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Réflexions sur l’absence de force probante de la carte de donneur d’organes et son fondement juridique, malgré le principe de la présomption du consentement.

 

Un bref rappel historique de la nais- sance de la législation :

 

La loi Caillavet du 22 déc. 1976 avait autorisé le prélèvement d’organes sur le cadavre d’une personne lorsque, de son vivant, elle n’avait pas fait connaître son refus d’un tel prélèvement. Les lois de bioéthique du 29 juil. 1994 et du 6 août 2004 ont procédé de la même façon. La règle posée est une présomption de consentement au prélèvement après le décès.

La loi du 29 juil. 1994 n'a pas remis en cause la présomption de consentement au prélèvement d'organes après décès. Toutefois, le législateur de 1994 a limité l'application de la présomption de consentement en prenant plus largement en considération qu'auparavant la condition du "donneur" et la finalité du prélèvement, ce qui a abouti à un régime différencié du consentement en fonction des situations.

La loi nouvelle de 2004, loin de remettre en cause la règle antérieure du consentement présumé ou, si l’on préfère, la dispense d'obtention du consentement explicite du "donneur", la maintient et la généralise, sauf exceptions, à tous les prélèvements après décès quelles que soient leurs finalités : thérapeutiques ou scientifiques. Le souci du législateur a été de simplifier le système pour les praticiens tout en étendant, dans leur intérêt, le champ des "donneurs" potentiels.

 

La législation prévoit toutefois deux hypothèses dans lesquelles la pré- somption de consentement peut être renversée :

 

- lorsque le défunt a fait connaître, de son vivant, son refus d’un prélève- ment d’organes sur son corps,

ou,

- en cas de témoignage de ce refus

par ses proches.

 

Le principe et le fondement juridique de prélèvements d’organes sur un corps humain, après le décès du donneur, sont régis par l’article L. 1211-2 du Code de la santé publique, modifié par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 (JORF du 7 août 2004).

 

Cet article dispose :

 

"Le prélèvement d'éléments du corps humain et la collecte de ses produits ne peuvent être pratiqués sans le consentement préalable du donneur. Ce consentement est révocable à tout moment.

L'utilisation d'éléments et de produits du corps humain à une fin médicale ou scientifique autre que celle pour laquelle ils ont été prélevés ou collectés est possible, sauf opposition exprimée par la personne sur laquelle a été opéré ce prélèvement ou cette collecte, personne dûment informée au préalable de cette autre fin. Lorsque le donneur est un mineur ou un majeur sous tutelle, l'opposition est exercée par les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur. Il peut être dérogé à l'obligation d'information lorsque celle-ci se heurte à l'impossibilité de retrouver la personne concernée, ou lorsqu'un des comités consultatifs de protection des personnes mentionnés à l'article L. 1123-1, consulté par le responsable de la recherche, n'estime pas cette information nécessaire. Toutefois, ces dérogations ne sont pas admises lorsque les éléments initialement prélevés consistent en des tissus ou des cellules germinaux. Dans ce dernier cas, toute utilisation pour une fin autre que celle du prélèvement initial est interdite en cas de décès de l'intéressé".

 

Dans ces conditions, le consentement du donneur constitue une condition nécessaire et suffisante pour que le prélèvement d’organes ait lieu. Toutefois, la loi a expressément prévu la possibilité pour toute personne, même mineure, de s’opposer de son vivant à des prélèvements d’organes sur son corps mort. La loi du 6 août 2004 précise que le refus du prélèvement peut être exprimé par tout moyen.

 

Parmi ces moyens d’expression du refus, la loi vise expressément l’ins- cription sur un registre automatisé. Cependant, la manifestation du refus est révocable à tout moment. C’est un décret du 30 mai 1997 qui détermine actuellement les conditions de fonc- tionnement et de gestion du fichier national automatisé, institué par la loi. Depuis la loi de 2004, la possibilité pour une personne d’inscrire son refus sur le registre national automatisé, et au-delà, les modalités du consen- tement au don d’organes à fins de greffe, font l’objet d’une information délivrée aux jeunes appelés à la jour

née de service national.

Toute personne majeure ou mineure âgée de 13 ans au moins, peut s’inscrire sur le registre afin d’exprimer son refus d’un prélèvement sur son corps après son décès, soit à des fins thérapeutiques, soit pour rechercher les causes du décès, soit à d’autres fins scientifiques. Le règlement d’application prévoit que la demande d’inscrip- tion sur le registre doit être adressée par voie postale à l’Agence de la Biomédecine. Cette demande doit être datée, signée et accompagnée de la photocopie de tout document susceptible de justifier de l’identité de son auteur (par ex., carte natio- nale d'identité en cours de validité, passeport même périmé, permis de conduire, titre de séjour). Une attestation d’inscription sur le registre doit alors être adressée à l’auteur de la demande, à moins qu’il n’ait indiqué expressément qu’il ne souhaitait pas recevoir d’attestation.

Il est important de souligner qu’aucun prélèvement, quelle qu’en soit la finalité, ne peut être opéré sur une personne âgée de plus de 13 ans, sans interrogation obligatoire et préalable du "Registre National des Refus", lequel compterait actuellement environ 50 000 personnes inscrites, ce chiffre paraissant stable depuis les dernières années.

 

À ce stade de cette étude, force est de constater que bien que la volonté déclarée du législateur ait porté sur l’accroissement des dons d’organes, en facilitant la généralisation de la présomption du consentement, l’État français s’est évertué à organiser le processus d’enregistrement des refus des dons, par la création de ce "Fichier National". Parallèlement, il n’a nullement structuré, au plan légal, la valeur des actes volontaristes accomplis de son vivant, par une personne partisane du don d’organes qui obtient la délivrance d’une carte de donneur via de nombreuses associations qui militent pour cette cause, dont FRANCE ADOT, ADOSEN, ANCDSB, ou un organisme public tel l’Agence de Biomédecine, si bien que cette carte n’a aucune portée officielle.

 

C’est en fait et en droit, l’absence d’un "Fichier National Automatisé des donneurs d’organes", qui rend aléatoire la valeur donnée à la carte de donneur, puisque le témoignage des proches est de nature à remettre en cause ce consentement formel. Dans un tel contexte, force est de considérer que les institutions étatiques devraient - puisque la volonté émanant des actes législatifs et réglementaires semble attester d’une tendance à l’optimisation des conditions des dons d’organes, afin d’en amplifier le volume annuel - mettre en œuvre un dispositif mieux adapté au respect de l’expression du choix opéré par une donneur, de son vivant. Pourquoi ne pas s’inspirer des mesures instaurées pour qu’un patient puisse prendre connaissance de son dossier médical, telles qu’elles résultent de l’art. L. 1111-6 nouveau du Code de la santé publique ?

 

En effet, ce droit est facilité par la présence "d’une personne de confiance", qui peut être désignée par toute personne majeure qui peut être soit un parent, soit un proche ou le médecin traitant, et qui peut être consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation faite par écrit est révocable à tout moment.

 

La désignation obligatoire d’une telle personne au moment où le majeur entend exprimer son choix de donner ses organes pour des fins thérapeutiques, actée dans un contrat formalisé avec FRANCE ADOT, par exemple, éviterait sa remise en question lors du décès du donneur déclaré, par un simple témoignage de l’existence d’un éventuel refus, exprimé par l’un de ses proches.

Le risque majeur de cette consultation est que "le proche" fasse plus valoir son propre sentiment que la volonté même du défunt (Cf. Avis n° 115 du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, portant sur "les questions d’éthique relatives au prélèvement et

 

 

au don d’organes à des fins de transplantation"). De surcroît le dispositif actuel est éminemment critiquable car l’expression "l’un de ses proches", n’est pas définie clairement par le droit positif.

Selon l’art. L. 1110-4 du Code de la santé publique, les ayants droit peuvent après le décès de leur parent accéder à la communication du dossier médical. La loi ne donne aucune définition de cette notion d’ayant droit, et selon le lexique des termes juridiques (12e édition Dalloz), est considérée comme ayant droit : "toute personne qui bénéficie des droits du défunt".

 

En se référant au Code civil en matière de droit des successions, la notion d’ayant droit est à rapprocher de celle d’héritier, qui peut concerner cumulativement, le conjoint survivant et les enfants. En cas d’absence des deux, les ascendants viennent au premier rang des héritiers.

Pour la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), dans ses deux avis en date des 19 déc. 2002 et 3 juil. 2003, relatifs à un établissement de santé public, "les ayants droit sont entendus comme les successeurs légaux du défunt (héritiers, conjoints survivants, légataires universels ou à titre universel), au sens du Code civil, et sont habilités à solliciter la communication du dossier médical de leur parent décédé, sous la condition que celui-ci n’ait pas exprimé formellement de son vivant, son opposition à une telle communication, et que l’administration n’ait pas eu connaissance à ce sujet de l’existence d’un litige entre les ayants droit du parent décédé". Donc, outre le fait que la notion "l’un de ses proches" devrait être mieux cernée, la proposition d’imposer "une personne de confiance" qui attesterait, soit du maintien de la volonté de donner ses organes, soit d’un revirement de la position du donneur, pourtant déclaré, permettrait qu’en cas de doute, les médecins habilités à prélever les organes, ne soient tentés d’éviter les contentieux avec les membres de la famille en se couvrant par la délivrance d’une attestation ou d’une autorisation de prélèvement délivrée par le ou les proches du défunt. Quant aux divergences existant entre les membres d’une même famille, la brièveté des délais, du fait des impératifs techniques liés au maintien en survie des organes susceptibles d’être prélevés, entre en tension avec 

 

l’exigence du respect du deuil. Les proches peuvent ressentir le besoin d’un temps plus long que celui qui leur est imparti. Ce laps de temps très court qui s’écoule entre le décès constaté, dont on sait que les critères sont plus souples et moins exigeants que dans un cas normal où la mort physique de la personne prime sur la mort "neurologique", ne permet pas de trancher judiciairement le conflit, le Code de l’organisation judiciaire n’ayant donné compétence au juge des référés, près le tribunal d’instance, que pour connaître des litiges portant sur l’organisation des funérailles ou du mode de sépulture.

Une raison de plus pour le corps médical d’éviter la confrontation avec la famille, ici largement entendue, bien que juridiquement la loi indique que le prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître un refus de son vivant, lourde tâche de recherche et d’investigation qui incombe au médecin et aux coordonnateurs hospitaliers, ceux-ci étant tenus, dans un premier temps, de consulter le registre national automatisé des refus puis, en cas de non-inscription sur ce registre, d’interroger les proches de la personne défunte, ce qui ouvre la voie aux difficultés évoquées précédemment.

 

Il en résulte que les attentes exprimées par les membres du groupe de travail constitué au sein du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, dans l’avis n° 115, à l’occasion de toute révision législative, sont de voir affirmée l’expression de la volonté du donneur d’organes, aspirations relayées par plusieurs parlementaires, dont plus particulièrement M. Michel Havard, député UMP du Rhône qui, dans sa question écrite, n° 114229, adressée le 12 juil. 2011 au ministre des Affaires sociales et de la Santé, regrettait que "La carte de donneur est indicative mais n’a aucune force légale", et proposait que dans le cadre du plan greffe 2012-2017 on prévoie l’inscription sur la carte vitale et dans le futur dossier médical électronique personnel de chaque patient, celle du consentement ou du refus formel du don d’organes. Bien que cette question ait été retirée le 19 juin 2012 en raison de la fin de son mandat, il n’en demeure pas moins qu’il est constant que d’importantes améliorations sont indispensables pour accroître les potentialités des dons d’organes.

 

Jean-Pierre Tricon

 

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