Damien Dutrieux, consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2 |
Le maire doit faire respecter aux concessionnaires non seulement les obligations découlant du règlement du cimetière, mais encore celles résultant des actes établissant les concessions funéraires. Les pouvoirs dont il dispose demeurent cependant limités.
La nature particulière du contrat de concession funéraire
On peut rappeler au préalable que l’acte de concession peut prendre la forme soit d’une convention (d’un contrat proprement dit) soit d’un arrêté du maire. Le juge, quelle que soit la forme retenue, analyse toujours la concession comme un contrat (TA Paris 21 avril1971, Ville de Paris c/ Sieurs Ribette et Manoury et Dame Ropert : AJDA 1972 p. 164, note P. Godfrin).
Ce contrat à la base de la concession porte sur un bien immobilier – un emplacement dans le cimetière – appartenant à la commune et intégré dans le domaine public de celle-ci (CE 28 juin 1935, "Marécar" : Rec. CE p. 734.). Comme tout contrat portant occupation du domaine public (décret-loi du 17 juin 1938), la concession est donc un contrat administratif (CE, Ass., 21 octobre 1955, Demoiselle Méline : Rec. CE p. 491.). Toutefois, ce contrat se différencie des autres contrats portant occupation du domaine public ; il n’est, en effet, ni précaire ni révocable.
Le titulaire d’une concession, bien qu’il ne jouisse pas juridiquement d’un véritable droit de propriété sur le terrain concédé (puisque la concession est située sur le domaine public), bénéficie d’un régime très protecteur s’apparentant souvent à celui du droit de propriété. Le Tribunal des conflits qualifie le droit du titulaire d’une concession funéraire de droit réel immobilier d’une nature particulière (TC 4 juillet 1983, François : Rec. CE p. 539).
Se rencontrent assez fréquemment dans les règlements des cimetières (voire dans les contrats de concession eux-mêmes) des clauses prévoyant la résiliation automatique de la concession funéraire (après mise en demeure) dans le cas où son titulaire ne respecterait pas certaines de leurs dispositions. Le plus souvent, il s’agit de dispositions ayant trait soit à des obligations de construction soit à des obligations d’entretien.
Certes, le maire peut indubitablement imposer des obligations aux titulaires de concessions, par des stipulations introduites dans le contrat de concession, ou par l’utilisation de son pouvoir de police des cimetières au moyen de dispositions arrêtées dans le règlement du cimetière. Néanmoins, outre l’impossibilité de prévoir une résiliation automatique (I), une affaire récemment jugée par le tribunal administratif de Lille (jugement du 13 novembre 2012 reproduit ci-dessous) démontre que le maire ne dispose finalement en pratique que de moyens limités (II).
I - L’impossible résiliation automatique
Le maire ne peut, tout d’abord, imposer l’obligation de construire dans un délai déterminé. Selon le ministre de l’Intérieur, en effet : "Que ce soit au titre du contrat de concession funéraire ou du respect de l'ordre public, le concessionnaire se doit d'entretenir la concession acquise même si celle-ci n'est pas encore bâtie et utilisée. Pour autant, aucune disposition n'oblige le concessionnaire à construire sur ce terrain, notamment à la suite immédiate de l'achat, un quelconque caveau, tombeau ou monument. Le fait pour le titulaire de la concession de laisser cet espace en friche, c'est-à-dire non bâti, ne peut pas lui être reproché. Il doit cependant procéder à l'entretien du terrain et s'assurer du bon état de propreté de ce dernier, sauf à contrevenir au bon ordre et à la décence du cimetière ou au respect de l'ordre public. Le maire, au titre de la police des cimetières, serait alors fondé à intervenir." (Rép. min. n° 3163, JO Sénat Q 27 mars 2008 p. 621).
Il importe cependant de préciser que les obligations ainsi fixées sont limitées quant à leur objet (bon ordre, décence, hygiène et sécurité dans le cimetière), d’une part, et que, d’autre part, la résiliation de la concession ne peut jamais constituer une sanction automatique du non-respect de ces obligations.
La résiliation, une sanction contestée
Ces principes ont été rappelés par le ministre de l’Intérieur dans une réponse au député Bernard Derosier : "L’art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) permet aux communes, sans qu’il s’agisse d’une obligation, de concéder des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Cet article précise que les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Il découle de ces dispositions que les communes ne peuvent, ni dans l’acte de concession ni dans le règlement du cimetière, exiger des concessionnaires que les terrains soient obligatoirement aménagés. L’art. L. 2223-12 du Code précité prévoit par ailleurs que tout particulier peut faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou un autre signe distinctif de sépulture sans avoir à acquérir une autorisation préalable. Sur ce point, le Conseil d’État a considéré (arrêt Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne, 18 février 1972) comme excédant les pouvoirs de police du maire un arrêté comportant des dispositions qui limitaient la hauteur des dalles, des encadrements et monuments funéraires et soumettant à autorisation préalable tout projet de construction de tombe ou caveau à des fins esthétiques. Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 11 mars 1983, commune de Bures-sur-Yvette. Le maire aurait toutefois la faculté, dans le cadre des ses pouvoirs de police des cimetières, d’exiger la construction de caveaux en présence de contraintes hydrogéologiques afin d’assurer le respect de la salubrité au sein du cimetière, sous le contrôle éventuel du juge administratif. La jurisprudence a par ailleurs reconnu au maire le droit de prescrire que les terrains seront entretenus par les concessionnaires en bon état de propreté et de solidité.
En cas de méconnaissance de ces prescriptions, il est tenu d’en dresser un procès-verbal adressé au juge des contraventions. Il ne peut, en revanche, sauf urgence ou péril imminent, procéder d’office à l’exécution des mesures nécessaires. Le régime juridique des concessions relève des contrats administratifs qui confèrent au concessionnaire un droit d’occupation du domaine public. Ce dernier n’a cependant pas le caractère précaire et révocable s’attachant généralement aux occupations du domaine public. Dans ces conditions, la commune n’est pas en mesure d’engager une procédure de résiliation d’un contrat de concession. Les textes lui confèrent cependant une faculté de reprise des concessions en état d’abandon, après un délai minimal de trente ans à compter de l’acte de concession et dix ans après la dernière inhumation, lorsque l’état d’abandon manifeste se décèle par des signes extérieurs nuisibles au bon ordre et à la décence du cimetière." (Rép. min. n° 26311, JOAN Q 24 mai1999 p. 3174).
Dès lors, les résiliations automatiques ne sont pas opposables aux titulaires de concessions, en raison de la nature particulière de ce contrat. La résiliation d’une concession implique toujours que le juge administratif soit saisi à cette fin. Pour mettre fin au contrat de concession de sa propre initiative, la commune dispose seulement du droit de reprise (D. Dutrieux, "La reprise des concessions funéraires" : JCP A, 18 avril 2006, 1100, p. 565).
L’impossibilité de prévoir une résiliation automatique
Le contrat de concession n’étant ni précaire ni révocable, "la commune n’est pas en mesure d’engager de procédure de résiliation" (Rép. min. n° 26311 précitée).
D’ailleurs, le tribunal administratif de Lille, à propos d’un contrat d’occupation d’une case de columbarium – auquel il a décidé d’appliquer le régime juridique des concessions funéraires – a annulé une disposition du règlement du cimetière d’une commune qui contenait une clause de résiliation (TA Lille 30 mars 1999, Mme Denise Tillieu et autres c/ commune de Mons-en-Barœul : "Les Petites Affiches", 2 juin 1999, p. 17, note D. Dutrieux).
II – Un pouvoir d’injonction finalement limité
Dans le jugement reproduit ci-dessous, le tribunal administratif de Lille rappelle, d’une part, qu’une mesure de police doit être motivée, et, d’autre part, que l’exécution d’office ne peut être envisagée en dehors d’un texte la prévoyant expressément.
Une obligation de motiver les mesures de police
Comme le rappelle le jugement du tribunal administratif de Lille, la mesure de police prise par le maire doit être motivée, c’est-à-dire contenir les motifs (de fait et de droit) de la décision. À côté d’une définition propre au contentieux administratif, Mmes Van Lang, Gondouin et Inserguet-Brisset précisent que les motifs sont les éléments de fait et de droit au vu desquels une décision a été prise ("Dictionnaire de droit administratif" : 5e éd. Sirey 2008, p. 256). Pour le dire autrement, "la question est de savoir quelle est sa "cause", c’est-à-dire : en raison de quoi cet acte a été fait". Au professeur Chapus d’ajouter à cette définition (R. Chapus, "Droit administratif général" : coll. "Domat droit public", 15e éd. Montchrestien 2001, p. 1039) qu’il y aura "illégalité en raison de ses motifs, s’il apparaît qu’il procède, selon la terminologie jurisprudentielle, soit une erreur de droit, soit une erreur dans la qualification juridique des faits, soit une erreur de fait". Il s’agit donc de permettre au juge de vérifier la réalité et la sincérité des justifications avancées.
La motivation, quant à elle, est nécessairement liée aux motifs puisqu’elle "consiste dans la formulation des motifs de droit et de fait qui fondent les décisions administratives" et relève de la légalité externe de l’acte (A. Van Lang, G. Goudouin et V. Inserguet-Brisset, ouvrage précité, p. 258). Elle "permet au destinataire d’une décision d’en connaître les raisons et, en conséquence, d’apprécier s’il convient de la contester", et "en ce sens, elle atténue l’opacité qui entoure fréquemment l’action administrative" (B. Seiller, "Droit administratif", tome 2 – "L’action administrative" : coll. "Champs Université", 3e éd. Flammarion 2010, p. 155). Il s’agit donc "d’informer les administrés […] des raisons [de la décision], d’obliger l’administration à examiner attentivement le bien-fondé de sa décision, et de faciliter son contrôle" (E. Carpentier, "Motivation des décisions de préemption et conséquences des annulations" : questions anciennes, nouvelles réponses ? : BJDU 4/2006, p. 238 [p. 239]).
Il est possible de rappeler qu’à côté de ces qualifications aujourd’hui admises par tous les auteurs des motifs et de la motivation, le doyen Maurice Hauriou ("Précis de droit administratif et de droit public" : 12e éd. Sirey 1933 [rééd. Dalloz 2002], p. 442 et s. et p. 452) distinguait, à propos des actes, la notion des motifs déterminants, "notion subjective impliquant l’examen des intentions de l’autorité administrative qui a fait l’acte, et non pas de la notion objective de la cause juridique de l’acte" (p. 443). Pour Maurice Hauriou, en effet, "la cause juridique d’un acte, c’est l’élément de fait qui détermine la catégorie de la situation qui appelle l’accomplissement de l’acte" (p. 452, note 77). Si cette distinction n’est plus usitée, elle permet toutefois de comprendre pourquoi le contrôle des motifs est fondamental, alors qu’une autorité administrative peut toujours "habilement" produire une motivation formellement valable.
Dans l’affaire jugée, le maire devait accompagner sa décision d’une motivation, c’est-à-dire comporter tant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision, ce qui n’était pas le cas en l’espèce concernant les faits.
Une impossible exécution d’office
Comme le rappelle le professeur Didier Truchet ("Droit administratif" : coll. "Thémis", PUF 2011, p. 258), l’exécution d’office (appelée également "exécution forcée") est par principe interdite, puisque, malgré le caractère exécutoire de l’acte administratif, un recours au juge s’impose toujours, sauf si la loi en décide autrement ou en cas d’urgence.
La compétence du juge pénal ou du juge administratif
C’est pourquoi, en cas de non-respect des obligations imposées dans le contrat de concession ou le règlement du cimetière, le maire n’a que le pouvoir de dresser procès-verbal des infractions et de saisir le juge des contraventions, c’est-à-dire le tribunal de police (art. R. 610-5 du Code pénal ; voir Rép. min. n° 26311 précitée).
C’est en revanche au juge administratif que l’autorité municipale devra s’adresser si elle souhaite voir annuler (quand il n’y a pas encore eu d’inhumation dans la concession) ou résilier le contrat de concession, puisque la commune ne saurait d’elle-même mettre fin à ce type de contrats administratifs (TA Paris 21 avril 1971, Ville de Paris c/ Sieurs Ribette et Manoury et Dame Ropert, précité), voire imposer le respect du contrat de concession funéraire. L’Administration ne peut donc pas se faire "justice" seule…
Damien Dutrieux
République Française – Au nom du peuple français M. XXX soutient que l’arrêté attaqué n’est pas motivé ; qu’il a été pris en méconnaissance de l’art. 24 de la loi du 12 avril 2000 ; que cet arrêté, en tant qu’il porte mesure d’exécution d’office, est illégal, faute de base légale ; Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2010, présenté par la commune de Crèvecœur-sur-l’Escaut, représentée par son maire en exercice, qui conclut au rejet de la requête ; la commune de Crèvecœur-sur-l’Escaut fait valoir que M. XXX et une autre administrée de la commune ont acquis, chacun, une concession funéraire de 1,50 m x 2,50 m, mais qu’après la pose d’une dalle en marbre, la concession de M. XXX a désormais une dimension de 1,70 m x 2,71 m ; que la société d’assurances de cette administrée a mis en demeure la commune de rétablir l’intégrité de l’espace public entre les deux concessions funéraires ; que, s’il n’existe aucun règlement de cimetière, il est toutefois indiqué, à l’entrée de celui-ci, que tout travail doit être signalé en mairie, ce que M. XXX s’est abstenu de faire ; que la commune a, depuis 2008, tenté de régler ce différend à l’amiable ; Vu l’arrêté attaqué ; - le rapport de M. Huguen, rapporteur ; - et les conclusions de Mme Frackowiak, rapporteur public ; 1 - Considérant que M. Daniel XXX a, au cours de l’année 2007, fait réaliser un monument funéraire sur la concession dont il est titulaire au cimetière de Crèvecœur-sur-l’Escaut ; qu’après l’achèvement des travaux, le maire de la commune a constaté que la dalle de marbre qui avait été posée sur le caveau empiétait sur le passage qui séparait la concession de l’intéressé de la sépulture voisine ; que, par un arrêté en date du 1er février 2010, cette autorité administrative a, d’une part, mis en demeure M. XXX d’effectuer, dans un délai de trois mois à compter de la notification dudit arrêté, les travaux nécessaires au rétablissement du passage entre les tombes, d’autre part, décidé, à défaut d’exécution des mesures prescrites, qu’il serait procédé d’office et aux frais de l’intéressé à la réalisation desdits travaux ; que M. XXX demande l’annulation de cet arrêté ;
Sur la légalité de l’arrêté attaqué, en tant qu’il met en demeure le requérant de procéder à l’exécution des travaux précités :
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête :
D É C I D E : Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Nord.
Délibéré après l’audience du 23 octobre 2012, à laquelle siégeaient :
Lu en audience publique le 13 novembre 2012 Le président, J. Lepers |
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