Le monde est en pleine mutation, l’économie s’est globalisée, les progrès technologiques sont fulgurants et modifient en permanence les données économiques. Tous les secteurs de l’économie sont en mutation. Le secteur funéraire est peut-être un des secteurs les moins exposés, le plus attaché à la tradition, et pourtant, il est aussi en pleine évolution. Qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui va encore bouger ?
Maurice Abitbol, directeur d’Obsèques Prévoyance |
Évolution de la société
Le monde bouge, la société évolue. De plus en plus de choses qui n’étaient pas imaginables par nos parents deviennent courantes pour nous. L’attitude vis-à-vis de la mort est une de ces choses qui évoluent beaucoup.
Le temps où la plupart de nos concitoyens naissaient, s’instruisaient, travaillaient et mouraient au même endroit fait partie du passé. La famille se réduit le plus souvent à son noyau : père, mère, enfants. Les grands-parents sont souvent isolés. La famille monoparentale s’est développée.
Dans nos sociétés occidentales contemporaines, les rituels funéraires sont nettement simplifiés, quand ils ne tendent pas à disparaître. Nous observons cette évolution depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Nous constatons une désaffection croissante vis-à-vis des pratiques religieuses. Ce phénomène va de pair avec des transformations sociales comme l’éclatement des familles et leur dispersion géographique. La culture citadine est prédominante. Le domicile n’est plus le lieu de la fin de la vie. Ces changements sociaux ne permettent plus les rituels d’autrefois : les veillées sont rares et les repas de deuil aussi.
Le décès survient le plus souvent à l’hôpital ou en maison de retraite
Tout est mis en œuvre pour rendre la mort plus hygiénique et pour la faire oublier. Il devient inconvenant de montrer sa douleur en public. L’individu est renvoyé à sa propre solitude et à son seul désarroi. Il s’en remet alors à des professionnels qui doivent, implicitement, prendre en charge ce qui incombait habituellement au groupe frappé par la disparition d’un de ses membres. Sans le recours au symbole et au réconfort apporté par les rites, l’homme sera de plus en plus seul pour assumer sa propre fin, mais aussi pour affronter celle de l’autre.
Après les Trente Glorieuses, années de développement économique continu d’après-guerre, les difficultés économiques et la globalisation de l’économie ont eu pour conséquence une inversion des choses au niveau du pouvoir d’achat dans les familles. Il y a quelques années, les enfants aidaient leurs parents parvenus à l’âge de la retraite, car souvent la situation des enfants était meilleure que celle de leurs parents. De plus en plus aujourd’hui, ce sont les parents qui aident les enfants et parfois même les petits-enfants.
Ces facteurs sociologiques poussent au développement du financement des obsèques à l’avance. Nombre de nos concitoyens font le choix de la prévoyance funéraire. Leur décision est dictée par le souci d’éviter à leurs proches les contraintes matérielles, financières et administratives consécutives à leur décès en organisant à l’avance les conditions de leurs obsèques (culte, inhumation/crémation, prestations funéraires choisies, etc.) et la mise en place d’une garantie financière (contrat d’assurance).
Évolution de la législation
La loi de 1904 organisait les services funéraires et confiait le service extérieur aux communes. Celles-ci exerçaient cette activité :
- en régie municipale directement par la mairie (choix de nombreuses grandes villes : Paris, Lyon, Marseille...) ou en régie intercommunale regroupée autour de plusieurs communes (Grenoble),
- en s’en déchargeant partiellement ou totalement auprès d’entreprises privées concessionnaires,
- en laissant libre l’organisation du service extérieur des pompes funèbres. Au fil des années, un seul groupe d’entreprises obtint, dans la plupart des communes, la concession du service funéraire, en introduisant la notion d’exclusivité dans les contrats.
Le secteur funéraire a été faussé par l’existence d’un monopole qui ne s’exerçait pas de la même manière sur tout le territoire national. Ce monopole avait fini par ne bénéficier qu’à un grand groupe privé qui, par le biais de la concession de service public notamment, s’était accaparé plus de 50 % du marché. La loi de 1993 et l’abolition définitive du monopole ont ramené ce marché dans le jeu de la concurrence.
La loi a aboli le monopole communal du service extérieur, et soumis l’exercice de la profession d’opérateur funéraire à une formation et à une habilitation préfectorale. Les intérêts moraux et financiers de la famille endeuillée font l’objet de dispositions particulières. La liberté du choix de l’opérateur funéraire est assurée. Des mesures sont imposées aux opérateurs pour garantir aux familles une meilleure information et une libre concurrence. La commercialisation des contrats de financement en prévision d’obsèques est réglementée.
La nouvelle réglementation et l’instauration de la concurrence ont favorisé la multiplication du nombre d’opérateurs et la modernisation de la profession.
Le secteur des prestations funéraires reste assez atomisé, les très petites entreprises composent l’essentiel du tissu économique du secteur. Vu l’âge moyen des chefs d’entreprise et les perspectives de développement, un mouvement de regroupement se développe. Le départ à la retraite des dirigeants d’aujourd’hui et l’arrivée de jeunes aux commandes modifient cette résistance au regroupement. Si la notion de proximité avec la clientèle reste centrale, la tendance dominante est l’affiliation à un réseau afin de pallier les désavantages liés à la petite taille des opérateurs. Le secteur n’échappe pas aux différentes formes de commerces organisés qui sévissent dans les autres secteurs d’activité.
L’évolution de la législation favorise une plus grande professionnalisation, et impose une meilleure formation des intervenants et le respect d’une déontologie stricte.
Un marché porteur
Depuis de nombreuses années, les prévisionnistes nous annoncent que le "baby boom" de l’après-guerre va se transformer en "papy boom". En toute logique, étant donné l’espérance de vie, le nombre annuel de décès en France devrait dépasser les 800 000 en 2040, soit une progression de plus de 40 % en quarante ans. Cette perspective de développement du marché ne manque pas d’attirer beaucoup d’investisseurs, qui considèrent que ce marché est porteur et digne d’intérêt. Pour le moment, ce type de prévision est loin de se réaliser, puisque nous sommes passés de 552 339 décès en 2003 à 559 227 en 2012. Et les estimations de 2013 et les perspectives de 2014 ne sont guère plus favorables. La canicule de 2003 et ses conséquences ont beaucoup perturbé la croissance continue du nombre de décès. Les progrès de la médecine, l’évolution des conditions de vie, l’amélioration de l’alimentation ont permis d’augmenter l’espérance de vie en France et retardent d’autant la réalisation de ces prévisions. Mais l’espoir persiste de participer à un marché porteur qui ne pourra que se développer.
Les principaux facteurs de changement
La concurrence a poussé à la généralisation de certains services comme les soins de conservation et surtout l’utilisation des chambres funéraires.
La part de la crémation dans le nombre total des décès en France est passée de 1 % en 1980 à 17 % en 2000 et à presque 33 % en 2013. Cette croissance continue de la crémation va se poursuivre, pour dépasser les 50 % dans les prochaines années. Cette augmentation n’est pas homogène selon les régions et est influencée par l’implantation des crématoriums. Il y a plus de 130 crématoriums en France et leur nombre ne cesse d’augmenter. Réglementairement, la création d’un crématorium dépend de l’initiative des pouvoirs publics, mais peut être gérée par le privé sous la forme de la délégation de service public. Ce développement de la crémation se fait au détriment de l’inhumation. Le chiffre d’affaires généré par une crémation est inférieur à celui d’une inhumation. Globalement, nous pouvons estimer que l’augmentation du nombre de décès dans les années à venir ne s’accompagnera pas d’une même augmentation du chiffre d’affaires, car elle sera en grande partie absorbée par un transfert de l’inhumation vers la crémation.
Selon une étude de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d’assurances, le nombre de contrats d’assurance obsèques en cours dans les sociétés d’assurances à la fin de l’année 2011 s’élève à près de 3 millions, en progression de 7 % sur un an. Les contrats en capital (non adossés à un contrat de prestations funéraires) représentent 74 % du portefeuille (soit 2,2 millions de contrats), les contrats adossés à un contrat de prestations funéraires (contrats en prestations) représentant un quart du portefeuille. Le nombre de personnes décédées et détentrices d’un contrat d’assurance obsèques ayant fait l’objet d’un règlement dans l’année, en 2011, représente 18,3 % de l’ensemble des personnes décédées en France, soit une part relative qui augmente chaque année. Nous dépasserons sans doute les 20 % en 2014.
Nous sommes passés de 8,5 % décès couverts par un contrat obsèques en 2003 à plus de 20 % (estimation) en 2014. Si cette progression se maintient, nous allons vers un taux de 50 % des décès couverts par un contrat obsèques en 2040.
Conclusion
Même si tous les professionnels s’accordent pour estimer que le secteur des prestations funéraires n’est pas un terrain très favorable aux innovations, force est de constater que, sur les trente dernières années, les choses ont beaucoup bougé. Les évolutions de la société, des mœurs et de la législation ont été des facteurs de changements importants. Le développement de la numérisation croissante de l’économie et la généralisation de l’utilisation d’Internet n’épargnent pas le secteur funéraire, et l’avenir ne manquera pas d’être imprimé par ce nouveau moteur de modernisation.
Maurice Abitbol
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