Au-delà du problème philosophique évident qui se pose à chacun sur la question du statut de l’enfant mort-né(1), le professionnel du funéraire est régulièrement confronté à la difficulté de la prise en charge de ces corps, tant leur intervention et leur responsabilité sont conditionnées par la manifestation de volonté des familles et le respect de la réglementation par les soignants.
Stéphan Denoyes, avocat à la cour |
Le problème n’est pas nouveau
Il trouve son origine dans une réglementation complexe qui prend sa source dans la France de 1806(2), et qui n‘a eu de cesse d’évoluer jusqu’à nos jours(3).
Depuis les années 2008 et 2009 ont été relativement prolixes sur le sujet : qui ont vu trois arrêts de la Cour de Cassation(4), deux décrets(5) et une circulaire(6), la réglementation est aujourd’hui relativement stable: le critère de viabilité a été remplacé par celui d’accouchement.
Les enfants décédés se répartissent désormais en 3 groupes que l’on peut définir ainsi :
- les enfants nés viables et vivants mais décédés avant la déclaration de naissance, et pour lesquels un certificat(7) en attestant permet l’établissement d’un acte de naissance et d’un acte de décès ;
- à défaut d’un tel certificat, les enfants donnent lieu à l’établissement d’un Certificat Médical d’Accouchement(8) (dit CMA) qui permet la délivrance d’un acte d’enfant sans vies ;
- les autres (fœtus<15 semaines d’aménorrhée. Et plus généralement absence de recueil d’un corps(9)).
La rédaction de ces certificats est primordiale tant pour le professionnel du funéraire que pour l’établissement de santé(10) car elle détermine la qualification juridique du corps, et donc son devenir.
Dans le premier cas, la crémation ou l’inhumation de l’enfant est obligatoire et s’effectue conformément à la réglementation funéraire.
Dans les deux autres cas, le devenir du corps et sa prise en charge par le professionnel du funéraire dépend essentiellement de la volonté de la famille de réclamer ou non le corps et de prendre en charge ou non son "traitement".
Dans le cas où un acte d’enfant sans vie a été établit, les parents disposent d'un délai de dix jours(11) à compter de l'accouchement pour réclamer le corps de l'enfant qui doit leur être remis sans délai conformément aux dispositions du décret n° 2006-965 du 1er août 2006 relatif au décès des personnes hospitalisées et aux enfants pouvant être déclarés sans vie à l'état civil dans les établissements publics de santé.
Si les parents souhaitent l’organisation de funérailles, la commune est invitée à accepter la demande d’inhumation ou de crémation conformément à la réglementation funéraire.
À défaut, dans un délai de deux jours francs, l'établissement doit prendre les mesures en vue de procéder à sa charge à sa crémation comme pièce anatomiques ou, si une convention avec la commune le prévoit, à son inhumation.
Dans les cas ou aucun certificat d’accouchement n’a été établit, ou lorsque le corps n’est pas réclamé par la famille, l’élimination se fait par crémation selon les dispositions des articles R.1335- 9 à R.1335-11 du Code de la santé publique applicables aux déchets d’activité de soins à risque infectieux (DASRI) parmi lesquels figurent les "Déchets anatomiques humains, correspondant à des fragments humains non aisément identifiables". Toutefois, la famille, pour ce même fœtus peut souhaiter organiser des funérailles et il faudra donc appliquer à la réglementation funéraire.
Dans la douleur et l’affolement, les parents peuvent souhaiter prendre leur décision dans l’immédiat afin de commencer leur deuil rapidement. La circulaire de 2009 précitée précise que "Dans tous les cas, il est souhaitable que les parents puissent revenir sur leur décision jusqu’au départ du corps vers le cimetière ou le crématorium".
En tout état de cause, l'établissement de santé doit informer la famille des différentes possibilités de prise en charge du corps de l'enfant sans vie.
Cette réglementation française qui semble complexe vient d’être confortée en grande partie par une récente décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme(12). Cette dernière a eu à se prononcer sur la qualification juridique de la dépouille d’un enfant mort-né.
Une femme donne naissance, au 9e mois de grossesse, à un enfant mort-né dans un hôpital croate. Ne s’étant pas occupé des suites de cette malheureuse naissance, les parents cherchent, plus tard, à connaître le devenir de la dépouille et notamment le lieu de repos du cadavre de leur enfant. Ne réussissant pas à obtenir l’information, ils assignent l’hôpital en réparation et apprennent à cette occasion que l’enfant a été éliminé avec les déchets hospitaliers et incinérés par le sous-traitant de l’hôpital au cimetière de Zagreb.
Les juridictions locales considérèrent que la réglementation locale s’opposait à ce que le cadavre fût éliminé avec des déchets hospitaliers mais refusèrent d’admettre la réparation au motif que l'hôpital n'avait aucune obligation d'informer les parents du lieu de la crémation.
La question posée à la Cour européenne ici était celle de l’habilitation de l’hôpital à éliminer le cadavre comme un déchet hospitalier. La Cour remarque qu’aucune disposition légale croate n’autorise l’hôpital à traiter l’enfant mort-né comme un déchet clinique considérant qu’un tel procédé est une ingérence dans le droit au respect de la vie privée.
La Cour constate également que la législation croate n’autorise la procédure d’élimination comme déchet d’activités de soins que pour les fœtus des femmes enceintes de vingt-deux semaines au plus. C’est précisément cette absence de précisions dans la législation française qui avait amené à la Cour de cassation française a réagir et obligé l’État français à modifier sa réglementation.
Toutefois, en l’espèce, la Cour européenne se garde bien de se prononcer explicitement la légitimité de ce seuil "OMS", tout comme l’avait fait la France de 2008.
Elle constate également qu’un accord oral ne saurait constituer un accord tacite des parents quant à l’élimination de la dépouille avec les déchets chirurgicaux.
Le professionnel du funéraire sera donc bien inspiré de suivre le conseil posé par la Cour en 2008(13) et rappelé par cet arrêt selon lequel "dans un domaine aussi intime et sensible que la gestion du décès d’un proche, dans lequel il convient de faire preuve d’un degré de diligence et de prudence particulièrement élevé". Aussi le professionnel s’assurera que les délais prévus par la règlementation sont bien respectés et prendra toute mesure propre à s’assurer du non seulement bon établissement du certificat mais également du consentement ou non des parents au type de traitement du corps, sauf à prendre le risque de voir sa responsabilité engagée, à tout le moins partagée avec l’établissement de santé.
Stéphan Denoyes
Stéphan Denoyes est avocat Il dirige la société éponyme, inscrite aux barreaux de Paris et de Lyon. Il accompagne au quotidien des entreprises de toute taille et des fédérations professionnelles tant en conseil qu’en contentieux. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. |
Nota : (1) Selon le statut, l’enfant mort-né ou sans vie peut être inscrit sur les registres d’état-civil et ouvrir divers droits sociaux (retraite, prime de naissance, congé maternité et paternité, droit à une protection contre le licenciement pendant ce congé et à la reprise du travail et le droit à la majoration du montant de l’assurance vieillesse…) (2) Décret du 4 juillet 1806 contenant le mode de rédaction de l'acte par lequel l'officier de l'état civil constate qu'il lui a été présenté un enfant sans vie ; Bulletin des Lois, 4e S., B. 104, n° 1744 (3) Jusqu’à la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993; l'embryon, et en tout cas l'enfant mort né avant 180 jours de gestation, était considéré comme un " produit innomé " ou un " être inorganisé " par la jurisprudence funéraire (Crim. 7 août 1874, DP 1875. 1. 5, note Giboulot ; Poitiers, 3 déc. 1942, DA 1943. Somm. 12 : " que l’être qui vient au monde avant ce terme, privé non seulement de la vie, mais des conditions organiques indispensables à l’existence, ne constitue qu’un produit innomé et non un " enfant ", dans le sens que le législateur a attaché à cette expression " ; voir également réponse ministérielle à la question écrite n°24484 publiée au JO du 24/09/1999 page 3184 ) tandis que les enfants morts nés après 180 jours de grossesse devaient faire l'objet d'une sépulture après qu'une autorisation d'inhumer fût délivrée (Paris, 15 févr. 1865, DP 1865. 2. 138). (4) Arrêts n°06-16.498, 06-16.499 et 06-16.500 du 6 février 2008 de la première chambre civile de la Cour de Cassation (5) Décret n° 2008-800 du 9 janvier 2008 et l'arrêté du 20 août 2008 (6) Circulaire interministérielle du 19 juin 2009 DGCL/DACS/DHOS/DGS/DGS/2009/182- Rappelons qu’une circulaire n’a pas d’effet contraignant : les instructions et circulaires administratives, sans lier les juges, n’obligent que les fonctionnaires auxquelles elles sont adressées et dans les sphères de leurs fonctions ( Com 23 octobre 1950 D 1951 4). (7) Article 79-1 du code civil introduit par la loi loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 précitée selon lequel à défaut du certificat médical prévu à l'article 79-1 du code civil, l'officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans vie (8) En cas de refus d’établissement dudit certificat, les parents pourront saisir le juge judiciaire compétent. (9) Selon les termes de la circulaire " les situations d'interruption volontaire de grossesse et les situations d'interruption spontanée de grossesse, communément désignées par les praticiens " interruptions du premier trimestre de grossesse ", survenant en deçà de la quinzième semaine d'aménorrhée, ne répondent pas, en principe, aux conditions permettant l'établissement d'un certificat médical d'accouchement " (10) Le praticien accoucheur (médecin ou sage-femme) est le seul juge du bien-fondé du certificat médical d’accouchement. Et donc de la viabilité. S’il ne peut légalement fonder sa décision sur les seuils, ll lui faut toutefois deux conditions : le recueil d’un corps formé (y compris congénitalement mal formé), et sexué (même si maturation inachevée). (11) prorogé de 10 jours en cas d’autopsie. (12) CEDH, Affaire MariĆ c. Croatie (requête n°50132/12), du 12 juin 2014. Cet arrêt ne sera définitif que dans les 3 mois de son prononcé, soit le 12 septembre 2014. (13) Voir également sur ce sujet le point 56 de CEDH, affaire Hadri-Vionnet c. Suisse (Requête n° 55525/00) du 14 février 2008. |
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