Aujourd'hui, la coopération transfrontalière est une composante à part entière de la coopération territoriale. Elle constitue l’un des trois objectifs de la politique de cohésion pour la période actuelle, 2007-2013. Indépendamment de sa dimension transfrontalière, la coopération territoriale vise, d’une part, à renforcer la coopération transnationale par des actions favorisant le développement intégré à l’échelle des grands ensembles géographiques et, d’autre part, à stimuler la coopération interrégionale, de même que l’échange d’expériences, entre toutes les régions et territoires de l’Europe.
Méziane Benarad, directeur général de l’OFPF. |
La coopération transfrontalière doit avoir pour finalité la résolution des problèmes communs recensés conjointement dans les régions frontalières, tels que difficultés d’accès, environnement peu propice aux entreprises, absence de réseaux entre administrations locales et régionales, recherche et innovation et utilisation des TIC, pollution de l’environnement, prévention des risques, attitudes négatives vis-à-vis des ressortissants des pays voisins, etc.
C’est dans le domaine de la santé que cette coopération transfrontalière nous donne l’occasion de revenir sur la question de la prise en charge des opérations de rapatriement de corps et plus généralement des formalités après décès. Ainsi, au cours de cette année parlementaire, un projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre entre la République française et la Monarchie espagnole sur la coopération sanitaire transfrontalière a été débattu.
C’est en 2003 qu’une étude a été lancée afin d'évaluer la faisabilité d'un hôpital transfrontalier qui traduirait concrètement le partenariat franco-espagnol en matière sanitaire et offrirait une assistance médicale de proximité à la population cerdane indépendamment des frontières. Ce projet de coopération, unique en Europe, a mûri en quelques années : dès 2003, un accord était signé par les présidents du gouvernement de Catalogne et de la région Languedoc-Roussillon, dans le but de créer une structure hospitalière commune qui emploierait des personnels des deux côtés de la frontière et serait située à Puigcerdá.
Le premier hôpital transfrontalier européen
Aux termes des études réalisées, le nouvel hôpital devrait disposer de 71 lits (56 lits d’hospitalisation conventionnelle, 10 lits d’hospitalisation de jour, médecine et chirurgie, et 5 lits d’observation) et d’un plateau technique équipé notamment de deux blocs opératoires, deux salles d’accouchement, dix postes de dialyse, radiologie, laboratoires, lits de soins intensifs, et d’équipements de télémédecine. Il devrait prendre en charge les urgences – il disposerait d’une base hélicoptère –, ainsi que les séjours aigus, les soins primaires, des soins de long séjour et des soins à domicile.
La pertinence de cet accord-cadre réside dans le fait qu’il aborde de façon très précise et détaillée le décès de ressortissants français hospitalisés dans cet établissement et devant être rapatriés en France. C’est la première fois qu’une convention de coopération transfrontalière aborde le dossier, et il convient de s'en féliciter. Plus généralement, l’accord-cadre franco-espagnol aborde tout un volet allant des naissances aux décès. Un véritable catalogue de mesures qui ne manquera pas de servir de base à tout projet de coopération transfrontalière.
La gestion des déclarations de naissance
C’est le sénateur François Calvet qui, lors des débats parlementaires, a soulevé l’ensemble de ces questions.
Dans la plupart des législations nationales, les déclarations de naissance doivent être recueillies par un officier de l’état civil local, y compris lorsqu’il s’agit de ressortissants étrangers. Toutefois, lorsque la loi locale ne s’y oppose pas, comme c’est le cas en Espagne, la déclaration de naissance peut également être reçue par l’officier de l’état civil consulaire territorialement compétent : celui-ci établit aussitôt l’acte de naissance et le conserve dans ses registres. La déclaration doit être faite dans les quinze jours suivant l’accouchement, délai porté à trente jours hors d’Europe ainsi que dans certains pays européens, dont l’Espagne.
Ainsi, d’après les informations transmises par le consulat général de Barcelone, pour les enfants français qui naîtront à l’hôpital de Cerdagne, comme pour les enfants qui naissent aujourd’hui à la fondation Hôpital de Puigcerdá, les naissances pourront être déclarées au consulat général sur présentation du certificat d’accouchement, de la preuve de la nationalité française d’un des parents, et, éventuellement, du livret de famille, sous réserve que la déclaration ait lieu dans le délai de trente jours précité.
En revanche, si la déclaration est établie après ce délai de trente jours, l’acte de naissance fera alors l’objet d’une transcription en vertu de l’art. 7 du décret n° 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives aux actes de l’état civil. La transcription consiste à porter sur les registres consulaires français un acte de l’état civil concernant un ressortissant français et dressé par l’autorité locale dans les formes usitées dans le pays étranger.
La demande de transcription doit être accompagnée :
- de la copie de l’acte de naissance étranger et sa traduction;
- d’un justificatif de nationalité française pour l’un des parents au moins;
- du livret de famille pour mise à jour;
- et, pour les enfants nés hors mariage, d’une copie de l’acte relatif à la reconnaissance souscrite par le père, lorsque ce dernier est français.
Dans le cas de l’hôpital de Cerdagne, il est envisagé que la réalisation de ces formalités soit en outre simplifiée et dématérialisée. Notons que la mairie de Bourg-Madame facilite déjà les démarches en remettant aux familles des formulaires préremplis. D’après ses propres estimations, le consulat général de Barcelone reçoit en moyenne entre cinq et dix actes de naissance par mois.
La gestion des déclarations de décès
S’agissant des décès, une procédure similaire à celles des déclarations de naissances est applicable : un acte de décès local est établi par l’officier de l’état civil consulaire territorialement compétent pour transcrire, en relation avec la famille, de manière à pouvoir apposer la mention du décès sur l’acte de naissance français du défunt.
La gestion des transferts de corps
La question du transfert des corps des personnes décédées à l’étranger est en revanche plus complexe. Celle-ci est régie par les dispositions de l’accord de Strasbourg du 26 octobre 1973 sur le transport international des corps des personnes décédées, accord qui prévoit un certain nombre de spécifications techniques applicables aux cercueils utilisés pour procéder au transport des corps. Ainsi, aux termes de l’art. 6 de cet accord, le cercueil doit être constitué :
- soit d’un cercueil extérieur en bois dont l’épaisseur des parois ne doit pas être inférieure à 20 mm et d’un cercueil intérieur en zinc soigneusement soudé ou en toute autre matière autodestructible;
- soit d’un seul cercueil en bois dont l’épaisseur des parois ne doit pas être inférieure à 30 mm, doublé intérieurement d’une feuille de zinc ou de toute autre matière autodestructible.
Or, ces spécifications rendent les cercueils incompatibles avec la plupart des appareils de crémation, et empêchent en conséquence de satisfaire les dernières volontés des défunts désirant être incinérés. En effet, pour des raisons sanitaires, le droit français n’autorise pas à procéder à l’ouverture des cercueils afin de transférer le corps dans d’autres cercueils susceptibles de faire l’objet d’une crémation.
L’accord de Strasbourg précise néanmoins dans son art. 2 que ses dispositions constituent des "conditions maximales exigibles" pour l’expédition du corps d’une personne décédée mais laissent ouverte la possibilité pour les États parties de s’"accorder des facilités plus grandes par application soit d’accords bilatéraux, soit de décisions prises d’un commun accord dans des cas d’espèce, notamment lorsqu’il s’agit de transfert entre régions frontalières".
Une convention bilatérale visant à simplifier les rapatriements de corps de personnes décédées en zone frontalière
D’après les informations fournies au rapporteur du projet de loi, un projet de convention bilatérale serait actuellement en préparation afin de régler le cas du transport des corps des ressortissants français décédés à l’hôpital de Cerdagne de manière à permettre à ces derniers d’être incinérés en France.
La future convention devrait porter à la fois sur les spécifications techniques afférentes aux cercueils, ainsi que sur les conditions d’intervention des opérateurs funéraires français sur le territoire espagnol. Il semblerait toutefois pour l’heure que ce texte n’en soit qu’au stade de la réflexion et n’ait pas encore fait l’objet de discussions bilatérales.
Ce type de projet de convention est à expérimenter avec intérêt, et il n’est pas inutile de s’inspirer de ce modèle afin de mettre en place des procédures de rapatriement de corps et d’intervention des opérateurs funéraires dans les zones frontalières.
Un modèle afin de réguler la situation dans les "zones tampons" du Nord et de l’Est de la France
J’ai été amené à travailler, depuis plus d’une vingtaine d’années, sur les distorsions de la concurrence entre opérateurs funéraires dans les zones frontalières, ainsi que sur les difficultés rencontrées en matière de transports de corps dans ces mêmes zones. Un accord bilatéral avait été envisagé, à l’époque, avec la Belgique et l’Allemagne. L’échec de ces tentatives réside dans le fait que des intérêts corporatistes ont fini par l’emporter, sabordant tout rapprochement. Reste que, de nos jours, l’implantation de crématoriums à proximité de ces zones frontalières pose avec acuité la résolution de ces difficultés de manière à garantir le principe "de la libre circulation" et de la facilitation du transfert des dépouilles mortelles.
Il est évident que la question de l’utilisation des cercueils zingués destinés à la crémation s’érige en réelle difficulté. Des accords bilatéraux devraient permettre, comme l’ont prévu les différentes conventions internationales, d’aller vers plus de simplification. Il est difficile de comprendre que l’on puisse transporter une dépouille de Lille à Nice pour qu'elle y soit crématisée sans recourir à un cercueil zingué, alors que, pour la même opération entre Mouscron (Belgique) et Lille, distantes seulement de quelques kilomètres, ce type de mise en bière est obligatoire ! À l’heure de l’Europe sans frontières, la seule filière pour laquelle on a laissé subsister les frontières, c’est le funéraire.
L’exemple franco-espagnol ne manquera de bousculer l’ordre des choses et permettra d’arriver à une solution adaptée, fluidifiant et simplifiant les opérations de transferts de dépouilles, y compris dans les zones frontalières.
Méziane Benarab
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