Annexe
Cour administrative d’appel de Lyon, 6e chambre, 9 janvier 2014, n° 13LY01135
Vu la requête, enregistrée le 7 mai 2013, présentée pour M. et Mme E..., domiciliés … ; M. et Mme E... demandent à la Cour : 1°) d’annuler le jugement n° 0904903 du 4 avril 2013 en tant que le Tribunal administratif de Grenoble a limité à une somme de 1 000 € l’indemnité que le SDIS de la Drôme doit verser à chacun d’eux en conséquence des fautes commises lors de l’établissement d’un certificat de décès de leur fille Magali ; 2°) de condamner le SDIS de la Drôme à leur verser une indemnité totale de 50 000 €, soit 25 000 € pour chacun d’eux ; 3°) de mettre à la charge du SDIS de la Drôme une somme de 1 500 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ainsi que les dépens ; Ils soutiennent que : - le médecin du SDIS de la Drôme a commis une faute lourde en levant l’obstacle médico-légal mentionné dans un certificat médical suffisamment complet établi par un médecin du SAMU intervenu précédemment sur les lieux du décès de leur fille et en établissant un certificat de décès sans obstacle sans prendre contact avec ce médecin du SAMU, ni avec le maire et les parents, et en se contentant de reprendre les propos du mari de leur fille, d’autant que le visage de celle-ci présentait un hématome ; - il a ainsi méconnu des obligations légales, professionnelles et déontologiques ; - ce médecin du SDIS ne pouvait également lever l’obstacle médico-légal alors qu’il a, au cours de ses auditions, indiqué qu’il aurait conclu à un suicide par absorption de médicaments et d’alcool et que l’obstacle médico-légal s’impose en la présence supposée d’un suicide ; - cette faute est de nature à engager la responsabilité du SDIS et leur a causé un préjudice moral important du fait que les causes et les circonstances du décès de leur fille ne seront jamais connues et que cette situation est directement imputable à cette faute, n’ayant découvert les agissements de ce médecin qu’a posteriori ; - le montant accordé par le Tribunal est anormalement bas, la perte de chance de connaître la mort de leur fille leur occasionnant un préjudice considérable qu’ils évaluent à 25 000 € pour chacun d’eux ; Vu le jugement attaqué ; Vu l’ordonnance en date du 2 septembre 2013 fixant la clôture d’instruction au 18 septembre 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du Code de justice administrative ; Vu le mémoire, enregistré le 16 septembre 2003, présenté pour le SDIS de la Drôme qui conclut : - au rejet de la requête ; - par la voie de l’appel incident, à l’annulation du jugement du 4 avril 2013 en tant que le Tribunal administratif de Grenoble l’a condamné à verser à M. et à Mme E... une somme de 1 000 € ; - à ce que soit mise à la charge de M. et Mme E... une somme de 1 800 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ; Il soutient que : - la requête est irrecevable dès lors que les requérants ont introduit leur recours au nom de leur fille décédée et qu’ils réclament l’indemnisation de leur propre préjudice ; - aucune faute n’a été commise par le médecin du SDIS de nature à engager sa responsabilité ; - à titre infiniment subsidiaire, la supposée faute n’a entraîné aucun préjudice pour les requérants et les sommes réclamées sont excessives ; Vu l’ordonnance en date du 17 septembre 2013 reportant la clôture d’instruction au 11 octobre 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du Code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le Code civil ; Vu le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ; Vu le Code de procédure pénale ; Vu le Code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ; Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 19 décembre 2013 : - le rapport de M. Segado, premier conseiller ; - les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ; - et les observations de Mme A...pour le SDIS de la Drôme ; 1. Considérant que M. et Mme E... ont présenté au SDIS de la Drôme une réclamation en date du 22 juin 2009, reçue le 26 juin 2009, tendant au versement à chacun d’eux d’une indemnité de 50 000 € en réparation du préjudice moral résultant pour eux des fautes commises par le Dr Z, médecin sapeur-pompier, lors de l’établissement du certificat médical de décès de leur fille Magali ; que le SDIS de la Drôme a rejeté cette réclamation par une lettre du 28 août 2009 ; que les intéressés ont saisi le 28 octobre 2009 le Tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant à la condamnation de cet établissement public à verser à chacun cette indemnité de 50 000 € ; que, par un jugement du 4 avril 2013, le Tribunal administratif de Grenoble, estimant que ce médecin a commis des fautes dans l’exercice de sa mission au sein du SDIS, de nature à engager la responsabilité de cet établissement, a condamné le SDIS à verser une indemnité de 1 000 € chacun à M. et Mme E...; que ceux-ci relèvent appel dudit jugement en tant qu’il a limité, pour chacun, le montant de l’indemnité à 1 000 €, les requérants réclamant désormais en appel le versement d’une indemnité de 25 000 € chacun ; que le SDIS, par la voie de l’appel incident, conteste sa condamnation ; Sur la fin de non-recevoir opposée par le SDIS de la Drôme : 2. Considérant que M. et Mme E... ont demandé la réparation du préjudice moral tenant à l’incertitude sur les causes de la mort de leur fille ; que, comme le soutient le SDIS de la Drôme, M. et Mme E..., qui ont mentionné tant dans la première page de leur requête que dans leur demande devant le Tribunal, qu’ils agissent pour le compte de leur fille décédée, ne peuvent se prévaloir de leur qualité d’ayants droit de leur fille pour obtenir la réparation d’un préjudice moral qui leur est propre, alors que, par ailleurs, Mme B... E... n’a pu subir un tel préjudice moral avant son décès ; qu’il résulte toutefois des écritures des requérants tant en première instance qu’en appel, qu’ils ont entendu également agir en leur nom personnel pour obtenir la réparation de ce préjudice moral, qu’ils ont personnellement subi en leur qualité de parents ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le SDIS de la Drôme, tirée de ce que leur qualité d’ayants droit de leur fille ne leur permet pas de demander réparation de leur préjudice personnel, ne peut être accueillie ; Sur la responsabilité : 3. Considérant qu’aux termes de l’art. L. 2223-42 du CGCT : "L’autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu’au vu d’un certificat, établi par un médecin, attestant le décès./ Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la Santé, précise la ou les causes de décès (...)" ; qu’aux termes de l’art. R. 2213-1-1 du même Code : "Le certificat prévu par l’art. L. 2223-42 comprend : 1° Un volet administratif comportant : a) La commune de décès ; b) Les date et heure de décès ; c) Les nom, prénoms, date de naissance, sexe et domicile du défunt ; d) Les informations nécessaires à la délivrance de l’autorisation de fermeture du cercueil et à la réalisation des opérations funéraires ; 2° Un volet médical relatif aux causes de décès, qui ne comporte ni le nom ni le prénom de la personne décédée". ; qu’aux termes de l’art. R. 2213-17 du même Code, dans sa rédaction alors applicable : "La fermeture du cercueil est autorisée par l’officier d’état civil du lieu de décès ou, en cas d’application du premier alinéa de l’art. R. 2213-7, par l’officier d’état civil du lieu de dépôt du corps, dans le respect des dispositions de l’art. L. 2223-42./ L’autorisation, établie sur papier libre et sans frais, est délivrée sur production d’un certificat du médecin chargé par l’officier d’état civil de s’assurer du décès et attestant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal". ; qu’aux termes de l’art. R. 2213-34 dudit Code : "La crémation est autorisée par le maire de la commune du lieu du décès ou, s’il y a eu transport du corps, du lieu de la mise en bière./ Cette autorisation est accordée sur les justifications suivantes : 1° L’expression écrite des dernières volontés du défunt ou, à défaut, la demande de toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et justifie de son état civil et de son domicile ; 2° Un certificat du médecin chargé par l’officier d’état civil de s’assurer du décès et affirmant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal (...)./ Lorsque le décès pose un problème médico-légal, la crémation ne peut avoir lieu qu’après l’autorisation du parquet qui peut subordonner celle-ci à une autopsie préalable, effectuée par un médecin légiste choisi sur la liste des experts et aux frais de la famille. (...)" ; qu’il résulte de ces dispositions que la fermeture d’un cercueil et la crémation ne peuvent être autorisées qu’au vu du certificat médical de décès prévu à l’art. L. 2223-42 précité, ne mentionnant pas de problème médico-légal ; 4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le 22 janvier 2007 vers 19 h, M. D... a découvert son épouse, Mme B...E... épouse D..., alors âgée de 43 ans, sans connaissance à leur domicile ; qu’il a alerté les secours ainsi que les parents de son épouse ; qu’une équipe du SDIS de la Drôme et une équipe du service d’aide médicale d’urgence du centre hospitalier de Valence sont intervenues ; que le Dr Z, médecin sapeur-pompier du SDIS de la Drôme, et le médecin urgentiste du SAMU, n’ont pas pu réanimer Mme E... ; qu’avec l’accord du Dr Z, le médecin urgentiste a rédigé le certificat médical de décès, dans lequel il a mentionné un obstacle médico-légal ; que ce médecin a dû rapidement quitter les lieux, avant l’arrivée des gendarmes, pour assurer une autre intervention ; que le Dr Z, resté sur place, a substitué à ce certificat médical un autre certificat médical de décès, rédigé et signé par lui, ne comportant plus la mention d’un obstacle médico-légal ; que ce nouveau certificat de décès a permis la fermeture du cercueil et la crémation du corps, demandée par l’époux de Mme E... ; 5. Considérant que les requérants font valoir que plusieurs témoins ont attesté avoir vu un hématome sur le visage de Mme B... E... dans les jours qui ont suivi son décès et que, compte tenu de cet élément, le Dr Z ne pouvait rédiger un certificat de décès sans mentionner l’existence d’un obstacle médico-légal ; que toutefois, il résulte du rapport d’intervention du SAMU, des déclarations du médecin urgentiste de ce service intervenu le jour du décès, du représentant des pompes funèbres et des gendarmes qu’aucune de ces personnes, non plus que le Dr Z, n’a décelé, le jour du décès, de trace suspecte ou de lésion apparente sur le corps de la défunte ; qu’aucun autre élément du dossier ne permet d’établir la présence apparente d’un hématome le jour du décès ; qu’ainsi, M. et Mme E... ne sauraient reprocher au Dr Z de ne pas avoir tenu compte d’une telle circonstance ; 6. Considérant en revanche que, comme l’exposent les requérants, le médecin du SDIS ne pouvait substituer au certificat de décès comportant la mention "obstacle médico-légal" établi et signé par le médecin urgentiste du SAMU, un certificat de décès ne comportant pas une telle mention, sans en référer préalablement au médecin ayant établi le certificat initial et sans obtenir son accord, quand bien même le certificat initial n’aurait pas été complet ; que les dispositions du Code de déontologie des médecins et de l’art. R. 4127 du Code de la santé publique relative à l’indépendance des médecins dans l’établissement des diagnostics, invoquées par le SDIS de la Drôme, ne sauraient justifier la substitution de certificats de décès ainsi effectuée ; 7. Considérant que le SDIS fait également valoir, pour justifier la levée de l’obstacle médico-légal, que celle-ci résulte d’un certain nombre de constatations que le Dr Z avait effectuées, mais que le médecin du SAMU n’avait pu entreprendre dès lors qu’il avait été appelé pour une autre intervention ; que toutefois, il résulte de l’instruction que l’âge de la victime, l’anorexie dont elle souffrait, la présence sur place d’alcool et de médicaments prescrits pour la dépression, alors qu’elle avait été très affectée par le décès de sa fille, étaient au nombre des éléments, dont le Dr Z avait connaissance au moment de la rédaction du certificat, qui pouvaient permettre de penser que le décès n’avait pas une cause naturelle ; que le Dr Z a d’ailleurs déclaré, lors de son audition par les services de la gendarmerie nationale, avoir "conclu à un suicide par alcool et médicaments" ; 8. Considérant qu’il résulte enfin des instructions figurant au dos du certificat médical de décès dont le modèle a été défini par l’arrêté ministériel du 24 décembre 1996 pris notamment en application de l’art. L. 2243- 2 du CGCT, ainsi que des dispositions de l’art. 81 du Code civil, que le suicide constitue une hypothèse de mort violente constitutive d’un obstacle médico-légal au sens des dispositions précitées, conduisant à ce que le corps soit mis "à la disposition de la justice", l’inhumation et la crémation ne pouvant ainsi avoir lieu que sur autorisation du procureur de la République, lequel pouvait, en l’espèce, décider de procéder à des investigations afin de rechercher les causes du décès ; 9. Considérant que, dans ces conditions, en établissant un certificat médical de décès ne portant pas de mention de l’existence d’un obstacle médico-légal et en substituant ce certificat à celui initialement établi et signé par un autre médecin, qui comportait la mention d’un tel obstacle, le médecin du SDIS de la Drôme a commis une faute ; 10. Considérant que la faute personnelle commise par le Dr Z, par ailleurs détachable du service de l’état civil, a été commise dans l’exercice de ses fonctions de médecin du SDIS de la Drôme ; que, alors même qu’elle serait détachable du service assuré par le SDIS, elle n’est pas dépourvue de tout lien avec le service et est, par suite, de nature à engager la responsabilité de cet établissement public ; 11. Considérant que le SDIS de la Drôme fait valoir que les requérants, présents sur les lieux au moment de l’établissement des certificats médicaux de décès, ne se sont pas opposés à la "levée de l’obstacle médico-légal", alors que le Dr Z a informé oralement Mme E..., mère de la défunte, de sa décision, prise après entretien avec l’époux de la victime, de lever cet obstacle ; que toutefois, cette circonstance n’est pas de nature à atténuer partiellement ou totalement la responsabilité du SDIS, alors que la mention de l’existence ou non d’un obstacle médico-légal sur le certificat de décès relève de la seule appréciation du médecin et que la levée de l’obstacle médico-légal est entièrement imputable au comportement fautif du médecin du SDIS ; 12. Considérant que le SDIS de la Drôme fait valoir, enfin, que les requérants ne se sont pas opposés à l’inhumation et à la crémation et que le préjudice moral dont ils se prévalent, qui porte sur une perte de chance de connaître les causes du décès, n’est pas la conséquence directe du certificat de décès établi par le Dr Z et de la levée de l’obstacle médico-légal décidée par celui-ci ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que, comme il a été dit précédemment, le certificat médical de décès établi par le Dr Z, ne mentionnant aucun obstacle médico-légal, a permis que l’inhumation, ainsi que la crémation à la demande de l’époux de la victime, ne soient pas soumises à autorisation du parquet et a eu ainsi pour conséquence de supprimer l’obligation d’informer le parquet et donc de permettre au procureur de la République de décider de procéder à la recherche des causes précises du décès ; 13. Considérant que, dans ces conditions, la faute commise par le médecin du SDIS de la Drôme a directement privé M. et Mme E... de la possibilité de connaître la cause du décès de leur fille, même si, comme l’indique le SDIS de la Drôme, celle-ci aurait été difficile à déterminer ; 14. Considérant, enfin, que le Tribunal a fait une juste appréciation du préjudice subi par chacun des requérants, en évaluant les indemnités allouées à 1 000 € pour chacun d’eux ; 15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble n’a condamné le SDIS de la Drôme à verser à chacun d’eux qu’une somme de 1 000 € ; que le SDIS n’est pas fondé, par la voie de l’appel incident, à contester cette condamnation ; Sur les conclusions tendant à l’application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du Code de justice administrative : 16. Considérant qu’aux termes de l’art. R. 761-1 du Code de justice administrative : "Les dépens comprennent la contribution pour l’aide juridique prévue à l’art. 1635 bis Q du Code général des impôts, ainsi que les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. (...)" ; que la contribution pour l’aide juridique acquittée par M. et Mme E... doit être laissée à leur charge ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce même fondement par le SDIS de la Drôme ;
DÉCIDE : Art. 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée. Art. 2 : La contribution pour l’aide juridique de 35 € acquittée par M. et Mme E... est laissée à leur charge. Art. 3 : Les conclusions du SDIS de la Drôme sont rejetées. Art. 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme E... et au SDIS de la Drôme.
Délibéré après l’audience du 19 décembre 2013 à laquelle siégeaient : M. Clot, président de chambre, M. F...et M.C..., présidents assesseurs, M. Segado et M.G..., premiers conseillers. Lu en audience publique, le 9 janvier 2014.
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