Dans un arrêt du 3 juin 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux vient condamner une commune pour défaut de surveillance du cimetière en raison de la disparition de "restes" qui devaient se trouver dans une concession funéraire.
Damien Dutrieux, consultant |
Cet arrêt est intéressant en ce sens que le requérant contestait sur la base du non-respect des règles relatives aux exhumations alors que le juge lui donnera raison sur la base du défaut de surveillance.
1 - Responsabilité en matière d’exhumation
Il est utile de rappeler au préalable (V. notamment D. Dutrieux, "Opérations funéraires : Juris-Classeur Collectivités territoriales", Fasc. 717, § 80) que c’est le maire (art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT)) du lieu où doit s’effectuer l’opération d’exhumation qui délivre l’autorisation à la demande du plus proche parent du défunt, qui doit justifier "de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande".
S’il convient d’attendre une année entre la date du décès et la date d’exhumation (CGCT, art. R. 2213-41) dans l’hypothèse où la personne décédée était atteinte d’une maladie contagieuse (sauf inhumation dans un caveau provisoire), aucun délai à respecter n’est imposé par le Code dans les autres cas. Toutefois, si, lors de l’exhumation, il est trouvé un cercueil en bon état de conservation, celui-ci ne pourra être ouvert que si un délai de cinq ans depuis le décès s’est écoulé (CGCT, art. R. 2213-42), et, si le cercueil est détérioré, le corps devra être placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements.
Vérification de la qualité de plus proche parent
Contrairement aux autres autorisations qui sont délivrées à la demande de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, c’est à la demande du plus proche parent du défunt qu’est délivrée l’autorisation d’exhumation (CGCT, art. R. 2213-40). Cette notion n’est pas définie dans le CGCT, ni d’ailleurs dans le Code civil. Seule l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée : Journal officiel 28 septembre 1999 et mise à jour par l’IGEC, 29 mars 2002 : Journal officiel 28 avril 2002) indique (§ 426-7) dans une note que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation de tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs" (V. CE, 27 avr. 1987, n° 38492 : JurisData n° 1987-606331 ; Rec. CE 1987, tables p. 624 ; Dr. adm. 1987, comm. 334 ; CAA Nantes, 30 sept. 1998, n° 96NT01061, Mordellet : JurisData n° 1998-051127 ; Rec. CE, tables p. 1064 ; Dr. adm. 1999, comm. 57 ; CE, 9 mai 2005, n° 262977, Rabau : JurisData n° 2005-068354 ; Rec. CE 2005, p. 186 ; JCP A 2005, act. 211 ; JCP A 2005, 1307, chron. E. Glaser et F. Séners ; "Collectivités – Intercommunalité" 2005, comm. 161, note L. Erstein ; JCP G 2005, II, 10131, note D. Dutrieux).
Ainsi, si le maire doit être saisi d’une demande présentée par le plus proche parent du défunt, force est d’admettre que seul un motif d’ordre public est susceptible d’être opposé à la demande d’exhumation, puisqu’il s’agit d’une mesure de police. Dès lors, comme l’indique le Guide de législation funéraire (G. et M. Sénac de Monsembernard et R. Vidal, Litec, 6e éd., 2003, p. 274, § 485), le maire ne saurait refuser une exhumation pour des motifs dont l’appréciation appartient exclusivement aux tribunaux judiciaires.
Est évoqué par les auteurs de ce Guide l’arrêt du Conseil d’État ayant annulé pour excès de pouvoir la décision d’un maire qui avait rejeté une demande d’exhumation sous prétexte qu’il existait une disposition testamentaire s’opposant à cette exhumation (CE, 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE 1910, p. 391). Un auteur note expressément que "l’exhumation est un droit opposable à l’Administration" (M.-T. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1999, 2e éd., p. 262). Par ailleurs, le maire n’est autorisé à surseoir à statuer que lorsqu’il est informé d’un conflit familial (Rép. min. n° 43908 : JOAN Q 10 août 1992, p. 3715, reproduite dans G. d’Abbadie et C. Bouriot, "Code pratique des opérations funéraires", Le Moniteur, 2004, 3e éd., p. 689. – V. également G. Chaillot, "Le droit des sépultures en France", Éd. Pro Roc, 2004, p. 400, § 42).
Attestation sur l’honneur
Si la gestion d’une sépulture, après le décès du fondateur et sans transmission successorale prévue par ce dernier, est relativement complexe en raison de la présence d’une indivision successorale qui, sauf renonciation expresse, risque de ne cesser de s’agrandir (sur ces questions, V. M. Perrier-Cussac, "Les droits du titulaire d’une concession funéraire" : JCP N 1990, doctr. p. 343), le juge administratif semble prendre acte de ces difficultés en relevant la possibilité pour la commune de recourir à une déclaration dans laquelle le pétitionnaire va "attester sur l’honneur qu’il n’existe aucun autre parent venant au même degré de parenté que lui, ou, si c’est le cas, qu’aucun d’eux n’est susceptible de s’opposer à l’exhumation sollicitée".
Or, le Conseil d’État (CE, 9 mai 2005, n° 262977, Rabau) vient relever que "l’Administration n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation", ce qui semble diminuer la responsabilité de l’administration municipale en cas de conflit familial volontairement caché dans une fausse déclaration du pétitionnaire, sauf, comme il est expressément indiqué dans l’arrêt, quand cette administration a connaissance du conflit.
Toutefois, la cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt du 22 juin 2006 (CAA Douai, 22 juin 2006, n° 05DA00712 : JurisData n° 2006-307445 ; JCP A 2007, 2043, chron. O. Mesmin ; JCP A 2007, 2122, D. Dutrieux), vient limiter ce droit à l’exhumation en indiquant que l’autorité chargée de délivrer l’autorisation d’exhumation devait en outre vérifier que le défunt n’avait pas "exprimé une volonté relative à sa sépulture qui s’opposerait à l’exhumation". Cette condition supplémentaire fixée par le juge d’appel est en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE 1910, p. 391). Il n’appartient qu’au juge judiciaire d’apprécier la volonté du défunt, ce que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2010 (pourvoi n° 09-65.720).
Absence de preuve d’autorisations illégalement délivrées
Dans l’affaire qu’a tranchée la cour administrative d’appel de Bordeaux le 3 juin 2014 (voir annexe), le juge a refusé d’engager une responsabilité sur le fondement de la délivrance irrégulière d’autorisations d’exhumation, tout simplement parce que le requérant ne démontrait pas que de telles demandes avaient été déposées.
2 - Responsabilité en matière de police
Avec l’arrêt "Cauchoix", le juge administratif a procédé à une extension des pouvoirs de police du cimetière du maire au détriment de la compétence en matière de gestion de cette parcelle du domaine public (CE, 20 févr. 1946, Cauchoix : Rec. CE 1946, p. 53).
Dès lors, les pouvoirs de police englobent ce qu’il conviendrait de qualifier de "pouvoirs de gestion du domaine public" en dehors de cet espace public particulier qu’est le cimetière. Certains auteurs expliquent cet élargissement de compétence au profit du maire par la nécessité, pour le juge, de protéger la liberté des particuliers dans le cimetière et le droit qu’ils possèdent d’honorer leurs morts. En effet, dans le cadre de ses pouvoirs de police, le maire est limité par leur objet – maintien de l’ordre, neutralité et décence – alors que la gestion d’une parcelle du domaine public permet de poursuivre d’autres objectifs d’intérêt général (notamment, T. Viel, ouvrage précité, p. 272).
Au titre de la police, le maire est responsable de la réglementation de l’accès au cimetière (CE, 29 avril 1904, Adam : Rec. CE 1904, p. 347) et de la circulation des véhicules dans cet espace (CE, 19 février 1915, Govin et Bouchet : Rec. CE 1915, p. 42 ; CE, 15 mars 1974, Pasquis : RD publ. 1975, p. 519 ; CE, 18 février 1972, Ch. syndicale entreprises artisanales bâtiment Haute-Garonne : Rec. CE 1972, p. 153 ; AJDA 1972, p. 215, chron. Labetoulle et Cabanes ; JCP G 1973, II, 17446, note F. Bouyssou).
Surveillance effective du cimetière
L’existence de ce pouvoir de police induit une obligation générale de surveillance du cimetière (selon le ministre de l’Intérieur : "La surveillance des cimetières étant une mission de police administrative dévolue au maire, la facturation de cette surveillance par le personnel communal aux entreprises effectuant des opérations de fossoyage ne saurait pouvoir être envisagée", Rép. min. n° 4730 : JO Sénat Q, 19 février 1998, p. 598). À ce titre, le maire doit s’assurer du bon état des sépultures et mettre en demeure les titulaires des concessions dont le mauvais état constitue un risque pour l’hygiène ou la sécurité du cimetière d’effectuer les travaux nécessaires (l’exécution d’office ne peut être justifiée que par l’urgence, CE, 11 juillet 1913, de Chasteignier, Mure et Favreau : Rec. CE 1913, p. 832).
Cette obligation de surveillance explique que le juge administratif va engager dans certains cas la responsabilité de la commune pour la réparation d’un préjudice résultant de la ruine d’un monument funéraire (CE, 19 octobre 1966, Cne Clermont [Oise] : Rec. CE 1966, p. 550, en l’espèce la ruine du monument était due non à sa vétusté mais au défaut de surveillance).
De même, la surveillance doit porter sur les travaux exécutés par les concessionnaires. La responsabilité de la commune peut être mise en cause en raison de l’empiétement sur une concession par une construction édifiée sur une concession voisine, dès lors qu’il est établi que la commune n’avait pas surveillé ces travaux (CAA Nancy, 2 juillet 1991, nos 89NC01389 et 89NC01394, Cts Tahir, Émilienne Debarge-Verqueren).
Dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Bordeaux le 3 juin 2014, cette surveillance va servir de fondement à l’engagement de responsabilité de la commune, alors que des "restes" ont disparu d’une concession funéraire.
Damien Dutrieux
Annexe : Inédit au recueil Lebon |
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