Le Conseil d'État vient de casser un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai qui avait annulé l'autorisation de création d'une chambre funéraire.
Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l'université de Lille 2 |
Rappel sur la définition de la chambre funéraire
La chambre funéraire a pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes décédées (art. L. 2223-38 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ; voir notamment, "Direction générale des collectivités locales", "Le service extérieur des pompes funèbres" : coll. "Décentralisation", ministère de l'Intérieur, 1997, p. 58). En pratique, cet équipement comporte des cases réfrigérées destinées à la conservation des corps, mais également des salons de présentation (art. D. 2223-80 et s.) permettant aux proches de venir se recueillir près du corps avant son dernier sommeil. Ces chambres, au nombre de 300 en 1992 (JO Sénat CR, 22 déc. 1992, p. 4632) et 1 015 en 1997, se sont développées sur le territoire national en raison de la multiplication des décès à l'hôpital, de l'exiguïté des logements contemporains et de la réticence des citadins à voir revenir les corps à domicile.
Alors que la gestion d'une chambre funéraire relevait d'un monopole communal et n'était pas au nombre des éléments du service extérieur des pompes funèbres (CE, sect. soc., 1er juill. 1976, avis n° 316650 ; CE, 4 mai 1998, n° 171517, Ville Marseille : JurisData n° 1998-050550), le législateur a souhaité inclure l'utilisation de cet équipement et sa gestion dans la définition donnée au service extérieur des pompes funèbres dans la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 (CE, sect. soc. et int. réunies, 24 mars 1995, avis n° 357297 : Rapport public du Conseil d'État 1995, n° 47, p. 470).
Or, un tel choix impliquait nécessairement de s'assurer que la libre concurrence instituée par le législateur entre les opérateurs habilités (art. L. 2223-23 du CGCT) ne soit aussitôt remise en cause par la création de "monopoles de fait" créés au profit des opérateurs possédant un tel équipement au détriment de ceux qui en sont dépourvus et ne peuvent donc offrir aux familles un lieu d'accueil dans l'attente de l'inhumation ou la crémation. En effet, va importer d'instituer une "neutralité" de la chambre funéraire, c'est-à-dire de faire en sorte que cet équipement, comme le crématorium (ce dernier, contrairement à la chambre funéraire, est placé toutefois sous le régime du monopole public en 1993 : art. L. 2223-40), soit utilisable par tous les opérateurs funéraires (comme au temps du monopole communal avant 1993) et non pas uniquement au profit de son propriétaire ou de son gestionnaire.
Il va donc s'agir d'imposer au gestionnaire de la chambre des obligations spécifiques destinées à faire en sorte que, bien qu'opérateur habilité pour le service extérieur des pompes funèbres, ce dernier non seulement laisse librement accéder à sa chambre d'autres opérateurs mais encore ne puisse en quelque sorte "capter" une clientèle qui doit être parfaitement informée du caractère "collectif" de cet équipement qu'est la chambre funéraire (plus prosaïquement, il importe de noter que la création d'une chambre funéraire implique un investissement important se situant le plus souvent entre 150 000 et 300 000 € et donc n'est pas à la portée de tous les opérateurs de pompes funèbres).
Par ailleurs, cette création implique une autorisation préfectorale. Or, la création d'une chambre funéraire avait été déclarée illégale en appel et la décision faisait l'objet d'un pourvoi en cassation. En droit français, le juge de cassation est juge du droit, il ne traite en général pas l'affaire au fond.
Voici un bel exemple avec cet arrêt du 6 mars 2014 du Conseil d'État. Dans cette affaire, la solution n'est pas donnée, en ce sens que l'on ne sait toujours pas si l'arrêté préfectoral autorisant la chambre funéraire est ou non légal. En revanche, on sait que l'annulation de l'arrêté par le juge de la cour administrative d'appel de Douai était illégale.
Rappel de la décision d'appel cassée par le Conseil d'État.
Dans son arrêt du 23 décembre 2011 (CAA Douai, 23 décembre 2011, no 11DA00629, M. et Mme Romaric A.), la cour administrative d'appel de Douai avait décidé que :
"(...) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la construction de la chambre mortuaire envisagée en limite séparative des propriétés de la SCI B et des époux A est, compte tenu de son implantation en fond d'impasse et en proximité immédiate de l'immeuble d'habitation de ces derniers, de nature à leur créer une gêne excédant les inconvénients normaux de voisinage ; que, par suite, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en délivrant l'autorisation contestée ; (…)"
Cette décision méritait de retenir l'attention en ce sens qu'elle informait clairement de l'étendue l'obligation pour le préfet de s'assurer de l'absence de trouble à l'ordre public lors de l'implantation d'une chambre funéraire. Or, la proximité d'habitations et l'existence d'une impasse constituaient donc pour le juge administratif des éléments induisant indubitablement un tel trouble.
Dans un jugement en date du 20 juin 2006 (n° 0403416), le tribunal administratif de Nice, au contraire, avait validé la décision du préfet malgré les problèmes de circulation (chambre prévue pour recevoir huit corps et disposant de quinze places de stationnement) :
"[...] que les convois funéraires suscités par un tel équipement sont généralement inférieurs à 10 véhicules et que, comme le rappelle la société bénéficiaire, la famille et les amis des personnes décédées se rassemblent essentiellement sur le lieu de culte ou d'inhumation ; que par suite, le préfet n'a commis aucune erreur d'appréciation en estimant que la chambre funéraire n'était pas susceptible de créer des difficultés de stationnement aux abords de l'établissement de nature à porter atteinte à l'ordre public ; [...]".
Or, le raisonnement de la cour d'appel de Douai n'est pas accepté par le Conseil d'État.
Définition du trouble à l'ordre public par le Conseil d'État
Le Conseil d'État considère que la gêne provoquée aux voisins par la présence de la chambre funéraire ne peut caractériser, en elle-même, les conditions visées dans l'article R. 2223-74 du CGCT. Ce texte précise en effet que "l'autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique".
Le Conseil d'État précise très clairement que la cour ne pouvait se contenter de relever l'existence d'une gêne sans rechercher si la gêne ainsi causée était, compte tenu de son importance, de nature à porter atteinte à l'ordre public ou à mettre en danger la salubrité publique.
Ce n'est qu'une fois ces éléments recherchés que le juge peut annuler l'autorisation préfectorale en décidant que la décision d'autorisation litigieuse était, pour ce motif, entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Cet arrêt est important puisque, si l'on admet que la gêne des voisins suffit à rendre illégale l'autorisation, il va être mis un frein important à la création de cet équipement indispensable à l'exécution de ce service public qu'est le service extérieur des pompes funèbres.
Damien Dutrieux
Annexe : Vu les autres pièces du dossier ; 2. Considérant qu'aux termes de l'art. L. 2223-19 du CGCT : "Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public comprenant : / (...) 6° La gestion et l'utilisation des chambres funéraires (...). / Cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée (...). Elle peut être également assurée par toute autre entreprise ou association bénéficiaire de l'habilitation prévue à l'art. L. 223-23" ; que l'art. L. 2223-23 de ce Code dispose que l'habilitation est accordée par le représentant de l'État dans le département aux régies, entreprises ou associations qui fournissent aux familles, à titre habituel, l'une des prestations énumérées à l'art. L. 2223-19 ; qu'en application de l'art. L. 2223-25 du même Code, cette habilitation peut être suspendue ou retirée par le préfet en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique ; qu'aux termes du premier alinéa de l'art. L. 2223-38 du même Code : "Les chambres funéraires ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes décédées" ; qu'aux termes de l'art. R. 2223-74 du même Code, dans sa rédaction alors applicable : "La création ou l'extension d'une chambre funéraire est autorisée par le préfet. / Celui-ci fait procéder à une enquête de "commodo et incommodo" et consulte le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques. Il recueille l'avis du Conseil municipal, qui se prononce dans le délai de deux mois. / La décision intervient dans le délai de quatre mois suivant le dépôt de la demande. En l'absence de notification de la décision à l'expiration de ce délai, l'autorisation est considérée comme accordée. / L'autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique. / Dans les mêmes cas, le préfet peut, après mise en demeure, ordonner la fermeture provisoire ou définitive de la chambre funéraire. Le maire de la commune concernée est informé" ; |
Abstrats : 135-02-03-03-03 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Services communaux. Opérations funéraires. - arrêté préfectoral autorisant la création d'une chambre funéraire en proximité immédiate d'une habitation - illégalité au seul motif que, compte tenu de sa localisation, cette construction est de nature à créer une gêne excédant les inconvénients normaux de voisinage - absence - nécessité pour le juge, dans un tel cas, de rechercher si la gêne causée est, compte tenu de son importance, de nature à porter atteinte à l'ordre public ou à mettre en danger la salubrité publique et si la décision d'autorisation est, pour ce motif, entachée d'erreur manifeste d'appréciation[rj1]. Résumé : 135-02-03-03-03 Le juge ne peut regarder comme illégal un arrêté préfectoral autorisant la création d'une chambre funéraire au seul motif que, compte tenu de sa localisation en proximité immédiate d'une habitation, cette construction est de nature à créer pour les occupants de cette habitation une gêne excédant les inconvénients normaux de voisinage, sans rechercher si la gêne ainsi causée est, compte tenu de son importance, de nature à porter atteinte à l'ordre public ou à mettre en danger la salubrité publique et si la décision d'autorisation litigieuse est, pour ce motif, entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Nota : [RJ1] Comp. CE, 22 avril 1988, Comité d'action pour la sauvegarde du canton de Montmorency-Groslay, n° 78144, T. p. 599-662-928-976. |
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