Le monde du funéraire français peut s’enorgueillir de compter en son sein des professionnels d’exception : conseillers funéraire, maîtres de cérémonie, marbriers, graveurs, thanatopracteurs et porteurs font la richesse de cet univers si particulier toujours au service des familles.
Pour fédérer ces professions et porter haut les valeurs de ce milieu, la Fédération Française des Pompes Funèbres (FFPF) s’est depuis longtemps imposée comme partenaire incontournable des indépendants. Au sein de cette institution essentielle, Florence Fresse, qui en est la représentante depuis plus de 15 ans a décidé d’ajouter une nouvelle pierre à l’édifice de la connaissance funéraire auprès d’un nouvel interlocuteur : le grand public.
Elle a en effet publié en 2022 un ouvrage qui s’est vite imposé comme une référence : "La Mort en questions". Ce livre que l’on trouve aux éditions Fage, dans la collection Dilaceratio Corporis - des petits livres à la couverture noire et blanche bien identifiable - permet de répondre à beaucoup de questions que les familles se posent et auxquelles elles ne trouvent que peu de réponses fiables.
Traitant ces sujets si délicats, avec l’humour et la précision qui la caractérisent, Florence Fresse parvient à emporter le lecteur sur le chemin de la connaissance sans pour autant devenir trop technique. D’anecdotes en confidences, d’articles de loi en analyses du secteur, Florence montre une fois de plus sa très grande connaissance de ce milieu, de ses règles et de ses travers. Une lecture passionnante dont nous ne résistons pas, ici, à vous reproduire l’un des passages. Extraits…
La crémation
L’urne
L’urne funéraire, gros vase fermé posé avec respect sur une cheminée ou un buffet, dort pour l’éternité dans la maison avec nos chats et nos chiens… L’urne possède des attributions qu’on pourrait qualifier de paradoxales ; d’un côté c’est le réceptacle, la boîte opaque d’où sort le billet de l’heureux gagnant du tirage au sort, de l’autre, la boîte transparente du bureau de vote d’où le solennel "a voté" fait suite au dépôt de la petite enveloppe ou encore le vase servant de source d’approvisionnement en eau de nos ancêtres. Mais c’est aussi, dans le registre de la mort, le vase provisoire ou définitif qui contient des cendres de notre cher disparu.
Tantôt boîte, tantôt vase, l’urne funéraire se choisit avec tendresse car elle sera la dernière demeure du défunt. Oblongue, lisse, en métal doré ou argenté, en porcelaine ou en granit… Discrète aussi, bien souvent. Blanche, grise, ivoire, bordeaux, bleu marine… Le choix de l’urne par les proches se pose sur un objet qui serait susceptible de traverser des générations, intemporel et indémodable, qui ressemble tout de même un peu à ce qu’aurait pu choisir le défunt, un objet précieux et transmissible comme un buffet de grand-mère qui passe de foyer en foyer, de l’un à l’autre lors d’un héritage.
Comme les meubles de famille, souvenirs de tiroirs qu’une grand-mère n’ouvrait que pour distribuer des friandises ou trouver les allumettes qui flamberaient le journal de la veille et redonnaient vie au feu du foyer, comme ces odeurs de lavande ou d’épices qui nous ramènent à l’enfance, l’urne est une tombe, un cocon sacré de celui qui fut aimé, tout comme lui devenu inchangé et indémodable à jamais. Notez qu’a contrario de tout ce que je viens de dire, il existe des urnes en forme de ballon de football. Granit, métal, céramique et même de sel et carton, presque tous les matériaux peuvent entrer dans le catalogue des urnes funéraires.
Et si la crémation a longtemps été considérée comme le parent pauvre des obsèques, c’est aujourd’hui un choix opéré par presque la moitié des Français. Rendue – a priori – compatible avec une cérémonie religieuse à la suite du concile Vatican II, elle progresse et devient une option importante dans le choix de la sépulture. Toutefois, il faudra attendre fin 2021 pour trouver sur le net le verbe "crématiser" ajouté par le Robert à son dictionnaire, après des années de "lutte" pour que soit créé un verbe distinguant la mise au feu des hommes et celle des déchets.
Jeu de mots
Paris, octobre 2011
Monsieur le Président de la Commission générale de terminologie et de néologie,
Nous nous permettons par la présente de vous solliciter au sujet de l’absence d’un verbe dans la langue française dont la signification serait uniquement dévolue à la crémation des personnes.
En effet, si notre langue possède bien deux substantifs "crémation" et "incinération" pour désigner l’action de brûler, selon qu’il s’agit de cadavres ou de déchets, la langue française ne dispose en revanche que d’un seul verbe, incinérer, dont la définition du Larousse est la suivante :
- Réduire quelque chose en cendres, le détruire par le feu : incinérer les ordures ménagères.
- Faire brûler un cadavre.
Nous souhaiterions donc que soit créé un verbe dont la signification ne couvre que la deuxième acceptation.
Aujourd’hui, la plupart des professionnels que nous représentons et qui sont particulièrement concernés par des taux de plus en plus élevés de crémation comme en Alsace, utilisent par défaut un néologisme – plus ou moins heureux - forgé à partir du mot crémation, le verbe "crématiser", qui permet selon eux de ne pas choquer les familles, lorsqu’il s’agit de répondre aux questions concernant notamment le déroulement de la crémation de leur défunt.
Paris, janvier 2012
Madame la Déléguée générale,
[…] La création d’un verbe dérivé du nom "crématorium" ne répond pas à la nécessité de combler une lacune du vocabulaire français, le verbe incinérer répondant exactement à l’opération pratiquée.
Il ne semble pas justifié de vouloir s’écarter d’un usage très répandu au motif que la pratique de l’incinération s’applique également aux déchets. Certes, le terme "incinération" n’est pas réservé aux êtres humains. Pourtant, le verbe incinérer, attesté depuis le XIVe siècle et totalement ancré dans l’usage depuis le XIXe siècle, est non seulement parfaitement adapté sur le plan sémantique en ce qu’il recouvre strictement la notion, mais au-delà, il est porteur d’une décence et même d’une dignité d’autant plus forte qu’il est fréquent en littérature, de même que le mot cendres qui a la même étymologie.
On parle traditionnellement du choix de se faire incinérer, et on emploie couramment le mot cendres dans un sens élargi, dans les formules telles que "paix à ses cendres", "renaître de ses cendres". On évoque par exemple "le retour des cendres de Napoléon" ; on dit "les cendres de Voltaire sont au Panthéon", ou encore "honorer les cendres des morts" pour honorer leur mémoire, etc.
À l’inverse, on peut avancer que le mot "crémation", porteur de connotations très pénibles pour bien des gens en ce qu’il évoque les fours crématoires, peut heurter et qu’un verbe dérivé ne serait pas mieux perçu. Toutefois, dans la mesure où le verbe "crémer" (dont la variante cramer a pris une valeur très familière), bien que particulièrement rare, est attesté dans le sens de détruire un cadavre par le feu, rien n’interdit de l’employer, encore qu’il puisse paraître étranger.
Enfin, d’un strict point de vue morphologique, le néologisme "crématiser", calqué sur l’anglais selon une mode actuelle qui multiplie l’emploi du suffixe - iser, n’est pas conforme aux règles de formation des mots en français. Si l’usage s’en répand, il conviendra d’en prendre acte, mais on ne voit pas l’utilité de le recommander. Dans le cas où l’emploi du verbe incinérer pourrait créer une difficulté, il semble suffisant de recourir au verbe brûler qui traduit exactement le latin "cremare".
La demande que vous relayiez semble relever d’une tendance actuelle à appliquer aux mots une volonté de bienséance, motivation tout à fait honorable, mais peu pertinente sur le plan de la langue. C’est le propre de la plus grande partie des mots que de renvoyer à des réalités différentes et connotées de façons parfois opposées. On emploie couramment le verbe "enterrer" alors même qu’il est utilisé pour bien d’autres choses que les êtres humains ; on ne juge pas pour autant ce verbe inadéquat pour l’inhumation de personnes. […]
À l’instar de l’inhumation, il est possible, après la crémation, de déposer les cendres dans un cimetière. En effet, depuis janvier 2013, les communes de plus de deux mille habitants doivent proposer dans leur cimetière un site cinéraire, espace aménagé pour l’accueil des cendres ou des urnes funéraires. Le devenir des cendres est réglementé par la loi de 2008 qui a interdit qu’elles soient conservées à domicile.
L’ouvrage est disponible dans toutes les librairies au tarif de 11,80 €
Résonance n° 188 - Février 2023
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