Méziane Benarab, directeur général de l'OFPF. |
Et si c’était l’arlésienne des assureurs ! D’année en année des dispositifs légaux sont mis en place sans pour autant se montrer efficaces. Dans son rapport de juin 2013, présenté devant l’Assemblée nationale, la Cour des comptes dresse un constat critique et pointe du doigt l’inefficacité de tout dispositif dans la mesure où il n’est pas directement connecté au Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques (RNIPP). La récente loi relative à la régulation des activités bancaires va encore plus loin en obligeant à la publication d’un rapport annuel sur les actifs en déshérence. Retour sur un dossier sensible, que nous vous proposons de traiter en deux parties.
Les contrats "non réclamés" désignent les sommes dues au titre des contrats d’assurance-vie qui ne sont pas redistribuées aux bénéficiaires désignés dans les contrats après le décès des souscripteurs.
Ces sommes représentent un encours important en valeur absolue, même s’il s’agit d’une proportion minime du total de l’encours des contrats d’assurance-vie qui était évalué en avril 2013 à 1 416,2 Md€ par la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA).
Certes les nouvelles obligations introduites en 2007 se sont révélées efficaces dans la mesure où elles ont permis d’identifier 1,78 Md€ de contrats pour lesquelles le décès de l’assuré a été signalé à l’assureur. Les portefeuilles recèlent encore une masse importante de centenaires dont les contrats sont actifs.
À titre de comparaison, concernant les avoirs bancaires, sur l’ensemble des banques consultées et ayant répondu à l’enquête de la Cour des comptes, le nombre de clients ayant entre 90 et 100 ans et détenteurs d’un compte s’élève à 1 278 850, alors que l’INSEE recense seulement 609 871 personnes dans cette classe d’âge.
Le nombre de centenaires ayant un compte ouvert s’élève à 674 014, alors que la France compte seulement 20 106 personnes de cet âge. Même si des phénomènes de double détention ne peuvent être exclus, l’ampleur de l’écart conduit à penser que nombre de ces titulaires sont aujourd’hui décédés, dont certains depuis une longue période. Une partie de ces comptes correspond donc à des avoirs bancaires "non réclamés". 92 % des clients centenaires sont des clients des réseaux distributeurs historiques du livret A, pour un encours de près de 950 M€, constitué très largement de livrets A. Si l’on formule l’hypothèse que les 20 106 centenaires recensés par l’INSEE sont clients d’un de ces réseaux, les autres centenaires sont des clients décédés, pour la majorité depuis une longue période ; leurs avoirs peuvent donc être évalués à 918 M€ et considérés comme "non réclamés".
La loi du 17 décembre 2007 a constitué une importante avancée en matière de protection des épargnants
Les assureurs ont désormais l’obligation explicite d’identifier leurs assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats, alors qu’auparavant il revenait, de facto, aux bénéficiaires de se manifester auprès de l’assureur au moment du décès de l’assuré. Dans la mesure où de nombreux bénéficiaires n’étaient pas eux-mêmes informés de l’existence d’un contrat d’assurance-vie à leur profit, chaque année, plusieurs milliards d’euros restaient ainsi en possession des compagnies d’assurance alors qu’ils auraient dû être reversés à des bénéficiaires, conformément à la volonté des personnes décédées et aux termes du contrat.
Les nouvelles obligations introduites en 2007 se sont révélées efficaces. Elles ont permis, entre 2008 et 2012, d’identifier 1,78 Md€ de prestations pour lesquelles le décès de l’assuré n’avait pas été porté à la connaissance de l’assureur – par la famille ou le notaire par exemple – et qui n’auraient pas fait l’objet de règlement en l’absence de la loi de 2007.
De même, la recherche des bénéficiaires, lorsqu’elle est correctement mise en oeuvre par les organismes d’assurance, permet quasi systématiquement de retrouver les bénéficiaires de contrats non réclamés, le taux d’abandon des recherches étant inférieur à 5 %.
La loi du 17 décembre 2007 n’a pas encore pu faire sentir pleinement ses effets
La loi du 17 décembre 2007 n’est pas intégralement appliquée par les assureurs, alors même que son entrée en vigueur date de plus de 6 ans, qu’il s’agisse de l’obligation de consulter les données relatives au décès des personnes inscrites au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), pour identifier les assurés décédés, ou de celle de rechercher les bénéficiaires de contrats d’assurance-vie, une fois le décès de l’assuré connu. Les organismes d’assurance n’ont manifestement pris conscience que tardivement des nouvelles responsabilités que leur confiait la loi.
La campagne de contrôles, à la fois sur pièces et sur place, lancée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) depuis 2011 a conduit les entreprises d’assurance contrôlées à prendre des engagements pour appliquer la loi du 17 décembre 2007. Pour autant, ces engagements se limitent aux seules cinq compagnies contrôlées par l’Autorité de contrôle prudentiel, représentant 23 % du marché de l’assurance-vie. Deux autres compagnies, représentant 23,4 % du marché, font actuellement l’objet de contrôles non finalisés. Les manquements à la loi constatés lors de ces contrôles n’ont donné lieu, à ce jour, à aucune sanction.
Les assureurs ont tardé à consulter le RNIPP pour identifier leurs assurés décédés
Les organismes d’assurance ont tardé à appliquer la loi de 2007 en raison de difficultés techniques et n’ont commencé à consulter le RNIPP qu’à partir de mars 2009, pour les plus diligents. Cependant, plusieurs institutions de prévoyance reconnaissent ne pas toujours consulter le fichier en 2013 tandis qu’une des plus grandes compagnies d’assurance du marché n’a entamé sa consultation qu’en 2011.
Lorsqu’ils consultent le RNIPP les assureurs ne le font pas pour l’ensemble de leurs assurés, en contradiction avec ce que prévoit la loi
En effet, les entreprises d’assurance ont appliqué, s’appuyant sur des engagements professionnels de la FFSA et du Groupement des Entreprises Mutuelles d'Assurance (GEMA), des critères restrictifs pour la consultation du RNIPP, qui ne figurent pas dans le texte de la loi. De manière générale, elles ne consultent le fichier des décès que pour les assurés âgés de plus de 90 ans ou dont le contrat est supérieur à 2 000 €. Ces pratiques des entreprises d’assurance ont pour conséquence que les bénéficiaires d’assurés décédés à moins de 90 ans ou les bénéficiaires de petits montants ont fort peu de chance de recevoir les prestations qui leur sont dues s’ils ne se manifestent pas auprès de l’assureur. L’enjeu est important dans la mesure où l’âge moyen des décès s’élève à 80 ans dans les entreprises interrogées et que les contrats de moins de 2 000 € représentent entre 20 et 30 % de l’ensemble des contrats d’assurance-vie.
Par ailleurs, les entreprises d’assurance s’abstiennent de consulter le RNIPP sur des pans entiers de portefeuilles de contrats d’assurance-vie, principalement les contrats à terme fixe, les contrats collectifs de prévoyance, les contrats collectifs de retraite ou les contrats acquis à l’occasion de fusions de sociétés qui restent gérés sur des systèmes d’information différents. Cette pratique entraîne des conséquences.
Méziane Benarab
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