En ces temps de crise, il arrive parfois que l’administration fiscale, à travers ses trésoreries régionales, adresse des avis à tiers détenteurs en vue du recouvrement, par exemple, de dépenses de santé. Dans cette situation, l’administration s’adresse à l’assureur auprès duquel une assurance-vie a été souscrite, pour procéder au recouvrement des créances dues. Dès lors, se pose la question de savoir si le capital constitué dans le cadre d’une assurance-vie destinée au financement des obsèques est saisissable.
De cette interrogation découle la question du statut de l’assurance-vie dans le cadre de la succession.
La présente analyse a pour objectif de rappeler les principes fondamentaux de l’assurance-vie : son caractère insaisissable et son positionnement en dehors de la succession.
Le caractère insaisissable de l’assurance-vie
Ce principe, énoncé à l’art. L.132-14 du Code des assurances, dispose que "le capital ou la rente garantis au profit d'un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant". Cette disposition pose le postulat de base selon lequel, juridiquement, les sommes versées n'appartiennent plus au souscripteur mais à la compagnie. Le souscripteur devenant ainsi le créancier exclusif de la compagnie d’assurance. Sur le plan de la sécurité juridique, le souscripteur y trouve une protection adaptée des sommes investies à l’encontre d’éventuels créanciers. Il convient néanmoins de rappeler que cette protection ne peut excéder le terme du contrat, d’autant plus que, durant cette période de protection, les créanciers ne peuvent demander le rachat du contrat.
S’agissant des contrats obsèques, l’expérience apporte quelques remises en cause de la capacité des créanciers à agir au terme du contrat. Saisie d’un avis de tiers détenteur relatif à la mise à disposition d’une chambre mortuaire, l’administration fiscale n’a pu faire valoir sa demande au motif que les capitaux investis ont été versés à l’opérateur funéraire, bénéficiaire de premier rang, en vue du financement des obsèques.
Le caractère insaisissable de l’assurance-vie a été confirmé par deux fois, par la Cour de cassation qui avait déjà dénié à l'administration fiscale le droit de se faire attribuer les capitaux figurant sur un contrat d'assurance-vie par voie d'avis à tiers détenteur délivré à la compagnie (arrêts du 28 avr. 1998 et du 15 juin 1999).
Cette jurisprudence a été reconfirmée par l’arrêt du 2 juil. 2002 dans des termes identiques. Tant que son contrat n'a pas été dénoué, le souscripteur est seulement investi du droit personnel de racheter le contrat ou de modifier le bénéficiaire. La créance de l'intéressé présentant donc un caractère purement éventuel, le fisc ne peut se faire attribuer les sommes investies en recourant à un avis de tiers détenteur. Cette nouvelle décision est d'autant plus opportune que l'administration avait cherché à relativiser la portée de la jurisprudence antérieure. Se référant à la notion de créance à terme, elle considérait que celle-ci ne faisait pas obstacle à une saisie des sommes, mais uniquement à leur appréhension avant la date de dénouement du contrat. Or, précisément, dans cette affaire, la Cour de cassation a déclaré que la créance du souscripteur sur la compagnie avait été indûment qualifiée de créance à terme par les juges d'appel (arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 2 juil. 2002, n° 1074 PB).
… le capital ou la rente garantis au profit d'un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant
Le caractère hors succession de l'assurance-vie
Les sommes versées par l’assuré sur la base de son contrat le sont au profit de l'assureur. Versées à ce titre, elles ne font plus partie de son patrimoine. Dès lors, on peut en déduire que son patrimoine est diminué d’autant. C’est au final tout l’intérêt de l’assurance-vie qui, ne faisant pas partie du patrimoine du souscripteur, sera traitée en dehors de sa succession. Ainsi, au décès de l’assuré, le périmètre de son actif successoral sera cantonné aux simples actifs, l’assurance-vie étant traitée en franchise de droits, d’autant plus qu’elle permet de désigner des bénéficiaires autres que ses héritiers.
L’art. L. 132-12 du Code des assurances faisant référence à ce statut particulier précise : "Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré".
Ces deux principes rappelés, il convient de se demander s’ils ne peuvent pas s’ériger en obstacles aux droits d’un créancier légitimement fondé à agir, notamment dans deux situations particulières : le versement manifestement exagéré de primes ayant pour conséquence d’appauvrir l’actif successoral et le blanchiment d’argent.
La première hypothèse a été prévue à l’art. L. 132-13 du Code des assurances qui stipule : "Le capital ou la rente payable au décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés".
La notion de prime manifestement exagérée
Le périmètre de l’actif successoral étant bien délimité, en excluant les sommes versées au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé et qui deviennent la propriété exclusive de celui-ci. Dès lors, le conjoint survivant et les héritiers du souscripteur qui n'ont pas été désignés comme bénéficiaires n'ont aucun droit sur le capital ou la rente garantis. Les héritiers qui s’estiment lésés peuvent contester le caractère manifestement exagéré des primes par rapport aux capacités financières du défunt. Mais en la matière, bien qu’une jurisprudence abondante existe, et malgré l’appréciation souveraine des juridictions quant à la vérification du train de vie du souscripteur et l’évaluation du but visé, il n’en demeure pas moins que les plaignants restent confrontés à de nombreux obstacles tels que : la découverte tardive de l’existence du contrat et le manque de preuves.
Cette saisie est notifiée au souscripteur ainsi qu'à l'assureur ou à l'organisme auprès duquel le contrat a été souscrit
Il n’en demeure pas moins que nous pouvons livrer deux critères d’appréciation en la matière :
- Il est admis qu’une prime ne peut pas être qualifiée d’exagérée dans la mesure où l’assuré la règle avec ses moyens et que ses relevés de compte font toujours apparaître un solde largement créditeur. Cette appréciation peut être également retenue en cas de pluralité de contrats.
- En revanche, dès lors que les sommes placées dans un contrat sont destinées à une personne étrangère à la famille et qu’elles contribuent à paupériser le patrimoine de l’assuré, la réintégration dans l’actif successoral doit être prononcée.
La notion de fraude organisée
La fraude organisée des droits des créanciers est en particulier établie dans le cas du versement de sommes d'argent sur un contrat d'assurance-vie par un débiteur en cessation de paiements placé sous le régime d’une procédure de redressement judiciaire de son entreprise.
C’est pour faire face à ces nouvelles situations de fraude que la loi du 9 juil. 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a introduit dans le Code de procédure pénale l'art. 706-155 qui dispose que : "Lorsque la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l'attente du jugement définitif au fond. Cette saisie interdit également toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l'attente de ce jugement et l'assureur ne peut alors plus consentir d'avances au contractant. Cette saisie est notifiée au souscripteur ainsi qu'à l'assureur ou à l'organisme auprès duquel le contrat a été souscrit".
Certains ont vu dans cette évolution législative la fin du principe de l’insaisissabilité des contrats d’assurance-vie. En réalité, le débat n’est pas aussi tranché, la loi précitée n’avait d’autre objectif que de verrouiller des actes de gestion tels que la valeur de rachat, de renonciation et de nantissement, ainsi que toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat en attendant le jugement définitif au fond. En cela, elle a contribué à préserver le caractère insaisissable de l’assurance-vie sur le plan civil. Mais sur le plan pénal, elle donne les moyens de mettre en place, dès le début de l’instruction, une procédure de saisie pénale.
Dans le cadre d’un contrat obsèques, et comme nous l’avions rappelé précédemment, l’arsenal commenté et analysé est vidé de sa substance dans la mesure où la rapidité de déblocage des fonds - liée aux délais rapprochés de l’inhumation ou de la crémation - ne permet pas de déclencher des actions, ce qui explique la vigilance préventive des compagnies d’assurance.
Méziane Bénarab,
directeur général OFPF.
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