Qui peut contester une autorisation d’inhumation ? Le Conseil d’État vient de trancher, le 30 juillet 2014, cette importante question alors que la cour administrative d’appel de Versailles avait pris une position étonnante en refusant ce recours à l’ayant droit d’une concession funéraire.
Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
Dès lors qu’est délivrée une autorisation d’inhumation, qui peut la contester ?
En l’occurrence, le maire de Neuilly-sur-Marne avait pris deux décisions, les 6 et 9 décembre 2005, relatives à l'inhumation d’un défunt dans la tombe n° 4053 du cimetière de cette commune. Or, ces décisions ont été contestées par une personne revendiquant être le titulaire de cette concession. Alors que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête, la cour administrative d’appel de Versailles n’a même pas apprécié les arguments du requérant rejetant sa requête en raison de son défaut d’intérêt à agir. Le Conseil d’État, au contraire, reconnaît, sans juger au fond (la cour administrative d’appel de Versailles va devoir rejuger l’affaire) – puisqu’il intervient en tant que juge de cassation, c’est-à-dire en qualité de juge du droit –, à l’ayant droit du co-titulaire d’une concession le droit de contester l’autorisation d’inhumation dans cette dernière.
Après avoir rappelé les principales caractéristiques de l’autorisation d’inhumer, sera analysé l’intérêt à agir de l’ayant droit contre cette autorisation.
1 - Les conditions de la délivrance d’une autorisation d’inhumation
C'est le maire du lieu d'inhumation (si un cimetière est affecté en tout ou partie à une commune, c’est le maire de cette commune qui délivre l’autorisation, même si le cimetière n’est pas sur le territoire de cette commune) qui délivre l'autorisation d'inhumer dans le cimetière communal (CGCT, art. R. 2213-31 ; pour Paris, c'est également le maire – CGCT, art. R. 2512-30). L'autorisation, parfois dénommée "permis d'inhumer", ne peut intervenir qu'après l'établissement de l'acte de décès et l'autorisation de fermeture du cercueil et, éventuellement, l'autorisation de transport du corps.
Des délais sont distingués selon le lieu du décès (CGCT, art. R. 2213-33) : les décès survenus en France et ceux ayant eu lieu à l'étranger ou dans un territoire d'outre-mer.
Pour les décès s'étant produits en France (départements d'outre-mer compris), l'inhumation doit être réalisée dans un délai se situant entre vingt-quatre heures au moins et six jours au plus (les dimanches et jours fériés ne sont pas comptés) à partir du décès.
Pour les décès ayant eu lieu à l'étranger ou dans un territoire d'outre-mer, l'inhumation doit être opérée six jours au plus après l'entrée du corps en France (V. également Rép. min. n° 4479 : JO Sénat Q, 29 sept. 1994, p. 2349. – Rép. min. n° 5561 : JO Sénat Q, 30 juin 1994, p. 1622). À noter que les corps non réclamés à l'établissement de santé doivent être inhumés dans les dix jours du décès (D. n° 74-27, 14 janv. 1974, art. 77 : Journal officiel 16 janvier 1974. – C. Santé publ., art. R. 1112-75).
Seul le préfet est compétent pour accorder des dérogations concernant ces délais (CGCT, art. L. 2213-33, al. 3).
Le décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011 a complété utilement le dispositif existant en ajoutant à l’art. R. 2213-33 un alinéa indiquant qu’en cas de problème médico-légal, le délai de six jours court à partir de l’autorisation d’inhumation délivrée par le procureur de la République. À ces éléments s’ajoutent les nouvelles dispositions du Code de procédure pénale (CPP, art. 230-28 et s.) imposant des obligations spécifiques pour la restitution du corps après autopsie judiciaire (V. D. Dutrieux, "Simplification et amélioration de la qualité du droit : les apports à la législation funéraire" : JCP A 2011, 2228).
Inhumation dans une concession funéraire
Lorsque l'inhumation est pratiquée dans une concession funéraire, l'accord du ou des titulaires de cette concession s'impose. Toutefois, si la personne jouit du droit à être inhumée dans la concession, le maire ne commet pas de faute en ne sollicitant pas l'autorisation du titulaire de la concession (par exemple, la mère du titulaire de la concession, CAA Bordeaux, 3 nov. 1997, n° 96BX01838, Gilbert Lavé).
C’est sur cette question qu’aurait dû statuer la cour administrative d’appel plutôt que de rejeter le recours pour défaut d’intérêt à agir.
Inhumation d’une urne
Le décret n° 98-635 du 20 juillet 1998 relatif à la crémation est venu modifier l'art. R. 2213-39 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Ce texte a été par la suite modifié par le décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011. Il dispose désormais que : "Le placement dans une sépulture, le scellement sur un monument funéraire, le dépôt dans une case de columbarium d'une urne et la dispersion des cendres, dans un cimetière ou un site cinéraire faisant l'objet de concessions, sont subordonnés à l'autorisation du maire de la commune où se déroule l'opération."
Interrogé par un député sur cette disposition (dans son ancienne rédaction, mais la réponse demeure transposable), le ministère de l'Intérieur (Rép. min. n° 30827 : JOAN Q, 30 août 1999, p. 5178) a considéré que : "S'agissant de la faculté de sceller une urne sur un monument funéraire, celle-ci peut, sous réserve de l'appréciation souveraine du juge compétent, être assimilée à une inhumation de corps et est soumise au même régime d'autorisation susceptible de générer la perception d'une taxe d'inhumation."
Responsabilité en cas d’erreur
La délivrance par erreur d'une autorisation d'inhumer dans une concession appartenant à une autre famille que celle du défunt engage la responsabilité de la commune (par exemple, TA Lille, 11 mars 1999, Belkacem Kheddache, Dehbia Kheddache c/ Cne Maubeuge : AJDA 1999, p. 1026, note D. Dutrieux. – TA Caen, 19 mars 2002, n° 01974, Harel : Collectivités-Intercommunalité 2002, comm. 139, note D. Dutrieux).
La commune voit également sa responsabilité engagée lorsque le maire refuse l'inhumation dans une concession en pleine terre sous prétexte que la sépulture ne pouvait recevoir de corps supplémentaires alors que le règlement du cimetière autorisait expressément une telle inhumation, après une réduction de corps, dès lors que le délai de rotation s'était écoulé (CAA Nancy, 18 mars 2004, n° 99NC01602, Cne Haguenau).
2 - L’intérêt à agir contre une autorisation d’inhumation
Alors que le recours pour excès de pouvoir n’a pour objet et pour conséquence s’il est admis que de prononcer l’annulation d’un acte administratif, il n’est pas ouvert à tout requérant, le droit administratif français refusant ce que les juristes appellent l’"actio popularis". Certes le recours est largement ouvert puisque, par exemple, les contribuables locaux peuvent attaquer les décisions engageant les budgets locaux (CE 20 mars 1901, Casanova : Rec. CE 1901, p. 333). Cependant, une action similaire est refusée au contribuable national (CE 23 novembre 1988, Dumont : Rec. CE 1988, p. 418).
L’atteinte à un intérêt matériel ou moral
Ainsi, seuls certains requérants pourront agir "en raison de leur titre ou de leur qualité", étant précisé que l’intérêt à agir est plus "évident" lorsque l’acte porte atteinte à un intérêt matériel d’ordre patrimonial, plutôt qu’à un intérêt moral (voir notamment Pierre Tifine, "Droit administratif français" : Éditions juridiques franco-allemandes 2012, p. 226 et 228) .
Concernant une concession funéraire, la question de l’intérêt à agir se posait-elle ?
L’existence d’une procédure judiciaire devant le tribunal d’instance
Il est possible au préalable de rappeler qu’existe, si l’on souhaite s’opposer à une inhumation, une procédure efficace devant le juge judiciaire. En effet, le juge d’instance est compétent pour trancher les litiges familiaux relatifs aux funérailles (Code de l’organisation judiciaire, ancien art. R. 321-12 devenu COJ, art. R. 221-7). Le juge statue habituellement dans le jour de l’assignation (il doit statuer dans les vingt-quatre heures) et appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures. Le premier président de la cour d’appel statue immédiatement.
Si la décision du juge est notifiée au maire, l’ancien art. R. 321-12 précisait qu’il n’est pas "porté atteinte aux attributions de ce dernier, concernant les mesures à prendre dans l’intérêt de la salubrité publique". C’est le Code de procédure civile qui désormais précise, dans son art. 1061-1, les missions du juge d’instance et du premier président de la cour d’appel, puisqu’il y est indiqué que :
"En matière de contestation sur les conditions des funérailles, le tribunal d’instance est saisi à la requête de la partie la plus diligente selon un des modes prévus à l’article 829.
Il statue dans les vingt-quatre heures.
Appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures de la décision devant le premier président de la cour d’appel. Celui-ci ou son délégué est saisi sans forme et doit statuer immédiatement. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.
La décision exécutoire sur minute est notifiée au maire chargé de l’exécution."
Ainsi, si le juge détermine la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, le maire pourra opposer à cette personne un refus, si les demandes qui lui sont présentées ne répondent pas aux conditions posées par le CGCT.
Absence de contestation des funérailles en l’espèce
Or, ce n’était pas la question en l’espèce. Le requérant ne contestait pas les conditions des funérailles, mais l’inhumation sans son accord, dans une concession dont il revendiquait être l’ayant droit de l’un des fondateurs. En d’autres termes, ce n’était pas l’inhumation en elle-même qui était contestée, ni le choix du cimetière (peut-être d’ailleurs que le choix de la concession correspondait à la volonté du défunt !), mais le fait d’utiliser une concession sans jouir d’un droit à être inhumé opposable à l’ayant droit.
Seul un recours contre l’autorisation d’inhumation était efficace !
Le requérant a donc diligenté le bon recours, mais devait, préalablement à l’analyse de sa requête, se voir reconnaître le droit de contester la légalité d’une telle décision.
Sans véritablement motiver son arrêt, la cour avait considéré :
"que la qualité de successeur de sa mère décédée en 2001, elle-même veuve et successeur de Gustave C. co-concessionnaire décédé le 21 janvier 1984, dont se prévaut le requérant ne suffit pas à elle seule, quand bien même elle aurait pour effet d’en faire le co-titulaire des droits réels attachés à ladite concession, à définir un intérêt à agir lui permettant de demander l’annulation par la voie de l’excès de pouvoir de la décision administrative autorisant une inhumation dans cette concession ; qu’au demeurant les moyens tirés de la qualité ainsi invoquée, qui présentent un caractère subjectif, ne sont pas de ceux qui peuvent être invoqués au soutien d’un recours en excès de pouvoir…"
Le Conseil d’État prend le contrepied de l’arrêt d’appel en se fondant sur les règles de la dévolution successorale (C. civ., art. 724), et décide que la qualité de successeur d’un co-titulaire – et donc celle d’ayant droit de la concession funéraire au sens du droit funéraire (sur la différence entre ayant droit et ayant cause, voir G. Chaillot, "Le Droit des sépultures en France" : éd. Pro Roc 2004, p. 274) – permet de considérer l’existence d’un intérêt à agir contre l’autorisation d’inhumer un défunt, d’autant que le requérant arguait de la volonté exprimée par les fondateurs de la sépulture (selon le requérant, "les co-concessionnaires n’auraient pas souhaité par consentement réciproque autoriser l’inhumation dans la concession d’un conjoint d’un descendant de M. Georges C.").
Or, comme l’a jugé cette même cour administrative d’appel de Versailles quelques années auparavant, dans le cadre d’un contentieux en matière de responsabilité, la commune peut être condamnée si elle délivre une autorisation d’inhumation au mépris de la volonté du fondateur de la concession (voir "Inhumation dans une concession et respect de la volonté du fondateur", note sous CAA Versailles, 6 juillet 2010, no 08VE02943 : JCP A, n° 7, 14 février 2011, 2059, p. 20, note D. Dutrieux).
Damien Dutrieux
Annexe : N° 362413 5e et 4e sous-sections réunies Lecture du mercredi 30 juillet 2014 Texte intégral Après avoir entendu en séance publique : D É C I D E : |
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