ce faisant, la commune avait bien procédé, en toute illégalité, à l’abrogation de l’acte initial de la concession, en usant de sa qualité de propriétaire du cimetière, dépendance du domaine public, d’une manière au minimum tacite, voire expresse, les mentions figurant sur l’acte ayant entraîné la dépossession des héritiers naturels et de droit et de leurs successeurs, sur la concession fondée par leur aïeul.
Qu’une telle situation ne pouvait que résulter d’un acte administratif tacite, voire explicite, la commune ayant résisté à toute production spécifique à cet égard, mais aussi, et également, d’une opération de l’Administration, gestionnaire du cimetière.
Ce faisant, l’emprise irrégulière ne saurait, au bénéfice de ce qui précède, être contestée.
De surcroît, il a été également démontré que, d’une part, ce n’étaient pas les fichiers ou répertoires des inhumations pratiquées dans une concession déterminée qui avaient été éliminés, mais uniquement les autorisations d’inhumation, dont nous rapellerons qu’elles n’étaient pas transmissibles à l’autorité préfectorale et, d’autre part, que, même si les textes législatifs et réglementaires ne semblaient pas imposer explicitement aux communes l’obligation de disposer et conserver les registres des inhumations pratiquées dans un cimetière et qui sont attachées aux sépultures, soit gratuites, dites en "service ordinaire ou terrain commun", soit délivrées à titre onéreux (concessions temporaires, trentenaires, cinquantenaires, centenaires et perpétuelles), la mise en œuvre de procédures de reprise pour celles abandonnées, soit en raison de leur non-renouvellement à leur échéance pour les concessions à durée limitée, soit par le fait d’un abandon caractérisé pour les concessions perpétuelles, les communes sont tenues d’informer ou de mettre en demeure les concessionnaires ou leurs successeurs d’accomplir leurs obligations qu’ils tirent du contrat de concession et, en cas de reprise, les corps exhumés doivent être identifiés afin, soit d’être déposés dans un ossuaire communal perpétuel, soit "crématisés", sous les conditions et réserves, désormais prescrites par la loi du 19 décembre 2008, ayant attribué un statut juridique aux cendres cinéraires (article nouveau, 16-1-1 du Code civil).
Il en résultait que, pour satisfaire ces obligations, les communes se devaient manifestement de tenir à jour des registres des inhumations pratiquées dans leurs cimetières, le contraire étant impensable, tant en fait, qu’en droit.
En outre, dans le domaine de la gestion d’un cimetière, la doctrine impose au maire, seul chargé de l’administration (art. L. 2122-18 du CGCT), de mettre en place les principaux éléments de gestion, ayant pour objet de compléter au plan local la réglementation générale et de disposer à tout moment des éléments d’information nécessaires au contrôle des différentes activités funéraires de la commune.
L’organisation du service public des cimetières, dont nous rapellerons qu’il s’agit d’un Service Public Administratif (SPA), par opposition au Service extérieur des Pompes funèbres qui est de nature Industrielle et Commerciale (SPIC), doit donc s’appuyer sur une bonne connaissance de l’aménagement du cimetière et sur la mise en place d’un règlement intérieur facilitant la gestion des concessions et le suivi des opérations funéraires.
Les textes
- Articles L. 2223-1 et suivants du CGCT.
- Articles R. 2213-2 et suivants du CGCT.
- Articles R. 2223-1 et suivants du CGCT.
- Articles 225-17 et 228-18 nouveau du Code pénal.
Nous passerons sur les conditions d’élaboration et de tenue du plan du cimetière, qui n’apporteront rien de concret à ce débat.
En revanche, nous préciserons que le règlement du cimetière garantira la neutralité des lieux, puisque l’organisation du ou des cimetières ne doit pas faire preuve de mesures discriminatoires, le décret du 23 prairial an XII (1804) ayant posé le principe fondamental que tous les êtres sont égaux devant la mort.
De surcroît, dans un article paru dans les colonnes de Résonance, nous avions mis en évidence l’importance du règlement des cimetières, dès lors que le maire pouvait y faire figurer des clauses tenant aux pouvoirs autonomes qu’il détenait, lorsque ni la loi, ni le règlement n’avaient encadré ces pouvoirs.
Pour la doctrine, le registre des concessions constitue, également, une obligation, afin d’y consigner toutes les concessions délivrées dans le cimetière, dont le numéro d’ordre tel que figurant sur l’acte de concession et sur chacun des exemplaires (au nombre de trois, dont un pour le concessionnaire, un pour la commune et le dernier pour le receveur municipal, qui tient lieu de pièce justificative pour la perception de la redevance d’occupation du domaine public).
Ce numéro doit aussi figurer sur la pierre tombale ou être gravé sur l’encadrement du caveau, afin de faciliter sa localisation sur le plan.
Ce registre, conservé soit en mairie, soit à la conservation du ou des cimetières lorsque ce service existe, est indispensable pour assurer la gestion des attributions des concessions, leurs renouvellements, les conversions éventuelles, voire la mise en œuvre des opérations de reprise, lorsque l’état d’abandon est établi (défaut de renouvellement au-delà d’un délai de deux ans pour les concessions à durée limitée (temporaires de quinze ans au plus, trentenaires et cinquantenaires, selon les modalités de l’art. L. 2223-15 du CGCT), et pour les concessions perpétuelles, selon les prescriptions des articles R. 2223-12 à R. 2223-17 du CGCT.
Bien que le régime juridique des opérations funéraires ait été modifié par le décret du 28 janvier 2011, qui a substitué, pour certaines opérations funéraires déterminées dans le texte, la déclaration préalable écrite effectuée par tout moyen auprès du maire de la commune du lieu de décès ou de dépôt du corps, ou du lieu de la fermeture du cercueil, la période à laquelle la concession funéraire, objet du litige porté devant la juridiction judiciaire, avait fait l’objet d’un acte de dépossession étant largement antérieure, la commune se devait de tenir à jour un registre des autorisations délivrées pour l’accomplissement des opérations funéraires, puisque les traces de celles-ci se doivent d’être conservées dans les archives de la mairie, et que certaines de ces autorisations soient consignées sur le registre des concessions, afin de connaître avec précision l’identité des personnes inhumées.
Une attention toute particulière doit être portée aux autorisations d’inhumer (art. R. 2213-31 du CGCT) et d’exhumer (art. R. 2213-40 du CGCT), ainsi qu’aux réductions de corps (art. R. 2213-42 du CGCT), s’agissant de mesures destinées à parfaire la bonne gestion du cimetière.
En tout état de cause, le jugement, attendu pour la fin du mois de juin 2015, devrait apporter de riches enseignements sur ces obligations, et confirmer, voire infirmer, si les communes sont bien tenues de détenir et renseigner des registres des inhumations et des exhumations effectuées dans leur cimetière communal.
Jean-Pierre Tricon
Résonance n°112 - Juillet/Août 2015
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