Pierre Folacci est maintenant retraité, il fut le numéro deux de la brigade de répression du banditisme de Marseille. 35 années de police, de PJ, l’homme connaît le "milieu", celui des grands voyous, des caïds. Il offre un témoignage extrêmement intéressant de la vie de flic.
Ancien patron de la brigade de répression du banditisme, Pierre Folacci est "le" policier qui connaît par cœur Marseille et son évolution récente. Loin des clichés habituels, il se raconte et raconte son métier. La formation de policier qui ne prépare pas aux premières autopsies, les cris des familles de victimes qui ne s’oublient pas. La peur qui demeure avec l’expérience. Il n’est pas dans la culture de la police de prendre en compte cette souffrance subjective insupportable.
Il parle aussi de la violence des jeunes, qui est le produit d’intérêts occultes, d’une lutte de territoire pour occuper la place laissée libre par le milieu, du grand banditisme qui a vu éclore les réseaux de trafic de stupéfiants des quartiers Nord, qui les a laissés faire, les utilisant parfois et faisant, auprès d’eux, office de juge de paix. Il démontre que, si les grandes figures du banditisme sont toutes tombées, incarcérées ou mortes, leurs investissements financiers sont toujours en place.
Blanchis depuis longtemps, ils représentent une manne financière colossale et tentaculaire. La culture, les repères ont changé : après les femmes et l’alcool, la barbe. Endoctrinés par un islam radical, les voyous reprennent leurs trafics tout en payant leur dîme à des réseaux terroristes, forts de cette idée que la vie des autres ne compte pas puisque le paradis les attend.
L’autre changement important tient à la complexité extrême de la nouvelle procédure pénale, nouvelle lourdeur administrative qui empiète de moitié sur le temps consacré aux résolutions d’enquêtes. Il est arrivé, comme à d’autres, à Pierre Folacci d’être en marge du Code : il en parle sans tabou. Et il évoque alors ce fameux lien avec un informateur, l’histoire d’une vie. Un flic à l’ancienne, de l’ancienne école, celle où l’on côtoie ceux que l’on pourchasse, avec une certaine marque de respect, des deux côtés de la barrière. Un univers peuplé de "tontons", les renseignements sur une affaire ne tombent pas du ciel.
Pierre Folacci raconte tout, pourquoi il est entré dans la police, sa carrière, ceux qu’il a croisés, les bons, les mauvais. Puis surtout, il explique que les mauvais ne sont pas tous du même bord : des pourris, des vendus, des jeunes loups aux dents longues, il y en a partout... Folacci nous fait comprendre que personne n’est tout blanc ou tout noir, nous sommes tous composés de nuances de gris, plus ou moins sombres... Plus qu’un témoignage, qu’une biographie, ce grand flic nous offre une analyse sur l’évolution de la police et du banditisme. Il parle de tout, des grandes affaires, des anecdotes qui font sourire, des souvenirs qui émeuvent, puis il "balance", comme l’on dit.
Sans mots couverts, il dit ce qui ne va pas, ce qui n’a pas été, "les politiques qui laissent tomber leurs hommes, à un moment où les policiers ont besoin du soutien de leur ministre de tutelle. Il parle de "l’affaire Neyret", de ce que lui a fait, ce qui pendant un temps fut autorisé pour faire tomber un caïd ; ma grand-mère disait que l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre... c’est pareil dans le système policier. Bien sûr, il dit aussi que c’était parfois border-line, qu’il ne fallait pas franchir certaines limites..."
Folacci est le genre de type qui vient témoigner à la barre, lors de la mort d’un convoyeur de fonds, en déclarant que le transporteur est mort d’une balle perdue qui a également blessé les complices de Payet. "L’intention des bandits n’était pas d’ôter la vie à ce malheureux." Parce que l’homme est droit, intègre et humain. Malgré ce témoignage qui aurait pu outrer, révolter la famille, il conserve encore aujourd’hui des liens d’amitié avec elle.
Ce que l’on retient à la lecture de ce biopic, c’est justement le côté humain et respectueux de Folacci, pour la victime, sa famille, mais aussi pour le truand. Il part du principe que si l’on instaure une forme de respect mutuel, il s’installe comme une sorte de Code d’honneur... Une lecture intelligente, où l’on voit l’évolution sur plus de trois décennies de la police et du banditisme...
Rencontre avec l’auteur
Stanislas Petrosky : Bonjour Pierre, tout d’abord, merci de m’accorder un peu de ton temps pour les lecteurs de Résonance. Des "mémoires" de flics, il y en a déjà des tonnes, pourquoi avoir voulu écrire les tiennes ?
Pierre Folacci. |
Pierre Folacci : Houlà ! "Mémoires" est un peu pompeux, à mon sens. C’est un terme réservé aux "grands hommes"… Ce bouquin était en moi depuis quelques années… et mon départ en retraite il y a dix ans, douloureux pour moi, a fait mûrir les choses (quand je parle de "choses", j’te connais, ne va pas imaginer que je parle de mes valseuses !...). En fait, je me suis aperçu, en écrivant, que ce livre a été pour moi une véritable thérapie. Les souvenirs, en remontant, me faisaient marrer, ou parfois… pleurer. J’ai compris que, pendant des années, je ne m’étais pas occupé de moi et que toutes les blessures étaient restées enfouies.
Tu comprends, j’étais toujours dans l’actualité qui me poussait toujours en avant, une affaire chassait l’autre, etc. Puis, quand je me suis trouvé à la retraite, même si j’ai continué dans un autre job pour ne pas mourir, tout est remonté : les belles choses mais aussi les mauvaises. Je voulais faire connaître ce métier de l’intérieur, et montrer tout le côté humain et très particulier parfois que peu de gens soupçonnent. Je voulais aussi faire connaître aux "jeunes condés" une époque qu’ils n’ont malheureusement pas connue, époque où, si tout n’était pas permis bien évidemment, tout était possible en revanche…
Aujourd’hui, tout est aseptisé, les rencontres humaines entre les voyous et "les condés" ne sont pas facilitées par les nouvelles réformes de la garde à vue : trop de paperasseries, présence omniprésente de l’avocat, c’est sûr que c’est compliqué de créer des liens… Avant, il n’était pas rare qu’on se fasse livrer des pizzas et du rosé-glace et qu’on les partage avec les gardés à vue… Et puis les codes du "milieu" qui ont changé, les mentalités aussi. Le métier de "condé" que j’ai connu, c’était "un mode de vie".
SP : Il est vrai que les tiennes sortent de l’ordinaire... tu n’y vas pas par quatre chemins, tu expliques ton boulot avec les "tontons", surnom que tu préfères à "balances". Tu n’as pas peur que des personnes que tu as fait incarcérer grâce à ce genre de renseignement réussissent à remonter jusqu’à l’informateur ?
PF : J’ai toujours respecté les gens que j’ai interpellés, et, de manière générale, ils me l’ont bien rendu. Je pense que, la plupart du temps, le respect appelle le respect, comme la violence appelle la violence. Je ne donne aucun élément bien évidemment sur mes "tontons", n’en donnerai jamais aucun à quiconque… même sous la torture. Et puis ça n’a jamais été un secret pour les mecs arrêtés qu’ils avaient été balancés. Et souvent, c’est bien leur faute : certains ne peuvent pas s’empêcher de parler, de se vanter d’être un "sachant", et ça finit par arriver à nos oreilles. Certains voyous se sentent tellement intouchables…
C’est vrai que je n’aime pas le mot "indic" ou "balance". Je préfère "tonton", c’est mon côté affectif. Tu sais, je dis souvent qu’un "tonton", c’est l’histoire d’une vie. Maintenant, si ton "tonton" n’est pas "immatriculé" au ministère de l’Intérieur et que tu le couvres pour une raison ou une autre, "le condé" risque les pires emmerdes. Je ne me verrais pas aujourd’hui dire à mon "tonton" : "Tu veux bien que je te fasse immatriculer au ministère ? Ton blaze va être dans un fichier…" Et en fait, maintenant que tu me parles des "tontons", j’ai des trous de mémoire, je ne sais pas de quoi tu parles (rire)… tu sais, à mon âge…
SP : C’est pareil, tu ne mâches pas tes mots avec certains de tes anciens collègues, supérieurs, et même politiques... certains risquent de t’en vouloir, non ?
PF : Je me fous qu’un malhonnête, collègue ou politique, m’en veuille pour ce que j’ai écrit. Dans ce bouquin, outre les anecdotes marrantes et hallucinantes pour certaines, je voulais parler de toutes ces injustices ou malhonnêtetés dont j’avais été le témoin, ou l’acteur malgré moi, à certains instants de ma vie professionnelle. Certaines m’ont fait souffrir et d’autres m’ont ulcéré. Quand j’étais tout jeune poulet, je n’avais pas la "légitimité" pour la ramener, et puis, je voulais tellement être intégré. Plus tard, quand j’aivais pris de la bouteille et de l’assurance et que j’étais "reconnu", je ne me suis pas gêné pour l’ouvrir. Que ça plaise ou non. Tu sais, souvent la presse parle de "grands flics" en ne prenant en compte que la position dans la hiérarchie. Certains méritent ce terme, d’autres non, car, lapins de corridors, ils n’ont arrêté que le bus dans leur carrière. On ne parle jamais des "petites mains" et du travail d’équipe. Même si tu as des "tontons" et des infos, sans une équipe, tu n’es rien.
Et quand je vois qu’on nomme toujours les ministres de l’Intérieur "premier flic de France", ça fait marrer tous "les condés", surtout que, ces dernières années, on a été servis avec les "premiers flics de France". Et puis j’ai souffert aussi de l’hypocrisie de certains magistrats ou patrons.
SM : Dans tous ces témoignages, ou souvenirs que tu racontes, si tu ne devais en retenir qu’un seul, lequel serait-il et pourquoi ?
PF : 35 années en PJ, c’est tellement vaste qu’il est impossible de ne retenir qu’un seul souvenir. C’est un métier extraordinaire au sens littéral du terme exercé par des gens ordinaires : tu peux imaginer le choc ? Je retiendrais surtout les yeux qui brillent chez les victimes dont tu résous le problème, l’adrénaline qui coule dans tes veines quand tu accroches un début de piste, la même adrénaline qui te shoote au moment des interpellations, le sentiment fort d’appartenance à la "famille Condé", cette famille qui te manque lorsque tu pars à la retraite. Et puis surtout les belles rencontres avec de belles personnes que tu n’aurais jamais rencontrées si tu avais fait un autre métier, que ce soient des flics, des voyous, des victimes...
SM : Et si tu devais avoir un regret par rapport à ta carrière, un raté, un manqué, ou une affaire que tu aurais aimé traiter, ce serait quoi ?
PF : Quelques affaires loupées la faute à "pas de chance" ou "pas d’éléments", avec ce sentiment rageant qu’on est peut-être passés à côté d’un élément déterminant… Et aussi je regrette que ce métier m’ait attiré loin des miens à des moments où ils avaient bien besoin de moi, comme un papillon attiré par la lumière. Ce qui est passé est passé, tu ne peux pas revenir en arrière. Tu ne vois pas grandir tes enfants, ta femme est souvent seule avec l’angoisse au ventre, et comme tu ne peux pas tout lui dire... elle reste avec ses doutes ou ses angoisses. Je regrette aussi de ne pas avoir su voir le malheur de certains proches et d’être passé à côté d’une main à tendre...
SP : Tu es à l’origine du comité de soutien de Michel Neyret (le 3 octobre 2011, à l’issue d’une garde à vue, Michel Neyret est mis en examen pour corruption, trafic d’influence, association de malfaiteurs, trafic de stupéfiants, détournement de biens et violation de secret professionnel, pour être ensuite écroué à la maison d’arrêt de la Santé ; après avis favorable des juges parisiens, Neyret est remis en liberté le 23 mai 2012). Tu penses que cet homme a servi de fusible, pour que certains politiques tentent de rendre plus propre, si je puis dire la police, mais surtout leur plan de carrière ?
PF : Ce comité de soutien, je l’ai monté avec des collègues de la PJ de Lyon, dont la plupart avaient travaillé avec Neyret, des anciens de la BRB et de la BRI. Nous l’avons monté car nous étions persuadés que Michel ne s’était rien mis dans la poche. Pour qui le connaît, ce n’est pas pensable un seul instant. Neyret a bien arrangé sa hiérarchie pendant des années, avec une cohorte de belles affaires résolues grâce, pour la plupart, à des renseignements humains. Pour ce genre de renseignement, tu penses bien que le "tonton", il ne le fait pas pour tes beaux yeux la plupart du temps. La confiance se mérite des deux côtés de la barrière, et tu es bien obligé de "lâcher" un peu, de rendre quelques menus services pour montrer aussi à l’autre qu’il peut te faire confiance.
Cette proximité, je l’ai eue toute ma carrière avec mes "tontons", ce qui m’a occasionné parfois des emmerdements dont je parle dans mon bouquin, mais je savais à qui j’avais affaire : des voyous. Neyret, qui avait l’habitude des voyous, n’a pas vu venir qu’il avait affaire à des escrocs, des manipulateurs hors pair, des séducteurs. Il s’est fait endormir et, au final, il a été manipulé vers la fin. C’est humain et c’est le risque. En revanche, ce qui a été abject, c’est la façon dont il a été lynché administrativement, médiatiquement et aussi judiciairement. Administrativement, car ses chefs ont crié haro sur le baudet, lui tournant le dos immédiatement, certains ayant contribué à accélérer sa perte dans le but de la prise d’un poste très convoité…
Médiatiquement, car son nom a été jeté immédiatement en pâture à la presse, ses PV d’audition pendant la garde à vue ou pendant ses comparutions devant les magistrats instructeurs sortaient in extenso dans la presse avant qu’il ait regagné sa cellule. Judiciairement aussi, quand tu vois que, lorsqu’il est sorti sous contrôle judiciaire en mai 2012, il devait pointer tous les jours dans une gendarmerie distante de 10 km du domicile où il était assigné, mais, comme on lui avait retenu son permis de conduire quand il est parti en prison, il a dû s’acheter un vélo. Même le pire des violeurs, il ne pointe pas tous les jours son contrôle judiciaire… Bref, plus d’autres petites brimades sympas…
SM : Tu déclares au fil des interviews que tu n’es pas romancier, "Condé, un flic à la PJ" sera ton seul livre, ou la plume te taquine ?
PF : Je ne suis pas romancier, je suis un témoin. J’ai tout dit dans ce livre, tout ce que j’avais dans mon cœur et sur le cœur… sauf peut-être l’inavouable… Je vois une perle de salive couler à la commissure de tes lèvres. T’aimerais bien savoir cet inavouable, hein ? Je ne me vois pas "inventer" une fiction pour plusieurs raisons : d’autres le font bien mieux que moi, avec talent et tu en sais quelque chose ; ensuite, j’aurais trop peur d’être pollué par des affaires que j’ai vécues et de tomber dans la facilité. Mais j’avoue que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire et ça peut titiller de sortir un truc… Non ! Pas l’inavouable, je te vois venir…
SM : Pierre, je te remercie de cet entretien, au plaisir...
Sébastien Mousse
Directeur éditorial
L’Atelier Mosesu
Résonance n° 144 - Octobre 2018
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :