La détermination des infections transmissibles et leurs conséquences sur le droit funéraire : l'urgence attachée à l'intervention d'un nouvel arrêté du ministre de la Santé permettant de clarifier la situation.
Jean-Pierre Tricon, avocat au barreau de Marseille |
Depuis l'intervention du décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011, en son art. 6, il est prescrit que l'art. R. 2213-2-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) devient l'art. R. 2213-2-2, et qu'avant le paragraphe 1 intitulé : "Soins de conservation" de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre III du titre Ier du livre II de la deuxième partie, il est inséré un art. R. 2213-2-1 ainsi rédigé :
Un arrêté du ministre chargé de la Santé, pris après avis du Haut Conseil de la santé publique, fixe :
"a) La liste des infections transmissibles qui imposent une mise en bière immédiate dans un cercueil hermétique, répondant aux caractéristiques définies à l'art. R. 2213‑27, et sa fermeture ;
"b) La liste des infections transmissibles qui imposent une mise en bière immédiate dans un cercueil simple, répondant aux caractéristiques définies à l'art. R. 2213-25, et sa fermeture ;
"c) La liste des infections transmissibles pour lesquelles, si elles sont suspectées, il peut être dérogé, dans les conditions prévues à l'art. R. 2213-14, au délai maximum de transport de corps avant mise en bière, afin de permettre une autopsie médicale au sens de l'art. L. 1211-2 du Code de la santé publique ;
"d) La liste des infections transmissibles imposant, le cas échéant, la mise en bière pour le transport du corps s'il a lieu avant l'expiration du délai mentionné à l'art. R. 2213-11 ;
"e) La liste des infections transmissibles qui interdisent la pratique des soins de conservation."
Or, force est de constater que, malgré l'ancienneté relative de ce décret, aucun arrêté du ministre de la Santé, pris après avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), n'est à ce jour intervenu.
Cette situation est préjudiciable à la mise en œuvre des dispositions réglementaires, dans la mesure où les médecins et professionnels du funéraire doivent continuer à décrypter le modèle de certificat de décès, toujours en vigueur, tel qu'instauré par l'arrêté ministériel du 24 décembre 1996, mis en forme avant l'arrêté du ministre chargé de la Santé du
20 juillet 1998, définissant les maladies contagieuses donnant lieu à mise en bière immédiate en cercueil hermétique et interdisant la pratique de soins de conservation des corps, dont on sait que le Conseil d'État, dans sa décision du 29 novembre 1999, avait annulé l'art. 1er de cet arrêté du
20 juillet 1999, en tant qu'il prescrivait la fermeture immédiate et définitive du cercueil hermétique dès la mise en bière, et son art. 2e, considérant que l'ajout de l'hépatite A, de la maladie de Creutzfeldt-Jacob et des états septiques graves à la liste des maladies contagieuses, était illégal.
La question essentielle que l'on pouvait se poser était celle qui animait certains professionnels du funéraire, à savoir : les soins de conservation pouvaient-ils pour autant être pratiqués sans risque sur les corps décédés de telles affections ?
Devant cette situation, l'outil dont disposent les médecins chargés de la constatation du décès pour prescrire des mesures d'interdiction afin de protéger l'hygiène et la santé publique, et d'éviter, notamment, aux thanatopracteurs d'être exposés à des risques infectieux, réside uniquement dans le modèle de certificat de décès initié par l'arrêté ministériel du 14 décembre 1996, établi à une époque où était en vigueur l'arrêté ministériel du
17 novembre 1986 qui fournissait une liste claire et exhaustive des maladies contagieuses devant donner lieu à mise en bière immédiate, soit en cercueil hermétique, soit en cercueil simple, et interdisant la pratique des soins de conservation.
Il est manifeste que, désormais, cette situation, que nous qualifierons d'archaïque devant les avancées de la médecine, devrait inciter les autorités gouvernementales à édicter l'arrêté du ministre de la Santé, pris après avis du HCSP, qui devait fixer la liste des infections transmissibles prévues à l'art.
R. 2213-2-1 du CGCT.
À cet égard, il est utile de se reporter à deux documents qui démontrent que le HCSP s'est manifestement plongé dans son travail correspondant à la mission impartie par le décret du
28 janvier 2011.
Avant ce décret, un groupe de travail, constitué par la Commission Spécialisée des Maladies Transmissibles (CSMT), suite à la saisine du Haut Conseil par le directeur général de la Santé, avait rendu un avis en date du 22 avril 2009.
À l'issue des débats, le groupe de travail, après synthèse des débats, avait préconisé :
1° À propos de la mise en bière immédiate dans un cercueil hermétique avec épurateur de gaz et l'interdiction de soins de conservation de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- Orthopoxviroses, choléra, fièvres hémorragiques, peste et charbon.
2° Pour la mise en bière immédiate dans un cercueil simple et l'interdiction des soins de conservation pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- rage, tuberculose active non traitée ou traitée pendant moins d'un mois, toute maladie émergente infectieuse transmissible (SRAS, grippe aviaire, etc.), sur saisine du HCSP.
3° La présentation possible du corps, sans mise en bière immédiate, suivie d'une mise en bière dans un cercueil simple, mais l'interdiction de soins de conservation de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- Hépatites virales B, C, D, maladie de Creutzfeldt-Jacob, infection VIH, et tout état septique grave sur prescription du médecin traitant.
En revanche, le groupe de travail ne proposait pas de pratiques particulières pour le mode de transport des corps des personnes décédées des pathologies listées ci-dessus.
Pour permettre une autopsie à visée diagnostique, le HCSP recommandait que, pour les personnes décédées et atteintes d'une maladie de Creutzfeldt-Jacob, le délai de transport après le décès puisse être de 72 h.
Puis, au-delà des soins de conservation et dans le cadre de la protection des employés funéraires, le groupe de travail insistait sur les propositions générales suivantes :
- instaurer un module spécifique de formation aux risques biologiques et à leur gestion pour l'obtention du diplôme de thanatopracteur,
- respecter la pratique des vaccinations professionnelles, en particulier la vaccination contre l'infection par le virus de l'hépatite B.
- respecter de façon stricte les précautions universelles édictées en milieu de soins pour les malades atteints de ces mêmes pathologies, en particulier le port d'une protection oculaire et d'une protection respiratoire, avec, notamment, un masque FFP1 systématiquement porté et non un simple masque chirurgical.
Et pour tous les soins de corps, quelle que soit la mention portée sur le certificat de décès :
- encourager, en cas de décès à l'hôpital et si des soins de corps sont envisagés, la réalisation de ceux-ci en milieu hospitalier et non pas au domicile,
- encourager en cas de décès à domicile la réalisation des soins de conservation de corps en milieu adapté (entreprise funéraire offrant des conditions de travail et d'hygiène adaptées),
- améliorer la formation à la rédaction du certificat médical de décès lors du cursus médical et lors de l'exercice médical, afin que soient fournies des informations exactes et pertinentes.
Ces recommandations n'ont pas été réellement suivies d'effets positifs, puisque aucune modification du certificat médical de décès n'a eu lieu, malgré l'ancienneté de ses fondements textuels, alors que les préconisations du groupe de travail auraient dû inciter le ministère de la Santé à une harmonisation du document au regard des travaux de la Commission Spécialisée des Maladies Transmissibles, notamment au plan de l'insertion d'une rubrique "Interdiction de la pratique des soins de conservation", voire une opposition au transport des corps avant mise en bière des corps des personnes décédées à la suite d'une infection transmissible.
Le seul point positif que nous retiendrons concerne la formation des thanatopracteurs, puisque l'arrêté du
18 mai 2010, pris le même jour que le décret réformant celui du 1er avril 1994 relatif à la formation des candidats aux épreuves théoriques du diplôme national, a inséré une matière nouvelle dénommée "Sécurité sanitaire, évaluation des risques sanitaires" d'une durée minimale de 15 h.
Pour autant, la situation était-elle figée avec ces propositions du HCSP du 22 avril 2009 ?
Tel n'est pas le cas. En effet, dans un avis en date du 20 décembre 2012, le HCSP a produit des Recommandations pour les conditions d'exercice de la thanatopraxie.
Dans le préambule de ces Recommandations, le HCSP considérait que les soins de thanatopraxie sont des actes invasifs, nécessitant l'utilisation de produits toxiques, voire cancérogènes. Quelles que soient les conditions dans lesquelles ils sont réalisés, ils génèrent un risque pour le thanatopracteur. L'objectif du HCSP est de proposer un encadrement des conditions de travail des thanatopracteurs tel que ce risque soit réduit à un niveau aussi faible que possible.
Le HCSP a pris la pleine mesure de l'importance de l'expansion des soins de conservation en France, puisqu'il énonçait dans son avis des chiffres éloquents : 200 000 actes environ par an, sur un nombre assez constant de 540 000 décès, réalisés par environ
1 000 thanatopracteurs en exercice, dont près de la moitié sont des professionnels indépendants, ne bénéficiant pas d'un suivi en médecine du travail.
Après avoir décrit les gestes permettant la pratique des soins somatiques, le HCSP exposait l'existence de risques infectieux.
Il était rappelé que nombre d'infections ne sont pas connues des patients ou du corps médical. On estime ainsi qu'environ 90 000, 155 000 et 29 000 sujets sont porteurs chroniques méconnus, respectivement du virus de l'hépatite C (CHC), du virus de l'hépatite B (VHB) et du VIH.
La survie de la plupart des agents infectieux est très allongée dans les produits biologiques et il faut considérer par principe que le risque de contamination est le même pour un patient décédé que pour un malade vivant. Les risques les plus importants sont les risques d'exposition au sang (piqûre ou coupure) et aux liquides organiques ainsi que les risques d'aérosolisation. Deux études ont montré que le risque d'accident d'exposition liée au sang et aux liquides biologiques était important chez les thanatopracteurs (des nombres de piqûres sont énoncés, relativement importants), engendrant une infection acquise professionnellement déclarée chez 17 % des thanatopracteurs (89 sur un nombre recensé d'accidents professionnels s'élevant à 539), dont un tiers par le virus de l'hépatite B, et quelques observations de tuberculose active parfois mortelles.
Malgré les améliorations apportées par l'arrêté du 18 mai 2010, la formation initiale des thanatopracteurs est jugée insuffisante, notamment en matière d'hygiène et de sécurité, puisqu'elle ne comporte que 10 à 20 h, sur les 195 h de formation théorique requises pour l'obtention du diplôme de thanatopracteur.
L'avis du HCSP est particulièrement accablant pour les autorités publiques, car il considère que la formation initiale des thanatopracteurs ne peut leur permettre d'appréhender correctement les risques et de prendre les mesures nécessaires pour s'en prémunir.
Les risques mis en avant par le HCSP sont nombreux, voire inquiétants
1° Les durées de survie des agents infectieux dans les tissus après le décès d'un sujet et du court délai après le décès au cours duquel sont réalisés les soins de conservation, et donc de l'infectiosité de ces agents dans les cadavres qui doit être considérée comme équivalente à celle rencontrée chez un patient vivant ;
2° De l'absence avérée de fiabilité de nombreux certificats de décès ;
3° De la fréquente méconnaissance par les sujets et par leur médecin de l'infection par de nombreux agents biologiques, en particulier par les virus des hépatites et le VIH ;
4° De la toxicité des produits chimiques manipulés ;
5° Des risques biologiques et chimiques avérés pour les thanatopracteurs ;
6° De l'insuffisance de la formation des thanatopracteurs à la prévention des risques professionnels et à la gestion des déchets d'activités de soins à risque infectieux ;
7° Des conditions de travail des thanatopracteurs avec des différences majeures entre celles offertes, par exemple, par les funérariums et les chambres mortuaires par rapport à celles rencontrées au domicile des personnes décédées ;
8° Du caractère parfois obligatoire des soins de conservation.
Les propositions du HCSP
Dans son avis en date du 20 décembre 2012, validé à l'unanimité par la Commission Spécialisée Maladies Transmissibles.
Curieusement, le HCSP ne recommande pas l'établissement d'un nouveau formulaire de certificat médical de constatation du décès, mais apporte sa pierre à l'édifice d'une reconstruction, en énonçant les conditions spécifiques de la mise en bière immédiate et des interdictions de réaliser des soins de conservation des corps.
Les préconisations sont les suivantes
1° Mise en bière immédiate dans un cercueil hermétique avec épurateur de gaz et interdiction des soins de conservation de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- Orthopoxviroses, choléra, fièvres hémorragiques, peste.
2° Mise en bière dans un cercueil hermétique avec fermeture définitive du cercueil et interdiction de soins de conservation de corps pour les personnes décédées du charbon.
3°Mise en bière dans un cercueil simple et interdiction de soins de conservation de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- Maladie de Creutzfeldt-Jacob, rage, tuberculose active non traitée pendant moins d'un mois, et toute maladie émergente infectieuse transmissible (SRAS, grippe aviaire…) sur saisine du HCSP.
Sur ces fondements, le ministère de la Santé, qui, bien évidemment, n'ignore pas ces Recommandations, dispose désormais des outils pour procéder à une refondation du modèle de certificat médical de décès actuellement en vigueur et manifestement obsolète, et le mettre en parfaite cohérence avec les dispositions de l'art. R. 2213‑2‑1 du CGCT.
Il en va de même pour la pratique des soins de conservation des corps pour certaines affections dites transmissibles, qui ne sont pas énumérées ci-dessus, et pour lesquelles le HCSP recommande la levée de l'interdiction des soins de conservation de corps pour les personnes décédées des pathologies suivantes :
- infection par le VIH (ce qui tend à confirmer que le HCSP considérait à la date de son avis, le 20 décembre 2012, que les affections à VIH interdisaient bien la pratique des soins somatiques, contrairement à certaines analyses) ;
- infection par le virus des hépatites B ou C.
D'autres mesures dites "de précaution ou d'information" sont aussi énoncées dans l'avis, relativement contraignantes pour l'exercice de la profession de thanatopracteur, dont principalement l'information des familles sur les soins proposés, la réalisation des actes de thanatopraxie uniquement dans des locaux parfaitement adaptés à cette activité (exclusion des domiciles et de certaines maisons de retraite), l'observation des mesures de précaution universelles par les thanatopracteurs, l'abolition du formaldéhyde et sa substitution par un produit non cancérogène, l'amélioration de la formation initiale des thanatopracteurs à l'hygiène et à la sécurité, leur vaccination systématique contre l'hépatite B et un suivi médical renforcé.
Au bénéfice de tout ce qui précède, force est d'admettre qu'il est difficilement concevable que le Gouvernement et le ministère de la Santé, principalement concerné, n'aient pas réagi en mettant en adéquation le modèle de certificat de décès avec ces Recommandations du HCSP, d'autant plus que les attentes du monde médical, mais aussi de la plupart des professionnels du funéraire, sont nombreuses, l'application de la réglementation actuelle des infections transmissibles exigeant plus de précision et de transparence.
Jean-Pierre Tricon
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