Dans le cadre de notre série "Faire le point sur la prévoyance funéraire", nous avons vu successivement les différents types de contrats que l’on peut trouver sur le marché, les recommandations de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en matière de contrats obsèques, le devoir de conseil des intermédiaires d’assurance, donc des opérateurs funéraires, la revalorisation des contrats obsèques. Aujourd’hui, nous allons aborder les interactions entre services funéraires et prévoyance.
Maurice Abitbol, directeur d’Obsèques Prévoyance. |
Le marché des services funéraires
Le marché des services funéraires, comme tout marché, se définit par la rencontre d’une demande et d’une offre. Selon l’INSEE, en 2013, 569 200 personnes sont décédées en France. Les décès sont les plus nombreux à 87 ans pour les hommes et à 92 ans pour les femmes. 70 % des décès surviennent en établissement de santé ou maison de retraite et 25 % au domicile du défunt. La demande se caractérise par plusieurs éléments. La mort est de moins en moins un tabou. Les rituels funéraires se simplifient, mais se multiplient, car nous vivons dans une société multiculturelle. Parallèlement à cette simplification, une demande de personnalisation se fait de plus en plus forte. L’utilisation des chambres funéraires pour rendre un dernier hommage au défunt est de plus en plus courante.
L’examen de la demande atteste de l’existence d’une zone de chalandise proche du domicile de la famille, du lieu de décès ou du lieu de sépulture du défunt. Le client souhaite un opérateur de proximité qui lui donne une garantie d’écoute, de rapidité d’intervention, et d’adaptation. Différentes enquêtes montrent qu’il apprécie que cet opérateur de proximité bénéficie d’une enseigne nationale, qui semble lui donner une garantie supplémentaire de professionnalisme. L’exigence de proximité et de professionnalisme caractérise l’évolution de la demande.
La disparition du monopole des pompes funèbres a entraîné une augmentation du nombre d’opérateurs funéraires. L’offre de services funéraires, sous la pression d’une concurrence accrue, n’a pas échappé à une structuration comparable à celle qu’ont connue les autres secteurs du commerce, concentration et/ou adoption de différentes formes de commerce organisé. Et ce d’autant plus que l’âge des opérateurs funéraires les rapproche de la retraite et les oblige à se préoccuper de la transmission de leur entreprise.
Ce marché est en pleine mutation. Les principaux facteurs d’influence qui le modifient sont l’évolution démographique, l’augmentation relativement importante de la crémation par rapport à l’inhumation et le développement continu de la prévoyance funéraire. De plus, le secteur funéraire n’échappera sans doute pas à l’influence du développement d’internet.
Les facteurs d’influence
La démographie
Les prévisions démographiques nous annoncent que le nombre annuel de décès devrait dépasser progressivement les 700 000 lors des deux prochaines décennies. Le baby boom de l’après-guerre deviendra le papy boom. Le vieillissement de la population est un fait, nous allons connaître une augmentation du nombre annuel des décès. Cette perspective de développement, associée au vieillissement des chefs d’entreprise et à une concurrence accrue qui fragilise la rentabilité des entreprises, amène des groupes financiers et industriels à s’intéresser au secteur. Par ailleurs, des groupements d’entreprises ont vu le jour : franchises, concessions de marques, groupements d’achats, etc. Autant de phénomènes qui poussent à la concentration de l’offre, malgré l’attachement des opérateurs funéraires indépendants à leur autonomie.
La crémation
L’augmentation du nombre de crémations est une tendance observée depuis plusieurs années. Le pourcentage de crémations par rapport au nombre total des décès est passé de 0,4 % en 1965 à plus de 33 % actuellement. Avec le nombre de projets de crématorium en cours de réalisation et la saturation des cimetières, il faut s’attendre à ce que cette tendance à la progression se poursuive. Certains prédisent que nous dépasserons rapidement les 50 %. Ce développement de la crémation se fait au détriment de l’inhumation. Le chiffre d’affaires généré par une crémation est inférieur à celui d’une inhumation. Globalement, nous pouvons estimer que l’augmentation du nombre de décès dans les années à venir ne s’accompagnera pas d’une même augmentation du chiffre d’affaires, car elle sera en grande partie absorbée par un transfert de l’inhumation vers la crémation.
Il y a en France 167 crématoriums, 75 % de ces établissements sont gérés en délégation de service public. En 2018, l’arrêté précisant les quantités maximales de polluants autorisées entrera en application et contraindra les établissements à moderniser leurs installations pour respecter les nouvelles normes. Le coût de la filtration représente le double du coût du four, sans compter le coût de l’agrandissement des bâtiments, souvent nécessaire. En conséquence, il faut s’attendre à une augmentation des tarifs de crémation.
Le législateur envisage de mettre en place un schéma directeur d’implantation pour équilibrer l’équipement sur le territoire. Le recours croissant des Français à la crémation et l’insuffisance du nombre de crématoriums avec une implantation géographique qui ne correspond pas aux besoins des familles rendent nécessaire, selon un collectif de sénateurs, l’instauration d’un schéma régional des crématoriums.
La prévoyance funéraire
À l’origine, le contrat obsèques a été créé par les opérateurs funéraires. C’est pour répondre à la demande des clients que les professionnels ont imaginé un contrat permettant aux clients de payer par avance leurs frais d’obsèques. Le décret de 1995 a rendu obligatoire le passage par une compagnie d’assurance pour le financement des obsèques. Le secteur de l’assurance s’est donc vu offrir un nouveau champ d’intervention. Quelle que soit la forme de la prévoyance obsèques, le secteur de l’assurance est un intervenant incontournable.
La forme traditionnelle d’intervention de l’assurance est l’assurance décès, c’est-à-dire le versement d’un capital au moment du décès de l’assuré en contrepartie de cotisations versées par le souscripteur, cotisation unique ou cotisations périodiques. Les grandes banques, dans un souci de diversification et de rentabilisation de leur réseau d’agences, se sont lancées dans l’assurance et viennent concurrencer les grandes compagnies d’assurance, dont certaines ont répliqué en développant des activités bancaires. Ainsi est née la bancassurance.
La bancassurance, cherchant à développer son activité, s’est lancée dans la prévoyance funéraire avec prestations funéraires, et a conclu des accords avec des entreprises ou des groupes d’entreprises capables d’offrir des services funéraires au même prix sur tout le territoire. Ils favorisent ainsi les grosses entreprises, les concentrations et les regroupements d’entreprises.
Le nombre de funérailles financées par un contrat de prévoyance est en constante augmentation. Il devrait dépasser 30 % du nombre de décès. La part des opérateurs funéraires dans la conclusion de ces contrats est relativement faible. Environ un quart des contrats comportent des dispositions funéraires précises. De plus, les opérateurs doivent adosser leurs contrats de prestations à un contrat d’assurance. Les réseaux comme les indépendants ont donc recours à des intermédiaires d’assurances (courtiers, agents ou mandataires). Et à ce niveau aussi des changements notables ont eu lieu. Rachat, concentration et regroupement font que deux groupes dominent très nettement l’offre de prévoyance funéraire et ne laissent pas beaucoup de place à des intervenants indépendants.
Le développement d’Internet
La numérisation croissante de l’économie et la généralisation de l’utilisation d’Internet n’épargnent pas le secteur funéraire. L’utilisation d’Internet est de plus en plus prisée, mais reste marginale. Selon une enquête du CREDOC pour le compte de la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (CSNAF), de plus en plus de personnes, pour l’organisation de futures obsèques, se déclarent prêtes à utiliser Internet pour se renseigner sur les démarches à faire (41 %) ou pour établir un devis auprès d’un opérateur funéraire (31 %). Les entreprises du funéraire ne doivent pas négliger les conséquences du développement d’Internet sur les pratiques commerciales dans leur secteur d’activité, et pas seulement dans le domaine de la communication.
La régulation du marché funéraire
Le législateur est intervenu pour réglementer la prévoyance funéraire à l’occasion de la libéralisation du secteur des activités funéraires pour protéger les souscripteurs de contrat de financement d’obsèques. Il est intervenu ensuite pour "éviter la re-monopolisation rampante" que craignaient nombre d’entreprises du secteur funéraire suite à la vente de contrats obsèques par un certain nombre de banques, qui ne sont conclus qu’au profit d’un seul groupement d’entreprises au détriment de l’ensemble des autres opérateurs, et ce, sans que le souscripteur ait clairement conscience de choisir son opérateur funéraire. Des dispositions ont été prises dans l’objectif de garantir au contractant ou au souscripteur d’une formule de prestations d’obsèques à l’avance sa pleine et entière liberté de choix sa vie durant.
La loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013 comporte un certain nombre de dispositions concernant la prévoyance funéraire. Ces dispositions précisent que toute formule de financement d’obsèques doit prévoir expressément que le capital versé au bénéficiaire doit être affecté au financement des obsèques et que le contenu des prestations doit être détaillé et personnalisé. Il est aussi précisé que, chaque année, les contrats prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance se verront affecter des bénéfices techniques et financiers conformément à l’art. L. 132-5 du Code des assurances. Le souci du législateur est de garantir un niveau de revalorisation des contrats.
La réglementation de la prévoyance funéraire a visé d’abord à empêcher la reconstitution du monopole au travers des contrats packagés, puis la financiarisation des obsèques au travers des contrats standardisés, et enfin, en 2013, à préserver le caractère de proximité du marché des prestations funéraires en précisant que le contrat obsèques en prestations doit obligatoirement prévoir le contenu détaillé et personnalisé des prestations obsèques.
En conclusion
Le marché des services funéraires et le marché de la prévoyance funéraire sont en interaction. Le secteur des services funéraires connaît une forte tendance à la structuration de l’offre sous la forme de concentration et/ou d’adoption de différentes formes de commerce organisé. L’exigence de proximité et de professionnalisme caractérise l’évolution de la demande et ne peut être ignorée par les acteurs.
Au niveau de la prévoyance funéraire, l’exigence de proximité est moins forte, sauf que, dans le cas de prestations funéraires détaillées et personnalisées adossées au contrat d’assurance, elle reste au cœur de la demande. Ces marchés sont en pleine mutation, et nous connaîtrons encore dans les prochaines années des évolutions qu’il est difficile d’anticiper avec certitude.
Maurice Abitbol
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Résonance n°111 - Juin 2015
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