C’est l’ordonnance du 6 décembre 1843 qui a modifié l’art. 11 du décret-loi du 23 prairial an XII qui, avec les lois des 3 janvier 1924 et 24 février 1928, a constitué la réglementation essentielle des concessions funéraires qui a prévalu durant près de soixante ans.
Un bref rappel historique
Le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), tel qu’il résulte de la loi n° 96-142 du 21 février 1996, relative à sa partie législative, dans son art. L. 2223-13 énonçait :
"Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leur enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune."
Force est d’admettre que cette rédaction est très proche de celle initiée par le décret- loi du 23 prairial an XII et de l’ordonnance du 6 décembre 1843.
Deux textes sont venus modifier l’art. L. 2223-13 du CGCT, à savoir
D’une part, l’ordonnance n° 2005-855 du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires, qui, dans son art. II, prescrivait :
1° "Il est ajouté à la fin de la première phrase du premier alinéa les mots suivants : "en y inhumant cercueils ou urnes".
2° Après le premier alinéa, il est inséré un deuxième alinéa ainsi rédigé :
"Il peut être également concédé des espaces pour le dépôt ou l’inhumation des urnes ou la dispersion des cendres dans le cimetière"."
C’est ainsi qu’après le 28 juillet 2005 il convenait d’opérer une nouvelle lecture de l’art. L. 2223-13 du CGCT selon la rédaction suivante :
"Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants et successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux en y inhumant cercueils ou urnes. Il peut être également concédé des espaces pour le dépôt ou l’inhumation des urnes ou la dispersion des cendres dans le cimetière. Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune."
D’autre part, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 qui, dans son art. 23, I, a ratifié l’ordonnance du 28 juillet 2008, légalisant ainsi les modifications apportées à l’art. L. 2223-13 du CGCT, qui de surcroît, dans son II, a modifié une fois de plus l’art. L. 2223-13 en ces termes :
a) "après le mot successeurs, la fin de la première phrase du premier alinéa est supprimée" ;
b) "au deuxième alinéa les mots "ou la dispersion des cendres" sont supprimés".
La loi du 19 décembre 2008 a modifié radicalement les droits conférés depuis des décennies au concessionnaire, puisque la rédaction actuelle de l’art. L. 2223-13 entraîne la fin de la reconnaissance du droit de construire des monuments et caveaux qui permet, en parallèle, au législateur d’introduire dans un nouvel art. L. 2223-12-1 une restriction au droit de construire, alors que la loi supprime également la faculté apportée par l’ordonnance du 28 juillet 2005 d’acquérir une concession afin d’y disperser des cendres.
Le nouvel art. L. 2223-23 du CGCT peut donc s’exprimer dorénavant ainsi :
"Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants et successeurs. Il peut être également concédé des espaces pour le dépôt ou l’inhumation des urnes. Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune."
La loi, bien que paraissant radicalement stricte sur l’avenir des constructions et équipements funéraires sur les concessions familiales, dans son art. 18, complète l’art. L. 2223-12 du CGCT qui, dans sa rédaction issue de la loi du 21 février 1996, relative à la partie législative du CGCT, attribuait des droits ainsi exprimés : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe distinctif de sépulture."
Le nouvel art. L. 2223-12-1du CGCT, résultant de l’art. 18 de la loi du 19 décembre 2008, est ainsi rédigé : "Le maire peut fixer les dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses."
Il est à noter que les dispositions des articles 18 et 23 de la loi sont d’application immédiate.
Après l’entrée en vigueur de la loi, Claude Bourriot, co-auteur du Code des opérations funéraires, in Résonance de décembre 2008 /janvier 2009, no 46, avait considéré que, bien que la phrase "les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur les terrains (sous-entendu concédés) des caveaux, monuments et tombeaux" ait été supprimée, cette disparition était sans conséquence, puisque l’art. L. 2223-12 du CGCT permet à tout particulier de placer une pierre sépulcrale ou tout signe indicatif de sépulture sur la fosse d’un parent ou ami. Il permet donc déjà ces constructions.
Damien Dutrieux, maître de conférences associé à l’université de Valenciennes, in Résonance décembre 2008/ janvier 2009, n° 46, à propos du nouvel art. L. 2223-13, estimait pour sa part "que la fin de la reconnaissance du droit de construire des monuments et caveaux qui permet en parallèle au législateur d’introduire la première restriction au droit de construire dans l’art. L. 2223-12-1 posait une difficulté juridique en raison de l’endroit où était codifiée cette disposition, qui, a priori, ne se trouvait pas parmi les règles applicables aux concessions funéraires, c’est-à-dire la sous-section 2, qui prévoit que "le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses".
Dans notre ouvrage, "Traité de Législation et Réglementation Funéraire" édité par Résonance, nous considérions que, "pour notre part, nous demeurons réservés sur l’utilité de cette réforme de l’art. L. 2223-13 du CGCT, car il est à craindre que l’institution du tombeau de famille, constitué par un caveau et un monument funéraire, à laquelle les Français étaient particulièrement attachés, soit quelque peu remise en cause".
En effet, la lecture littérale de l’art. L. 2223-12 du CGCT est relativement restrictive, car l’option offerte à "tout particulier, qui peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture" est assez vague, car il paraît difficile d’assimiler une pierre sépulcrale, voire un signe indicatif de sépulture, à un caveau, d’autant plus que l’initiative reconnue à un ami se heurte indubitablement au droit du concessionnaire, qui, à notre sens, est le maître des aménagements à réaliser sur la concession (à noter que l’art. L. 2223-12 ne parle que de sépulture) ou aux héritiers légitimes qui lui succèdent, dont les droits sont qualifiés de droits réels immobiliers, ce qui leur confère de larges prérogatives : cf. "Traité de Législation et Réglementation Funéraire", précité. Or, de tout temps, il a été admis par la jurisprudence, tant administrative que civile, que, si la concession funéraire ne pouvait faire l’objet d’une appropriation, en raison de sa situation sur le domaine public communal, en revanche, le concessionnaire ou ses héritiers, hors l’hypothèse de la déchéance de leurs droits en raison de la reprise de la concession régulièrement opérée, étaient propriétaires "du dessus", c’est-à-dire des constructions élevées sur l’emplacement concédé.
En outre, à l’heure actuelle il n’a pas été statué sur l’avenir des marchés pour la construction de caveaux lancés par les communes dans le cadre de l’aménagement durable des cimetières en France, dont les acquéreurs ultérieurs étaient les fondateurs de concessions funéraires désireux de ne pas reposer dans des sépultures situées en pleine terre, comme cela est le cas des "fosses", terme utilisé dans l’art. L. 2223-12.
Pour nous, une clarification s’impose afin de définir les notions de "pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture", car en l’état actuel de ce nouveau droit, l’avenir du tombeau de famille nous paraît singulièrement menacé, sauf si l’absence de protection légale renforce le pouvoir réglementaire du maire et que la construction des caveaux relève du règlement du cimetière, au titre des pouvoirs autonomes de police administrative, matière déjà abordée dans Résonance sous notre signature.
Le principe selon lequel le concessionnaire pouvait aménager sa concession et y faire construire des monuments funéraires ou des caveaux, sans qu’il lui soit nécessaire d’obtenir une autorisation, conformément à l'ancien art. L. 2223-13 du CGCT, a donc été supprimé du droit objectif.
Avant la réforme de 2008, il résultait de la jurisprudence, notamment les arrêts du Conseil d’État, nos 128447 et 133324 en date du 8 novembre 1993, que, dès lors qu’une personne était titulaire d'une concession dans un cimetière, elle était, de ce seul fait, autorisée à y construire un caveau.
Elle pouvait même clôturer sa concession, à la condition, toutefois, que la circulation dans le cimetière n’en soit pas gênée. Les constructions ainsi réalisées sur le terrain concédé étaient la pleine propriété du concessionnaire, lequel ne pouvait, bien évidemment, utiliser sa concession à d’autres fins que l’inhumation.
Un autre contentieux portant sur les constructions édifiées sur les terrains concédés dans les cimetières a fait l’objet d’un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, n° 07MA01011, en date du 2 juin 2008.
La cour administrative d'appel de Marseille était saisie d’un recours contre
le jugement n° 0200143 du 21 décembre 2006 par lequel le tribunal administratif de Montpellier avait rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le maire de Cabestany (Pyrénées-Orientales) avait rejeté son recours gracieux en date du 6 septembre 2001 dirigé contre la décision
en date du 6 juillet 2001 par laquelle cette même autorité avait refusé de mettre fin à l'occupation par la bordure d'une concession funéraire de l'espace inter-tombes dans le cimetière de la commune, et à ce qu'il soit enjoint au maire de Cabestany de rétablir le trottoir devant exister entre cette concession et celle dont il est titulaire, et d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision, et d'enjoindre au maire de Cabestany d'ordonner la destruction de la portion du monument funéraire qui empiétait sur le domaine public de la commune dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 € par jour de retard.
En outre, la commune de Cabestany était condamnée à verser à l’appelant une somme de 2 000 € au titre de l'art. L. 761-1 du Code de justice administrative.
Le jugement en date du 21 décembre 2006 du tribunal administratif de Montpellier, entrepris, avait rejeté la demande de M. X dirigée contre la décision implicite par laquelle le maire de Cabestany (Pyrénées-Orientales) avait rejeté son recours gracieux lui-même dirigé contre la décision en date du 6 juillet 2001 par laquelle cette même autorité avait refusé d'ordonner aux titulaires de la concession Abillach-Sabardeil-Vidal située dans le cimetière communal de rétablir l'intégrité de l'espace entre ladite concession et la concession dont la famille de M. X était titulaire.
Les fondements textuels de la décision de la Cour :
"Considérant qu'aux termes de l'art. L. 2213-8 du CGCT : Le maire assure la police des funérailles et des cimetières ; que selon l'art. L.2213-13 du même Code : Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux...
Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnés ci-dessus est fourni par la commune. Qu'en vertu de l'art. R. 2223-4 dudit Code : les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 centimètres sur les côtés, et de 30 à 50 centimètres à la tête et aux pieds ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un passage d'une largeur minimum réglementaire doit être ménagé entre les tombes ou les concessions ; que ces espaces inter-tombes ou inter-concessions font partie du domaine public communal et sont insusceptibles de droits privatifs ; qu'il appartient au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police des cimetières, d'empêcher tout empiétement sur ces espaces ;
Considérant en outre que l'art. 18 de l'arrêté municipal portant règlement général sur la police du cimetière communal de Cabestany en date du 29 novembre 1985 dispose que : les concessionnaires ne pourront établir leurs constructions, clôtures et plantations au-delà des limites du terrain livré... ; que l'art. 23 de ce même règlement précise que : chaque concession sera implantée par la commune à partir de piquets de fer, la commune se réservera une bande latérale de 0,40 m entre chaque concession, de 0,50 m sur les fonds arrière, et 0,20 m à l'avant. Ces zones devront être impérativement traitées par le concessionnaire, en béton de ciment lissé et bouchardé... ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le monument funéraire construit sur la concession Abillach-Sabardeil-Vidal, voisine de celle de la famille de M. X, comporte une marche, laquelle occupe en grande partie, en violation des articles précités 18 et 23 de l'arrêté municipal du 29 novembre 1985 et des règles sus-rappelées d'implantation des tombes dans les cimetières communaux, l'espace situé entre ces deux concessions appartient au domaine public de la commune ; que la présence de cette marche gêne le passage autour de la concession de la famille de M. X et en complique l'entretien ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du CGCT que le maire de Cabestany était tenu de mettre fin à l'occupation irrégulière du domaine public communal par la marche entourant le monument funéraire de la concession Abillach-Sabardeil-Vidal ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que la décision implicite résultant du silence gardé par le maire sur son recours gracieux tendant au rétablissement de l'espace inter-concessions est illégale et doit être annulée.
Et la cour administrative d’appel de Marseille, jugeant que ces considérations impliquaient nécessairement que le maire de Cabestany ordonne aux titulaires de la concession Arbillach-Sabardeil-Vidal de rétablir l'intégrité de l'espace public entre cette concession et celle de la famille de M. X ; qu'il sera enjoint au maire de prendre cette mesure dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 10 € par jour de retard.
En conséquence, le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 21 décembre 2006 et la décision implicite par laquelle le maire de Cabestany ayant rejeté le recours gracieux en date du 5 septembre 2001 de M. X ont été annulés, avec injonction faite au maire de Cabestany d'ordonner aux titulaires de la concession Arbillach-Sabardeil-Vidal la destruction de la portion de leur monument funéraire qui empiétait sur le domaine public de la commune entre cette concession et celle de la famille de M. X, dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sous astreinte de 10 € par jour de retard.
Dans le contexte juridique actuel, on peut se poser légitimement la question de savoir si un tel contentieux serait, aujourd’hui, susceptible de se renouveler, bien que, dans sa nouvelle rédaction, l’art. L. 2223-13 du CGCT mentionne :
"Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune."
Cette mesure n’est pas discutable dès lors que les concessions funéraires sont établies en pleine terre, ce qui nécessite le respect des dispositions énoncées aux articles R. 2223-24 du CGCT.
Mais qu’en serait-il si un caveau ou plusieurs s’intégrant dans un projet d’aménagement du cimetière communal devaient être édifiés ?
Ces constructions sont généralement mitoyennes, et les caveaux de type "antipol", monoblocs, sont alignés et accolés les uns aux autres, ce qui réduit tout espace inter-tombal latéral, c’est-à-dire sur les côtés. Sauf si la construction dans sa partie frontale ou arrière empiétait sur le domaine public, on ne voit pas comment cette espèce jurisprudentielle pourrait se renouveler.
Enfin, selon l’arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy, n° 05NC00285, en date du jeudi 28 septembre 2006, le droit conféré par l'art. L. 2223-12 du CGCT qui énonce que "tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture", indépendamment du droit de délivrer une concession funéraire, toute commune est tenue de consacrer à l'inhumation des défunts des terrains spécialement aménagés, est explicitement reconnu par la Cour.
En conclusion
Force est d’admettre que la disparition des droits octroyés au fondateur d’une concession funéraire, voire à ses enfants ou successeurs, de faire construire sur l’emplacement concédé un caveau ou monument constitue une atteinte grave aux droits acquis et à la liberté des communes de disposer de la maîtrise de l’aménagement de leurs cimetières publics.
Jean-Pierre Tricon
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