Le ministre de l'Intérieur vient d'être saisi par le sénateur Jean-Pierre Sueur d'une intéressante question relative à la possibilité d'apposer sur un monument funéraire un code QR. La question n'est pas simple au regard de la législation funéraire…
Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l'université de Lille 2 |
Qu'est-ce qu'un code QR ?
Selon le site Wikipedia, le code QR (abréviation de "Quick Response") est un type de code-barres en deux dimensions constitué de modules noirs disposés dans un carré à fond blanc (son avantage est de pouvoir stocker plus d'informations qu'un code à barres). L'agencement de ces points définit l'information que contient le code. Le contenu du code peut être décodé rapidement (d'où le "quick" !) après avoir été lu par un lecteur de code-barres, un téléphone mobile, un smartphone, une tablette électronique ou une webcam (http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_QR).
Quel intérêt sur un monument funéraire ?
Appliqué à un monument funéraire, un tel code permettrait, par exemple, d'accéder à un site Internet consacré au défunt. Selon des informations présentes sur un blog sérieux (http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/04/16/epitaphe-2-0-les-tombes-doivent-elles-etre-connectees/), plusieurs sociétés proposent ce service. Il s'agit selon l'auteur de cet article de créer une plaque "en insérant textes, biographie, poèmes, photos de famille, vidéos", afin de partager "émotions et souvenirs grâce au livre de condoléances numérique".
Du point de vue administratif, il pourrait également constituer une opportune occasion de mettre à la disposition des familles des informations essentielles : date de renouvellement de la concession, adresse où être contacté en cas de dégradation, etc., mais seraient alors livrées au public des informations auxquelles il n’a pas à avoir accès !
Une opportune question posée par le sénateur Sueur
Publiée au Journal officiel (série Questions) du 10 avril 2014 (p. 927), la question (n° 11151) du président de la commission des lois du Sénat est particulièrement claire dans sa formulation et mérite d'être reproduite :
"M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre de l'Intérieur sur l'apparition de nouvelles technologies dans les cimetières et la nécessité de préciser la réglementation qui leur est applicable. Ainsi, depuis quelque temps, des entreprises funéraires proposent d'apposer sur un monument une plaque munie d'un "code QR" qui peut être lu par un téléphone mobile ou une tablette électronique et donne alors accès sur ce dispositif à un site Internet dédié au défunt qui peut comporter un album du souvenir ou d'autres supports multimédias.
Les informations auxquelles renvoie le code "QR" peuvent facilement être modifiées à distance. En outre, contrairement aux épitaphes ou aux inscriptions gravées sur un monument funéraire, elles ne peuvent pas être lues immédiatement, puisqu'il faut recourir à un "smartphone" ou à une tablette électronique pour y avoir accès. Le contrôle du maire sur le respect par ce dispositif de l'ordre public et de la dignité des lieux (absence de publicité commerciale ou de mentions contraires aux bonnes mœurs) est donc rendu plus difficile. Il lui demande, en conséquence, de bien vouloir lui préciser la réglementation que doivent appliquer les maires en ce qui concerne l'éventuelle installation et les modalités de mise en œuvre de tels dispositifs."
Pouvoir de police du maire et "code QR"
Il est possible de rappeler que le maire autorise les inscriptions placées sur les pierres tumulaires et les monuments funéraires (art. R. 2223-8 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT). Il pourra à cet effet interdire une inscription portant manifestement atteinte à l'ordre public dans le cimetière (CE, 4 février 1949, Moulis c/ Maire Sète : Rec. CE 1949, p. 52). Ce pouvoir de contrôler, a priori, les inscriptions, l'autorise légalement à "refuser toute inscription injurieuse ou irrespectueuse de nature à troubler l'ordre (ou ordonner sa suppression)" (J.‑M. Coffy, "Cimetières – Opérations funéraires – Législation et aspects pratiques" : Pédagofiche 2013 p. 36). Cette prérogative s'applique également aux monuments aux morts, qu'ils soient situés dans ou en dehors du cimetière (V. S. Deliancourt et C. Lantero, "Les maires et les monuments dédiés aux morts de la Première Guerre mondiale" : JCP A 2011, 2022).
Il convient évidemment de ne pas confondre ce pouvoir de police et la faculté d'apposer un nom différent de celui du fondateur sur une concession de famille, le juge considérant que cette inscription ne peut intervenir, si tous les ayants cause ne sont pas d'accord, qu'après le décès de la personne ayant droit à inhumation dans cette sépulture (Cass. 1re civ., 12 janvier 2011, n° 09-17.373 : JCP G 2011, act. 75, obs. D. Dutrieux).
Police des inscriptions
Dans leur manuel (E. Aubin et I. Savarit-Bourgeois, "Cimetières et opérations funéraires" : 3e éd. Berger-Levrault 2005, p. 433-435), Mme Savarit-Bourgeois et M. Aubin évoquent des jurisprudences où il s'agissait d'éviter des mentions (sur un monument ou une couronne ; CE 14 janvier 1927 : Rec. CE 1927 p. 44) susceptibles de troubler l'ordre public (la mention "victime innocente" inscrite sur la tombe d'un fusillé à la Libération ; CE 4 février 1949, Dame Moulis c/ Maire de Sète, précitée), ou comportant des injures pour le corps médical (deux décisions du tribunal de Montpellier des 12 juin 1925 et 26 janvier 1926 sont à cet égard citées [p. 434], étant précisé que l'inscription figurait à l'intérieur d'une chapelle). Tel n'est cependant pas le cas s'agissant d'inscrire un texte ayant un caractère religieux, la loi de 1905 permettant d'ailleurs expressément les signes religieux sur les sépultures (CE 30 juillet 1915, Flaget : Rec. CE 1915 p. 261).
Vient à l'esprit la célèbre jurisprudence s'appliquant aux monuments aux morts et évidemment transposable pour un cimetière où il s'agissait d'empêcher le dépôt d'une couronne portant la mention "Aux trois millions d'enfants tués par avortement", puis son retrait, l'association ayant passé outre le refus du maire (CE 28 juillet 1993, n° 107990, Association "Laissez-les vivre – SOS futures mères" : Rec. CE 1993 p. 235 et p. 653).
Une police inefficace
Or, comment peut s'exercer le contrôle du maire avec une telle technique ? Si l'on ne peut s'assurer de la pérennité des informations figurant sur le site Internet (la lecture du code renvoyant à un message d'erreur), même le non-spécialiste de l'informatique se dit que les informations fournies pourraient être modifiées sur le site à la lecture duquel renvoie le "code QR". Comment alors concilier avec un contrôle a priori du maire tel qu'organisé par l'art. R. 2223-8 précité ? Le maire devra-t-il être sollicité pour toute modification de la page (ajout d'une photo, d'un texte…) ? En d’autres termes, ce n’est pas tant le code QR qui pose problème. C’est en effet principalement les modifications du site Internet auquel il renvoie, qu’il faudrait pouvoir efficacement surveiller !
Plus généralement, pour reprendre ce bel aphorisme du grand professeur de droit public qu'est Jacques Georgel, ne doit-on pas considérer que : "L'homme ne reste pas sans émotion à la vue du tombeau. Le cimetière est un lieu où doit se manifester le sentiment le plus pur" (J. Georgel "Notre dépouille mortelle" : AJDA 1963, p. 607).
Le cimetière est-il le lieu à privilégier en matière de gadget électronique ? La technologie, quelle qu'elle soit, ne doit-elle pas trouver des limites… d'autant plus quand le droit semble impuissant à éviter les abus…
Damien Dutrieux
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