Dans un arrêt du 28 octobre 2014, la cour administrative d’appel de Nancy vint statuer sur le refus d’un maire de retirer son autorisation donnée pour une inscription sur un monument funéraire. Néanmoins, à une question qui méritait d’être posée, le juge répond par l’application des principes stricts du retrait en droit administratif.
Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
Inscription et police du cimetière
Titulaire de la police du cimetière (Code Général des Collectivités Territoriales [CGCT], art. L. 2213-9), le maire autorise les inscriptions placées sur les pierres tumulaires et les monuments funéraires (CGCT, art. R. 2223-8). Il pourra à cet effet interdire une inscription portant manifestement atteinte à l’ordre public dans le cimetière (CE, 4 févr. 1949, Moulis c/ maire Sète : Rec. CE 1949, p. 52). Néanmoins, ces inscriptions ne sont pas seulement les épitaphes que choisissent les familles pour rendre un dernier hommage au défunt. Il va s’agir également de mentionner des patronymes sur le monument funéraire érigé sur une concession.
Or, les textes demeurent muets sur la question de savoir quels sont les droits des membres de la famille à ce titre. Doivent être distingués celui qui a fondé la sépulture (le fondateur que le CGCT qualifié de "concessionnaire", par opposition aux héritiers de ce dernier qualifiés d’ayants cause (CGCT, art. L. 2223-15) et ses héritiers. Si la jurisprudence reconnaît de nombreuses prérogatives au fondateur (et notamment le droit de désigner les bénéficiaires du droit à l’inhumation – V. M. Perrier-Cussac, "Les droits du titulaire d’une concession funéraire" : JCP N 1990, I, p. 343), elle limite en revanche celles des héritiers du fondateur, tenus en quelque sorte au respect de la volonté initiale de celui-ci.
Qui peut inscrire ?
C’est dans ce cadre qu’est intervenue la première chambre civile de la Cour de cassation, le 12 janvier 2011, qui, au visa de l’art. 1128 du Code civil (les concessions funéraires ont toujours été considérées comme en dehors du commerce ; V. not. D. Dutrieux, "L’inhumation en terrain privé" : JCP N 2006, 1370), a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 12 octobre 2009 ayant, notamment, statué sur une demande visant à la suppression d’une inscription d’un nom de famille sur un monument funéraire (Cass. 1re civ., 12 janvier 2011,
n° 09-17.373 : : JCP N, n° 3, 21 janvier 2011, act 149, p. 6, obs. D. Dutrieux).
Parmi les héritiers, certains avaient ajouté leur patronyme, différent de celui du défunt, après avoir procédé à la réfection du caveau. La première chambre civile de la Cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir débouté l’auteur de la demande visant à la suppression alors qu’en "statuant ainsi, sans constater que le nombre de places disponibles dans le caveau permettrait d’y inhumer les époux Y, lesquels en ce cas ne pourraient exiger l’inscription de leur patronyme avant le décès de l’un d’eux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision".
Le droit de voir ajouter son nom après sa mort
Ainsi, les héritiers jouissent d’un droit à ajouter, à celui du fondateur, leur patronyme, mais ce droit ne peut s’exercer qu’une fois intervenue une inhumation dans la concession d’une personne possédant ce nom. Les travaux de réfection, comme d’ailleurs le renouvellement (CE, ass., 21 octobre 1955, Méline : Rec. CE 1955, p. 491), opérés pour le compte de l’ensemble des ayants cause et ne modifiant pas les droits respectifs sur la sépulture, ne donnent donc aucun droit particulier à ceux qui les ont réalisés.
Il est possible d’ajouter, comme le rappelle Jean Hérail (JCl. "Notarial Formulaire", Fasc. 10, Vo Sépulture, § 53), qu’étant hors du commerce, les concessions ne peuvent faire l’objet d’une cession à titre onéreux, ni être comprises dans un partage successoral ou après divorce, aussi bien selon la jurisprudence judiciaire (Cass. req., 9 juin 1898 : S. 1898, 1, p. 315 et 1902, 1, p. 134. – CA Paris, 22 mai 1924 : DH 1924, p. 551) que celle administrative (CE, 11 octobre 1957, Hérail : Rec. CE 1957, p. 523 ; AJDA 1957, p. 429, concl. Kahn).
L’inscription soumise à autorisation
Hormis cette question, se pose celle relative à la possibilité de contester le contenu de l’autorisation. Dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Nancy le 28 octobre 2014, le titulaire de la concession avait fait graver sur le monument présent sur la sépulture dans laquelle était inhumée sa défunte épouse, une phrase – ou plus précisément la première partie d’une phrase – tirée de l’ouvrage intitulé "Les Nourritures terrestres" d’André Gide. Ayant fait inscrire les mots "Famille !... Je vous hais !" (d’ailleurs, ces simples mots détachés de la phrase complète ne traduisent que très imparfaitement la démonstration de l’auteur dans cet ouvrage), après avoir obtenu l’autorisation de l’adjoint délégué par le maire de Strasbourg à cette fin, le titulaire de la concession a évidemment provoqué ce qu’il avait certainement voulu, à savoir la "réaction" des personnes concernées. En effet, son fils, sa belle-fille, ses petites-filles et le mari de l’une d’elles, après avoir engagé en vain des procédures judiciaires civiles et pénales, ont demandé au maire de Strasbourg de procéder à la suppression de cette inscription, par courrier reçu le 13 décembre 2011, courrier auquel il était répondu par un refus le 5 janvier 2012.
Le tribunal administratif de Strasbourg ayant annulé, par jugement du 26 mars 2014, ce refus et enjoint à la commune de faire disparaître l’inscription, la cour administrative d’appel de Nancy vient prononcer l’annulation du jugement, considérant que le maire ne pouvait que rejeter la demande qui lui était adressée.
L’impossible retrait de l’inscription
Le conflit est réglé le plus simplement possible en application des règles traditionnelles relatives au retrait des actes administratifs créateurs de droits, parmi lesquels figure l’autorisation d’inscription sur un monument funéraire.
Les règles du retrait
Parce qu’elle peut commettre des erreurs, a toujours été admise la possibilité pour l’Administration (ou la personne privée chargée de la gestion d’un service public) d’opérer le retrait d’un acte administratif illégal. Toutefois, ce retrait, c’est-à-dire la disparition du fait de son auteur de l’acte administratif, doit prendre en compte la nécessaire sécurité juridique ; il importe en effet que l’administré puisse, à un moment donné, être certain que l’acte dont il est le bénéficiaire, quand il crée des droits à son profit, ne pourra plus être remis en cause, sera, en quelque sorte, définitif (voir la présentation des règles de retrait en droit administratif par X. Dupré de Boulois, "Les actes administratifs unilatéraux", dans P. Gonod, F. Melleray et P. Yolka [dir.], "Traité de droit administratif ": Dalloz 2011, tome 2, p. 208).
C’est pourquoi la possibilité de faire disparaître l’acte administratif individuel créateur de droits a toujours été encadrée par deux conditions : le retrait ne peut viser que les actes illégaux (sinon, l’Administration n’a aucune raison de faire disparaître, de sa propre initiative, rétroactivement son acte) et doit s’opérer dans un certain délai. Il demeure que si une demande de retrait émane du bénéficiaire de l’acte (et qu’il ne porte pas atteinte aux droits des tiers ; CE 2 février 2011, n° 329254, Sté TV Numéric), peu importent le délai écoulé depuis la naissance de l’acte, et le caractère, légal ou illégal, de celui-ci (CE, Ass., 26 octobre 2001 : Rec. CE p. 497, concl. F. Séners ; RFDA 2002, p. 77, note P. Delvolvé).
Néanmoins, le retrait opéré en réponse à cette demande ne doit pas aggraver la situation du bénéficiaire de l’acte (CE, 23 juillet 1974, ministre de l’Intérieur c/ Sieur Gay : Rec. CE p. 441 ; cité par M. Gros, "Droit administratif – L’angle jurisprudentiel" : coll. "Logiques juridiques", 3e éd. L’Harmattan 2011, p. 165).
Cependant, le délai à respecter variait selon plusieurs critères : acte explicite ou tacite, acte soumis à publicité ou non soumis à publicité, existence d’un pouvoir hiérarchique, etc. Ces règles ont été simplifiées en raison de l’intervention d’une loi et d’une nouvelle jurisprudence : la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’Administration (dite "loi DCRA") et l’arrêt "Ternon" du Conseil d’État (CE, Ass., 26 octobre 2001) ont en effet unifié les différents régimes de retrait, en distinguant deux hypothèses : le retrait des décisions implicites (deux mois) et le retrait des décisions explicites (quatre mois). Il existe aussi des régimes législatifs dérogatoires, en matière d’urbanisme (C. urb., art. L. 424-5).
Pour une décision expresse, comme l’autorisation d’inscription sur un monument funéraire, était donc applicable la jurisprudence "Ternon", c’est-à-dire que le maire de Strasbourg ne pouvait revenir sur la décision adoptée – à supposer qu’elle soit illégale (!) question à laquelle la Cour ne répond pas… – que pendant quatre mois, délai largement dépassé lorsque la famille l’a saisi de la demande de retrait…
Damien Dutrieux
Annexe lecture du mardi 28 octobre 2014 Sur les conclusions à fin d’annulation : |
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :