Certains établissements de santé publics ou privés tenus de disposer d’une chambre mortuaire ont instauré une pratique consistant dans l’exigence du paiement de redevances soit auprès des familles pour la mise à disposition d’un salon de présentation du corps, soit auprès des thanatopracteurs pour l’utilisation du local aménagé spécifiquement dans la partie technique de l’équipement, pour la réalisation de soins de conservation.
Jean-Pierre Tricon,
avocat au barreau de Marseille
Alerté par des familles ou des professionnels du funéraire sur l’existence de telles dispositions, il m’est apparu utile, nonobstant les actions judiciaires ou administratives engagées à l’encontre de ces établissements, de tenter de clarifier le contenu et la portée du régime juridique applicable aux chambres mortuaires, qui est essentiellement fixé par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), ainsi que par le Code de la santé publique, pour les établissements de santé publics ou privés, qui sont tenus d’en disposer.
Le principe qui est posé par les textes est celui de la gratuité du dépôt durant les trois premiers jours. Le conseil d’administration a la faculté de fixer un tarif pour le séjour des corps excédant ces trois jours.
A/ Le fondement législatif
C’est l’art. L. 2223-39, qui dispose :
"Les établissements de santé publics ou privés qui remplissent des conditions fixées par décret en Conseil d'État doivent disposer d'une chambre mortuaire dans laquelle doit être déposé le corps des personnes qui y sont décédées. Toutefois, la chambre mortuaire peut accessoirement recevoir, à titre onéreux, les corps des personnes décédées hors de ces établissements en cas d'absence de chambre funéraire à leur proximité."
B/ Les fondements réglementaires :
Sous-paragraphe 3 du CGCT : Chambres mortuaires
Art. R. 2223-89 :
"Le dépôt et le séjour à la chambre mortuaire d'un établissement de santé public ou privé du corps d'une personne qui y est décédée sont gratuits pendant les trois premiers jours suivant le décès."
Art. R. 2223-90 :
"Les établissements de santé publics ou privés doivent disposer au moins d'une chambre mortuaire dès lors qu'ils enregistrent un nombre moyen annuel de décès au moins égal à deux cents.
L'appréciation de la condition définie à l'alinéa précédent s'effectue au vu du nombre moyen de décès intervenus dans chacun des établissements considérés au cours des trois dernières années civiles écoulées.
Un établissement de santé cesse d'être soumis à l'obligation prévue au premier alinéa du présent article dès lors que le nombre de décès enregistré en son sein reste inférieur au seuil défini au même alinéa pendant trois années civiles.
Pour l'application du présent article, il est tenu compte des décès intervenus dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées gérés par les établissements de santé dans les conditions définies à l'art. L. 711-2-1 du Code de la santé publique."
Art. R. 2223-91 :
"Sous réserve de l’art. R. 2223-92, les établissements de santé publics ou privés doivent gérer directement leurs chambres mortuaires".
Art. R. 2223-94 :
"Le conseil d'administration s'il s'agit d'un établissement public ou son organe qualifié s'il s'agit d'un établissement privé fixe les prix de séjour en chambre mortuaire au-delà du délai de trois jours prévu à l'art. R. 2223-89."
L’arrêté du 7 mai 2001, NOR : MESH0121712A, de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité et du ministre délégué à la Santé, relatif aux prescriptions techniques applicables aux chambres mortuaires des établissements de santé, prescrit la nature et la consistance des équipements devant être aménagés dans une chambre mortuaire.Art. 1 :
"La chambre mortuaire, mentionnée à l'art. L. 2223-39 du CGCT, doit comporter une zone publique destinée aux familles et une zone technique réservée à la conservation et à la préparation des corps, y compris, dans les établissements publics de santé, des corps des enfants pouvant être déclarés sans vie à l'état civil."
Section I : La zone publique
Art. 2 :
"La zone publique de la chambre mortuaire comprend au minimum, un local de présentation du corps du défunt ainsi que du corps des enfants pouvant être déclarés sans vie, dans les établissements publics de santé et un local d'accueil pour les familles.
Elle peut également comporter une salle d'attente pour les familles et une salle de cérémonie."
La chambre mortuaire doit permettre aux familles d’organiser dignement les obsèques de l’un de leurs proches.
Le Conseil d’État a pu définir ce qu’est une chambre mortuaire et certaines de ses modalités de fonctionnement (arrêts nos 193261 et 193359, en date du 5 octobre 1998, Fédération Française des Pompes Funèbres (FFPF), Association Force Ouvrière Consommateurs (AFOC) : Rec. CE 1998, p. 349), en disposant :
"Considérant qu'il résulte de ces dispositions législatives, éclairées par les débats parlementaires qui ont précédé leur adoption, que la chambre mortuaire est un équipement destiné à permettre aux familles des personnes décédées dans les établissements de santé de disposer du temps nécessaire à l'organisation des obsèques, dès lors que le maintien des corps des défunts dans des locaux destinés aux soins n'est pas envisageable."
Il sera ici rappelé que le Conseil d’État avait déjà affirmé ces éléments par un avis délivré dans le cadre de sa mission consultative (CE, avis, 24 mars 1995, n° 357297 : rapport public 1995, "La Documentation française", 1996, p. 470).
Selon la circulaire DH/AF 1 n° 98-18 du 14 janvier 1999 relative aux chambres mortuaires des établissements de santé dont il sera fait état "infra", en son art. 3.4.1, la zone publique doit comporter un local de présentation des corps.
Elle énonce que, "Bien que l'art. L. 2223-39 précité ne définisse la chambre mortuaire que comme le lieu du dépôt des corps des personnes décédées dans les établissements de santé, il va de soi que les chambres mortuaires doivent comporter un local de présentation des corps pour les familles. Du reste, la loi elle-même ne fait pas, sur ce point, de différence entre les chambres mortuaires et les chambres funéraires puisque l'art. L. 2223-38 du CGCT se borne à préciser que ces dernières ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes décédées".
Il faut convenir que cette formulation de "local de présentation" est assez vague, dans la mesure où elle ne fait pas état de salon de présentation des corps, comme cela est le cas pour les chambres funéraires, art. D. 2223-80, qui dispose :
"Toute chambre funéraire est aménagée de façon à assurer une séparation entre la partie destinée à l'accueil du public, comprenant un ou plusieurs salons de présentation, et la partie technique destinée à la préparation des corps.
L'accès à la chambre funéraire des corps avant mise en bière ou du cercueil s'effectue par la partie technique à l'abri des regards. Les pièces de la partie technique communiquent entre elles de façon à garantir le passage des corps ou des cercueils hors de la vue du public.
Chaque salon de présentation dispose d'un accès particulier vers la partie technique destinée au passage en position horizontale des corps ou des cercueils.
Chaque accès à la partie technique est doté d'un dispositif réservant l'entrée aux personnels dûment autorisés."
Mais, en s’inscrivant dans le cadre des principes énoncés dans l’arrêt du Conseil d’État en date du 5 octobre 1998, il semble opportun de convenir que le local de présentation doit être constitué par un local dans lequel la famille pourra rendre un dernier hommage au défunt, avant la fermeture du cercueil et la levée du corps, et s’y recueillir, ce qui laisse présumer que, si l’aménagement de la chambre funéraire comporte un ou plusieurs locaux assimilables à un salon, celui-ci recevra la qualification de local de présentation et que sa mise à disposition devrait être gratuite.
Cette interprétation est confortée par l’art. 3 de la section I, intitulé "Zone publique", de l’arrêté du 7 mai 2001 définissant les prescriptions techniques applicables aux chambres mortuaires des établissements de santé, dernier alinéa qui dispose :
"Les parties vitrées du local de présentation des corps du défunt qui donnent sur l’extérieur de la chambre mortuaire doivent être en verre non transparent si les vis-à-vis ou le public ont vue à l’intérieur de la chambre mortuaire."
Ce local doit donc, d’une part, dépendre de la zone publique, donc ne point être situé dans les dépendances techniques qui ne lui sont pas accessibles, et, d’autre part, être constitué par une pièce dans laquelle le corps du défunt peut être déposé.
Section II : La zone technique
Art. 4 :
"La zone technique de la chambre mortuaire comprend au moins un local de préparation des corps et doit être équipée, au minimum, de deux cases réfrigérées de conservation des corps par tranche même incomplète de deux cents décès annuels."
Art. 5 :
"Le local de préparation des corps prévu à l'art. 4 du présent arrêté est réservé aux toilettes mortuaires, aux soins de conservation des corps mentionnés au 3° de l'art. L. 2223-19 du CGCT et, le cas échéant, aux prélèvements à fin scientifique en vue de rechercher la cause du décès ainsi qu'aux retraits de prothèses fonctionnant au moyen d'une pile.
L'accès du local de préparation des corps est réservé aux personnes qui réalisent les opérations mentionnées à l'alinéa précédent."
La circulaire DH/AF 1 n° 98-18 du 14 janvier 1999 relative aux chambres mortuaires des établissements de santé (Extraits) est venue préciser ces dispositions :
Art. 3.3.2. Les conditions financières du dépôt et du séjour des corps
Dans une chambre mortuaire :
"Conformément aux dispositions de l'alinéa 1er de l'art. R. 361-40 du Code des communes, le dépôt et le séjour à la chambre mortuaire d'un établissement de santé public ou privé du corps d'une personne qui y est décédée sont gratuits pendant les trois premiers jours suivant le décès. Il faut considérer que ce délai de gratuité commence à courir à l'issue de la dernière journée d'hospitalisation ayant donné lieu à facturation.
Conformément aux dispositions de l'art. 5 du décret précité du 14 novembre 1997, les organes respectivement compétents, selon qu'il s'agit d'établissements de santé publics ou privés, fixent les prix du séjour en chambre mortuaire qui sont susceptibles d'être facturés passé le délai de gratuité prévu au premier alinéa de l'art. R. 361-40 du Code des communes."
Il en résulte que ce n’est que lorsque le délai de gratuité est dépassé, soit trois jours, que les organes respectivement compétents – soit, pour les établissements de santé publics, les conseils d’administration, ou, pour les établissement privés, soit le conseil d’administration, soit, selon délégation du conseil, le directeur général – peuvent fixer un tarif applicable pour le séjour des corps en chambre mortuaire, qui bien évidemment porteront sur les prestations gratuites par détermination réglementaire (art. R. 2223-89 du CGCT).
Le Code de la santé publique est visé dans la circulaire, notamment les articles L. 711-2-1, L. 6111-1, L. 6111-2, lesquels n’ont aucune influence sur l’organisation et le fonctionnement des chambres mortuaires.
Les autres articles R. 44-1 à R. 44-11 du Code de la santé publique, également cités, ont été abrogés par le décret n° 2003-462, art. 4, publié au JORF du 27 mai 2003.
Ils traitaient de l’élimination des déchets d'activités de soins (DASRI), des déchets issus des activités d'enseignement, de recherche et de production industrielle dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire, ainsi que ceux issus des activités de thanatopraxie, et des conditions d’élimination des pièces anatomiques, par incinération.
Il sera ici noté que, sur le fondement des articles L. 541-2 et suivants du Code de l’environnement, il appartient au producteur des déchets de trouver la ou les solutions pour les éliminer. Cette responsabilité est conservée même si le producteur cède ses déchets à un tiers pour leur destruction.
Les textes actuellement applicables aux DASRI résultent du décret n° 97/1048 du 6 novembre 1997, des deux arrêtés du 7 septembre 1999, de l’arrêté du 24 novembre 2003, ainsi que de la circulaire n° DHO5/E4/DGS/SD7B/DRT/CT2/2005/34 du 11 janvier 2005, dont on sait que les thanatopracteurs sont concernés.
En conclusion
Il n’apparaît pas, dans les textes régissant le fonctionnement d’une chambre mortuaire, de possibilité pour l’établissement de santé public ou privé qui doit disposer d’un tel équipement funéraire, qui n’a pas le statut d’équipement relevant des dispositions de l’art. L. 2223-19 définissant les composantes du service extérieur des pompes funèbres, en vertu des dispositions législatives et réglementaires applicables, de facturer la mise à disposition aux thanatopracteurs indépendants habilités ou à ceux salariés d’un opérateur funéraire, également tenu de disposer d’une habilitation préfectorale (Association, entreprise, régie), des locaux techniques dédiés à la préparation des corps, pas plus que de faire supporter une participation financière aux familles pour l’occupation du local de présentation, même si celui-ci possède une architecture assimilable à un salon, lorsqu’il existe, sauf si le délai de gratuité des trois jours est dépassé.
Jean-Pierre Tricon
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