Dans son enquête sur les contrats d’assurance-vie non réclamés, la Cour des comptes a non seulement dénoncé la situation qui prévaut en la matière, mais également plaidé pour la mise en place d’un mécanisme coercitif visant à inciter les assureurs à déployer plus d’efforts en la matière. La deuxième partie de notre article est consacrée aux difficultés rencontrées par les assureurs en matière de traitement du stock de contrats, et aux solutions suggérées en vue d’une plus grande efficacité dans ce domaine.
Méziane Benarab, directeur général de l’OFPF. |
1 - Les difficultés rencontrées par les assureurs : un frein au traitement du stock
À force de refuser de faire face à la situation des contrats en déshérence, les assureurs ont été débordés par un stock de garanties de plus en plus important, au point de rendre ardue toute tentative d’assainissement. Approfondissant son analyse, la Cour des comptes a dressé un état détaillé des difficultés dans le traitement du stock historique de contrats non réclamés, rencontrées par les compagnies d’assurances. Elles tiennent générakement :
- à la date parfois très ancienne du décès de l’assuré, qui nécessite de procéder à une recherche de bénéficiaires au niveau de la deuxième ou de la troisième génération ;
- aux différentes modalités de réponse des mairies à des demandes de communication d’actes de décès. On notera qu'une société d’assurances fait état d’un taux de réponse de 50 % environ avant relance ;
- aux modalités de réponses variables des notaires à des demandes de communication de dévolutions successorales en vue de rechercher les enfants ou héritiers de l’assuré décédé. Cependant, certaines compagnies mettent en avant l’amélioration de la qualité des relations avec les notaires grâce à la loi du 17 décembre 2007, dans la mesure où celle-ci confère une légitimité renforcée aux assureurs pour demander la communication de documents aux notaires dans le cadre de la recherche de bénéficiaires ;
- à la lourdeur des procédures fiscales préalables au versement des prestations aux bénéficiaires. En effet, en raison des formalités à accomplir auprès de l’administration fiscale pour obtenir le versement des prestations, certains bénéficiaires de petits montants de capitaux préfèrent renoncer au bénéfice de ces prestations, générant ainsi des contrats non réclamés ;
- au manque de moyens humains dans les sociétés d’assurances pour permettre le traitement des décès antérieurs à 2007. En raison de la complexité des recherches, plusieurs assureurs ont opté pour la mise en place d’une "force opérationnelle" ponctuelle chargée du traitement de ces dossiers.
2 - Moins de difficultés et donc plus de réactivité, lorsque le décès est déclaré à l’assureur par un proche du défunt, mais toujours plus de défaillance dans le traitement des flux
Constat de la Cour des comptes : le versement des prestations d’assurance apparaît plus rapide lorsque le décès est déclaré à l’assureur par l’entourage ou par le notaire, plutôt qu’à l’issue d’une recherche de bénéficiaires par l’assureur, à la suite de l’identification des décès grâce à la consultation du RNIPP (Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques).
Néanmoins, la Cour des comptes craint que les défaillances dans le traitement du flux des décès n’aboutissent, à terme, à la reconstitution d’un stock de contrats lorsque le décès a été identifié mais qu'aucune recherche de bénéficiaire n’a été entamée.
Plusieurs raisons peuvent expliquer les défaillances constatées dans le traitement du flux des décès :
- des procédures de recherche des bénéficiaires inadaptées ou inexistantes, qui conduisent à faire peser l’intégralité des recherches sur les réseaux de distribution des assureurs, sans pilotage ni contrôle de ceux-ci. L’obligation de moyens en matière de recherche de bénéficiaires introduite par la loi pèse alors sur l’assureur et non sur le distributeur ;
- un dimensionnement insuffisant des moyens humains dans les équipes de recherche de bénéficiaires centralisées au niveau des assureurs, qui ne permet pas de traiter le flux régulier des dossiers. À titre d’exemple, il a été constaté que l’équipe de consultation du RNIPP et de recherche des bénéficiaires identifiés par ce biais est constituée de deux personnes dans une société d’assurances de taille moyenne. Dans la mesure où le suivi par les sociétés d’assurances du traitement du flux des décès identifiés est insuffisant, il est difficile d’estimer les modalités de mise en œuvre par l’ensemble des assureurs de l’obligation de moyens qui leur incombe en matière de recherche des bénéficiaires.
Pour les entreprises disposant d’un suivi du traitement des décès, l’efficacité des recherches de bénéficiaires apparaît inégale et témoigne de l’hétérogénéité des moyens mis en œuvre par les assureurs pour retrouver les bénéficiaires de contrats non réclamés. De plus, des défaillances identifiées dans le traitement du flux des décès ont pu conduire à la reconstitution d’un stock de contrats non réclamés.
Il convient de rappeler l’obligation pour les assureurs de mettre en place les moyens nécessaires pour traiter dans des délais raisonnables le flux de contrats dénoués par le décès de l’assuré afin d’éviter la reconstitution d’un stock de contrats non réclamés.
3 - Afin de favoriser une meilleure application des dispositions, la Cour préconise que l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) adopte une recommandation de bonnes pratiques relatives aux contrats d’assurance-vie non réclamés
Dans son rapport, la Cour des comptes précède ses recommandations en matière de traitement des contrats en déshérence du rappel d’un cas de bonne pratique développée par un assureur.
a) Exemple de bonne pratique en matière de traitement des contrats à terme constatée au sein d’une entreprise d’assurances
1) Avant et à l’échéance du contrat, l’assureur informe par courrier l’assuré ou le bénéficiaire de la disponibilité des fonds.
2) À défaut de réponse de l’assuré ou du bénéficiaire, un mois après l’échéance, l’assureur demande à l’apporteur d’intervenir directement auprès de son client pour mettre en œuvre la procédure de règlement.
3) Pour identifier les décès d’assurés ou de bénéficiaires de contrats échus non réglés, l’assureur consulte le RNIPP pour l’ensemble de son portefeuille de contrats à terme.
4) En cas de décès de l’assuré ou du bénéficiaire, une recherche de bénéficiaires est déclenchée.
Sur la base de cette expérience, la Cour suggère que l’ACP adopte une recommandation de bonnes pratiques relatives aux contrats d’assurance-vie non réclamés.
Cette recommandation aurait pour objet de déterminer des normes de gestion dans les domaines dans lesquels des défaillances ont été constatées, c’est-à-dire :
- la nature des contrats devant faire l’objet d’une consultation du RNIPP en vue d’identifier les assurés décédés ;
- les modalités de recherche des bénéficiaires, notamment les diligences minimales à accomplir pour remplir l’obligation de moyens à la charge des assureurs ;
- les procédures de traitement des retours de courriers en NPAI ("N’habite pas à l’adresse indiquée") ;
- la qualité de rédaction des clauses bénéficiaires ;
- les modalités de revalorisation post mortem ;
- les modalités et la fréquence d’information des assurés pour les différents types de contrats d’assurance-vie.
L’outil de la recommandation de bonnes pratiques de l’ACP est déjà prévu à l’art. L. 612-1 du Code monétaire et financier. La recommandation de l’Autorité de contrôle prudentiel vise à formuler des préconisations pratiques de mise en œuvre de la législation. Elle peut donner lieu à une mise en garde par l’Autorité de contrôle prudentiel lors de contrôles et peut conduire à une procédure disciplinaire.
b) En arrière-plan de la question des contrats en déshérence : que faire des avoirs non réclamés et pour lesquels aucun bénéficiaire ou héritier n’a été identifié ?
Cette interrogation pose, avec acuité, la question de la mise en œuvre de la prescription au profit de l’État. En effet, les avoirs bancaires et d’assurances, faute d’avoir été réclamés pendant trente ans par leur propriétaire, ou leur bénéficiaire dans le cas des contrats d’assurance sur la vie, auprès de l’établissement bancaire dépositaire ou de l’organisme d’assurances, sont acquis à l’État.
Cette déchéance de propriété au profit de l’État des avoirs placés auprès d’un établissement de crédit remonte à la loi du 25 juin 1920 "portant création de nouvelles ressources fiscales", dont l’art. 111 a ensuite été codifié à l’art. L. 27 du Code du domaine de l’État, puis, à la suite de l’ordonnance du 21 avril 2006 créant le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), à l’art. L.1126-1 de ce même Code. Cet article est devenu applicable aux livrets A à compter du 1er janvier 2009.
Les contrats d’assurance-vie n’ont été inclus que récemment dans le champ d’application de la déchéance de propriété au profit de l’État, à la suite de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
4 - Quel impact pour les opérateurs funéraires ?
La problématique des contrats obsèques en déshérence interpelle également les opérateurs funéraires. Elle les contraint immédiatement à la mise en place de bonnes pratiques qui ne feront qu’améliorer son image de marque auprès des familles et des assureurs. Certes, l’essentiel des contrats d’assurance-vie non réclamés s’explique par l’imprécision de la rédaction de la clause bénéficiaire, mais en matière de contrats obsèques, l’opérateur funéraire est généralement bien identifié en sa qualité de bénéficiaire.
Pourtant, le phénomène de la portabilité des prestations funéraires, lié à la mobilité des assurés, réserve de plus en plus de surprises aux opérateurs funéraires. Et il n’est pas rare qu’un opérateur funéraire découvre, le jour même du décès, que son assuré a déménagé. Ce type de situation renseigne bien sur la capacité de l’opérateur à "filtrer" assez fréquemment son portefeuille de contrats obsèques et à mettre en place un mécanisme de veille à même de le sensibiliser au statut de ses assurés. Les retours NPAI constituent un des indices de travail et donc de l’identification des contrats en déshérence. Il peut arriver que le facteur, véritable lien social sur le terrain, ayant côtoyé l’assuré, porte à la main sur le courrier à retourner la mention "décédé".
Sur un autre plan, l’opérateur doit être attentif à l’âge moyen de son portefeuille de contrats, les centenaires devant attirer son attention. À ce sujet, le rapport de la Cour des comptes révèle, à propos des avoirs bancaires, que, sur l’ensemble des banques consultées et ayant répondu, le nombre de clients ayant entre 90 et 100 ans et détenteurs d’un compte s’élève à 1 278 850, alors que l’Insee recense seulement 609 871 personnes dans cette classe d’âge. Le nombre de centenaires ayant un compte ouvert s’élève à 674 014, alors que la France compte seulement 20 106 personnes de cet âge. Même si des phénomènes de double détention ne peuvent être exclus, l’ampleur de l’écart conduit à penser que nombre de ces titulaires sont aujourd’hui décédés, dont certains depuis une longue période. Une partie de ces comptes correspond donc à des avoirs bancaires "non réclamés".
Enfin, dans le cadre du stock constitué au niveau des assureurs, il est évident qu’un nombre important de contrats obsèques sont encore actifs, alors que leurs titulaires sont décédés. Dans ce cas précis, l’opérateur n’ayant pas eu connaissance du décès, mais ayant fait souscrire le contrat, est amené à jouer un rôle de relais auprès de l’assureur des familles. Sollicité par l’assureur, il ne manquera pas de contribuer à l’identification des héritiers du défunt afin que le capital leur soit reversé. Sous cet angle, l’opérateur funéraire est amené à agir au service de la famille en l’aidant à bénéficier d’un complément budgétaire appréciable. Il est à espérer que les assureurs, sur qui pèse désormais une obligation de recherche des contrats en déshérence, sollicitent de plus en plus les opérateurs funéraires afin de les accompagner dans ces opérations.
Méziane Benarab
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