La commune peut-elle limiter l’accès de son espace de dispersion aux seuls usagers ressortant des catégories visées à l’article L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales ? À cette question, le ministre de l’Intérieur répond par la négative. Que doit-on comprendre à cette réponse ministérielle ?
À la question n° 04950 posée par le sénateur Jean-Pierre Sueur, le ministre de l’Intérieur apporte une réponse publiée le 13 juin 2013 (JO Sénat Q, p.1806), reprise en annexe, qui mérite de retenir l’attention tant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle induit. Après avoir rappelé que les espaces de dispersion ne sont pas des espaces concédés dont l’accès peut être légalement restreint, il conviendra d’appréhender l’absence de restriction pour l’espace de dispersion.
Les restrictions susceptibles d’être apportées à l’accès aux espaces concédés
La législation funéraire prévoit l’existence d’un droit à l’inhumation dans le cimetière communal. Les communes se voient imposer l’inhumation de certaines personnes (art. L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT). En effet, la sépulture dans le cimetière communal est due :
- aux personnes décédées sur le territoire de la commune, quel que soit leur domicile ;
- aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune ;
- aux personnes non domiciliées dans la commune mais qui ont droit à une sépulture de famille.
Concernant les personnes disposant d’un droit à l’inhumation dans le cimetière communal, la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 a ajouté à cet art. L. 2223-3 une quatrième hypothèse. La sépulture dans le cimetière communal est dorénavant due "aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci".
La délivrance de concessions funéraires constituant une simple faculté pour les communes, ce droit à l’inhumation doit s’entendre comme le droit à être inhumé dans le terrain commun, mais, dans l’hypothèse de places disponibles, le refus d’une concession à une personne répondant aux conditions de l’art. L. 2223-3 est illégal (CE, sect., 5 décembre 1997, n° 112888, Commune de Bachy c/ Saluden-Laniel : Rec. CE 1997, p. 463 ; AJDA 1998, p. 258 concl. D. Piveteau ; LPA 28 septembre 1998, p. 7, note D. Dutrieux).
La logique de l’assimilation
Il conviendrait d’appliquer les mêmes principes aux espaces concédés dans les cimetières ou les sites cinéraires accessoires des crématoriums, en raison de l’assimilation des régimes des sépultures réservées aux cendres à celles réservées aux corps. Les cases de columbarium, ainsi que les "cavurnes", pourront voir leur délivrance limitée au profit des personnes jouissant d’un droit à l’inhumation dans le cimetière communal, si la commune décide de restreindre l’accès à ces sépultures. Cela semble ressortir, indirectement, mais nécessairement, de la réponse apportée au sénateur Jean-Pierre Sueur le 13 juin 2013. En effet, contrairement à la dispersion, les textes renvoient expressément au régime des concessions funéraires (art. R. 2223-23-2 et R. 2223-23-3). L’assimilation paraît donc emporter le pouvoir de restreindre l’accès aux "sépultures" réservées aux cendres.
La question des "usagers" du crématorium
Toutefois, en application du principe posé par le juge de l’égalité tarifaire dans le fonctionnement du crématorium et de l’impossibilité de faire varier le tarif en fonction du domicile des "usagers" du service public de la crémation (CAA Bordeaux, 13 juillet 2011, n° 10BX01939, Société des crématoriums de France), force est d’admettre que l’accès à un crématorium semble ouvert à toute personne qui en fait la demande, sauf si les "capacités" de l’équipement viennent à justifier des restrictions et, notamment, la possibilité de "réserver" l’accès, par exemple, aux seuls habitants de la commune ou ceux du périmètre géographique d’une intercommunalité (CE 27 février 1981, nos 21987 et 21988, Guillaume B. : Rec. CE 1981, tables, p. 903). À notre connaissance, ce dernier cas, concernant les crématoriums, ne s’est pas encore présenté.
Or, si une personne n’est pas décédée sur le territoire d’une commune, n’a nullement son domicile dans cette commune, et ne jouit nullement du droit à être inhumé dans le cimetière de celle-ci, et voit son corps admis au crématorium situé dans cette commune, est-il envisageable qu’une fois la crémation opérée, le gérant du crématorium puisse lui refuser l’accès au site cinéraire accessoire dudit crématorium ou, à défaut d’un tel équipement accessoire, la commune s’oppose à ce que l’urne soit déposée dans une sépulture du site cinéraire présent dans le cimetière de la commune sur le territoire de laquelle se trouve le crématorium (voire le cimetière dans lequel se trouve le crématorium) ?
Ainsi, même si l’art. L. 2223-3 précité paraît s’appliquer tant à l’inhumation des corps et des urnes, se constatent néanmoins deux difficultés : la première a trait à la question non résolue du droit pour une urne de bénéficier d’un terrain commun (la question est loin d’être absurde dès lors que corps et cendres sont assimilés !) d’une part, et, d’autre part, la prise en compte de la localisation géographique du crématorium dans lequel le corps du défunt aura été réduit à l’état de cadavre. C’est pourquoi, si cet art.
L. 2223-3 paraît applicable aux sépultures d’urnes (cases de columbarium et "cavurnes"), il convient néanmoins de réserver une catégorie supplémentaire de défunt aux quatre hypothèses visées par ce texte. Ont accès au site cinéraire les urnes contenant les cendres des défunts dont le corps a fait l’objet d’une crémation sur le territoire communal. Si une justification supplémentaire était nécessaire, l’art. L. 2223-22 du CGCT autorisant la commune sur le territoire de laquelle est situé le crématorium – et seulement cette commune, selon la doctrine administrative (circulaire n° 97-00211C du 12 décembre 1997) – à prélever une taxe de crémation paraît militer indubitablement pour une telle interprétation.
Une restriction inconcevable concernant l’espace de dispersion
Avant d’évoquer l’espace de dispersion proprement dit, il importe de rappeler qu’au sein du cimetière, la commune va accueillir un site cinéraire, qui peut être obligatoire. En effet, depuis le 1er janvier 2013, dans la rédaction de l’art. L. 2223-1 du CGCT – qui définit les conditions de création, d’agrandissement des cimetières – issue de l’art. 14 de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, est imposé aux communes de 2 000 habitants et plus (ainsi qu’aux établissements de coopération intercommunale compétents en matière de cimetières, regroupant 2 000 habitants et plus) de disposer d’au moins un cimetière et un site cinéraire. Comme l’a récemment rappelé le ministère de l’Intérieur, le regroupement de sites cinéraires entre cimetières de plusieurs communes, permettant que la charge financière supplémentaire entraînée par la mise en œuvre de cette disposition puisse être mutualisée au niveau intercommunal, est envisageable (Rép. min. n° 76414, JOAN Q 28 décembre 2010, p. 13963). Ce site cinéraire doit donc comprendre au minimum un espace de dispersion, et, soit un columbarium, soit des sépultures (concessions) d’urnes.
Concernant l’espace de dispersion – généralement dénommé "jardin du souvenir" (l’expression "jardin du souvenir" a néanmoins disparu des textes avec l’adoption du décret n° 98-635 du 20 juillet 1998 relatif à la crémation) –, l’art. L. 2223-2 du Code de l’urbanisme précise qu’il doit être "doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts". L’utilisation de l’expression neutre de "lieu spécialement affecté à cet effet" (art. R. 2213-39 et R. 2223-6 du CGCT) ne fait que consacrer la disparité des équipements mis en place par les communes et la variété des appellations qu’ils ont reçues. L’opération de dispersion proprement dite n’est pas régie par le CGCT. Il importera que le maire, titulaire de la police du cimetière, édicte, dans le règlement du cimetière, des mesures visant à contrôler la dispersion des cendres.
Outre l’interdiction de disperser les cendres ailleurs que dans le lieu spécialement affecté à cet effet et l’obligation de disperser avec la décence qui s’impose, le règlement du cimetière doit en effet au moins prévoir une déclaration préalable du moment où il sera procédé à la dispersion. Dans certaines communes, la présence du conservateur ou d’un gardien du cimetière est exigée. À l’instar du scellement, l’opération semble ressortir du monopole des pompes funèbres en application des dispositions de l’art. L. 2223-19 du CGCT.
L’absence de "saturation" de l’équipement et l’absence de fondement légal
Or, l’une des différences fondamentales entre cet espace de dispersion et les sépultures d’urnes ci-dessus évoquées réside dans le fait qu’a priori la dispersion de cendres ne peut avoir pour effet une "saturation" de l’équipement, alors que les sépultures peuvent être toutes concédées et utilisées. Certes, peuvent également se rencontrer avec cet espace de dispersion quelques difficultés liées à une utilisation "excessive". Ainsi, par exemple, lorsque le dispositif est composé d’un réceptacle dans lequel tombent les cendres dispersées, par exemple au-dessus de galets, ce réceptacle, une fois plein, ne peut être vidé que dans un espace de dispersion (!) ou dans un ossuaire (ce qui paraît se déduire de l’art. R. 2223-23-2 du CGCT). Il demeure néanmoins que, malgré ce souci "technique", le nombre de dispersions demeure finalement sans influence sur les "capacités" de l’équipement.
Enfin, comme le rappelle le ministre dans la réponse ci-dessous reproduite, l’art. L. 2223-3 n’étant indubitablement pas applicable et les "capacités" de l’équipement ne pouvant justifier des restrictions imposées localement par l’autorité de police du cimetière, aucun fondement légal ne peut limiter l’accès à l’espace de dispersion.
Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
Annexe :
Question écrite n° 04950 de M. Jean-Pierre Sueur (Loiret – SOC) publiée dans le JO Sénat du 28/02/2013 – page 666
Réponse du ministère de l’Intérieur publiée dans le JO Sénat du 13/06/2013 – page 1806 |
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